L’édition 2022 de ce festival, placée sous le signe de la liberté, aura apporté, comme le souhaitent ardemment les organisateurs, son lot de découvertes et de confirmations. Les jeunes pousses du clavier ont côtoyé les aînés prestigieux de la scène internationale. L’Argentin Nelson Goerner, un familier des lieux et des grands festivals du monde, a mis un point final à cette belle édition.
Nelson Goerner, révélé en 1991 lors de ce même festival, est considéré comme l’un des plus authentiques représentants de cette prodigieuse école argentine qui compte Claudio Arrau et Martha Argerich parmi ses plus célèbres représentants. Il conclut donc ce vendredi 30 septembre, dans un cloître des Jacobins plein comme un œuf, la série des récitals de cette saison. Chopin et Albéniz se partagent la soirée opposant deux styles que le pianiste tend à rapprocher.
La première partie est consacrée aux quatre Ballades de Frédéric Chopin, composées entre 1831 et 1842. Le style de jeu choisi par Nelson Goerner a de quoi surprendre. Dès la première pièce, une certaine raideur caractérise son toucher. Nous sommes bien loin de la manière dont Marcel Proust qualifiait « … les phrases, au long col sinueux et démesuré, de Chopin, si libres, si flexibles… ». L’interprète souligne ici la révolte qui souvent explose, au détriment du discours apaisé. Le phrasé qu’il pratique ne cherche point à arrondir les angles.
Ainsi dans la Ballade n° 2 en fa majeur, la violence des accords impose sa force percussive. Certes on peut lui savoir gré d’éviter cette mièvrerie qui parfois affecte certaines interprétations. Nelson Goerner privilégie nettement ici les envolées sauvages plutôt que les douces rêveries qui affleurent pourtant dans ces partitions. Les relents d’angoisse dominent la fraîcheur poétique de la Ballade n° 3, alors que dans l’alternance de sentiments divers qui anime la 4ème en fa mineur, c’est encore la violence qui l’emporte.
Le contraste apporté par la seconde partie s’avère impressionnant. Le pianiste argentin consacre cette nouvelle étape à deux des quatre livres de la suite pour piano, Iberia, écrite par Isaac Albéniz entre 1905 et 1909. La lumière, les couleurs de ces partitions éclatent de vigueur sous les doigts habiles et inspirés de l’interprète. Il semble qu’il trouve là son domaine favori d’expression.
Le cahier n° III qui ouvre sa sélection se compose de trois évocations : celle du quartier gitan El Albaicín de Grenade et celles des quartiers populaires de Madrid, El Polo et Lavapiés. La violence de certains accents, parfaitement en situation ici, s’accompagne toujours d’une générosité colorée.
Les trois pièces du livre IV : Málaga, Jerez et Eritaña ont la réputation de constituer la partie techniquement la plus difficile du recueil. Nelson Goerner y manifeste le meilleur de son jeu. On admire en particulier la poésie de Jerez et la joie lumineuse qui émane de la troisième pièce Eritaña, laquelle porte le nom d’une auberge près des remparts de Séville (y rencontrerait-on Lillas Pastia ?…).
Les deux faces très différentes de ce récital reçoivent un accueil enthousiaste du public auquel le pianiste répond par deux bis complémentaires dont le tendre et nostalgique Intermezzo n° 2 de l’opus 118 de Johannes Brahms. Une ovation debout salue finalement l’artiste qui met ainsi un point final à cette riche 43ème édition de Piano aux Jacobins.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse