Berceau ancestral des bulles, le vignoble de Limoux se réinvente tout en misant sur son Histoire et sur son patrimoine. Paysages sublimes, vins de haut vol, domaines en renouveau : l’invitation à la balade oenologique, à une heure de Toulouse, est prometteuse. Et en attendant, le Limouxin et ses vins débarquent dans la ville rose du 7 au 10 octobre pour leurs Rendez-vous Effervescents.
Entre Méditerranée et Pyrénées et à une petite centaine de kilomètres de Toulouse, le Limouxin, trop souvent contourné ou oublié sur la route de Carcassonne, Gruissan ou Leucate, mérite le détour. Un détour sur fond de paysages époustouflants, de forêts touffues, de petits villages perdus, de vignobles d’altitude… et de dégustations surprenantes. Imaginez, par un matin frais d’un automne soudain, alors que l’Aude et le Sals font régner un brouillard dense, que des merveilles se révèlent au détour d’un chemin qui grimpe au milieu des vignes : à quelques 550 mètres d’altitude, on est au-dessus de la mer de nuages. D’un côté, des pins aux airs méditerranéens et de l’autre côté les Pyrénées avec leurs sommets déjà enneigés. Au milieu, des ceps valeureux attendent les ultimes coups de sécateur. Ces raisins de la bien nommée Haute Vallée donneront ensuite des vins blancs puissants, des rouges denses ou des bulles fines et aromatiques.
Bulles originelles
Aromatique ? Comme le nez de pomme verte d’un Mauzac, cépage endémique et historique du Limouxin (et du Gaillacois). Car l’histoire débute ainsi : du Mauzac et des moines…. C’est en effet à Saint-Hilaire, tout près de Limoux, que les moines de l’abbaye bénédictine eurent la surprise, au printemps qui suivit un hiver rigoureux, de voir leurs vins repartir en fermentation. La science oenologique explique aujourd’hui que la fermentation initiale sans doute stoppée par le froid précoce avait laissé du sucre résiduel que les levures, au redoux revenu, transformèrent à nouveau en alcool et en gaz carbonique, le vin ayant entre temps été mis en « flascons ». Ce sont des factures datées de 1544 et 1585 portant mention de commande de ces fameux flascons, consommés pour fêter les victoires des ducs locaux du temps des guerres de religion, qui permettent de dater ce breuvage mousseux alors inédit. Un certain Dom Pérignon passa ensuite par là, emportant en pays champenois – avec le succès que l’on sait – la recette de l’effervescence… Mais l’ancêtre des mousseux d’ici et d’ailleurs serait bien la Blanquette de Limoux, qui tient son nom du blanc duvet que l’on observe sur les feuilles du cépage Mauzac.
Quatre terroirs, cinq AOC, deux cahiers des charges
La suite s’écrit, notamment, en quelques dates : 1938 avec l’obtention d’une des premières AOC de France pour la Blanquette de Limoux et la Blanquette de Limoux Méthode Ancestrale, 1959 qui marque l’attribution d’une AOC aux vins blancs « tranquilles » de Limoux, 1990 avec l’AOC pour le Crémant de Limoux et enfin 2004 l’AOC Limoux Rouge. Depuis 2009, les choses sont (en apparence) simplifiées avec deux cahiers des charges : Crémant de Limoux et Limoux (blanc, rouge, Blanquette et Méthode ancestrale). Limoux en quelques chiffres : 7800 hectares, 41 communes, quatre terroirs. Ces quatre terroirs illustrent la diversité des paysages, des sols et des influences climatiques qui façonnent le vignoble et les vins de Limoux : Terroir méditerranéen au Nord-Est, terroir océanique à l’Ouest, terroir d’Autan autour de Limoux, et terroir de la Haute Vallée en altitude et au sud vers les Pyrénées. Côté cépages, la diversité est aussi de mise : Mauzac (90% minimum pour la Blanquette), Chardonnay et Chenin (90% maximum associés pour le Crémant et parfois purs dans le Limoux blanc), Pinot noir (assemblé dans les effervescents ou dans le rouge), Merlot, Malbec, Syrah, Cabernet… Sauf pour le rouge, tout est vendangé manuellement et le Limoux blanc doit être vinifié et élevé en fûts de chêne. La Blanquette, 100% Mauzac, est élaborée soit selon la méthode dite traditionnelle, comme le Crémant et comme le Champagne (mise en bouteilles après la fin de la fermentation alcoolique et ajout d’une liqueur d’expédition qui va relancer une fermentation appelée prise de mousse), soit par la méthode Ancestrale appelée Rurale ailleurs où la fermentation initiale se termine en bouteille. Comme chez les moines de Saint Hilaire…
Des domaines et des vins
Car à Limoux, tout est question de patrimoine, de transmission. Nombreux sont ainsi les jeunes générations qui reprennent le domaine familial et insufflent un nouveau souffle.
Comme au Domaine Delmas que Baptiste a repris en 2015 et où il peaufine ses cuvées (bio) aux noms symboliques : « Passeur », « Le grand saut », « L’Envol » ou son Crémant « Audace », 70% Chardonnay, très peu dosé et passé pour la première fois en fût.
Ou ces deux sœurs du Domaine Robert, qui reprennent en chœur le domaine créé par leur arrière-grand-père en 1937 et qui invitent à goûter leurs très vieilles Blanquettes lors de balades vigneronnes estivales.
Chez Antech, c’est Françoise, 6e génération, qui a repris la suite de son père et travaille quelques « ovnis » comme un Crémant oublié pendant 7 ans sur lattes, un Chenin tranquille construit comme un effervescent ou un Pinot noir en blanc de blancs.
Au Clos Teisseire, c’est Laetitia, la belle-fille, infirmière en réanimation, qui a tout quitté pour relever le défi, avec succès : son Vue sur Ciel (le domaine se situe à 250 mètres d’altitude), assemblage de Chardonnay et Chenin, et son Optime, un pur Chardonnay discrètement boisé, sont ciselés et délicieux.
Changement de vie aussi au Domaine Rosier, créé il y a 38 ans et transmis de père (issu du secteur mécanique) en fils (dessinateur-concepteur dans l’aéronautique) et dont le Crémant rosé offre des arômes exubérants de fraise. De père en fils aussi, mais avec la 6e génération, anciennement géomètre, pour le Domaine Faure, qui produit également du jus de raisin et de la Cartagène.
Et autant d’autres histoires de famille comme chez la famille Capdepon, la première à commercialiser de l’Ancestrale, plutôt réservée jusqu’alors à un usage privé et dont le Crémant Brut se démarque par sa cossue bouteille tout en rondeur, au Domaine Taudou où les Blanquettes sont gardées deux ans sur lattes et le Crémant 2010 dégorgé seulement en 2019, au Domaine B&B Bouché, parti de Champagne et dont le Crémant Prestige est vieilli pendant trois ans et très peu dosé. Au Domaine de Mouscaillo, le fils et la belle-fille, de profil scientifique, amènent leur expertise au domaine familial et élaborent notamment un Crémant Brut Nature et un Limoux blanc de haut vol, à l’image de leurs terroirs situés à 400 m d’altitude.
Chez Altugnac, dans le paysage grandiose de la Haute Vallée, le vignoble a été repris et restructuré par les Collovray-Terrier, famille de vignerons du Mâconnais. Leur Terres Amoureuses (comprenez, argileuses) est équilibrée entre Chardonnay et pointe de Mauzac tandis que les 3000 bouteilles de Las Gravas misent avec élégance et structure sur le pur Chardonnay, avec potentiel de garde.
Le Languedoc est historiquement terre de coopération. Et les deux coopératives limouxines toujours en activité, rivalisent d’inventivité et de cuvées. Anne de Joyeuse (370 familles de vignerons, 2700 hectares) rend hommage par son nom au Duc de Joyeuse, qui fit rayonner la région auprès d’Henri III qui lui offrit la seigneurie et les terres de Limoux ». Leurs sympathiques cuvées « Les dinosaures » en blanc et rouge IGP Pays d’Oc rendent hommage aux fossiles de dinosaures découverts en Haute Vallée.
Quant à Sieur d’Arques (1658 hectares, près de 200 vignerons), créé en 1946, elle propose des gammes découvertes (comme son Chardo très compétitif) ou d’exception, notamment siglées Toques & Clochers, une vente aux enchères de vins issus de 3800 parcelles sélectionnées au profit de la restauration des clochers du cru. L’édition limitée Crémant de Limoux Extra Brut 2013 est magnifique tandis que le Chardonnay décliné en terroirs méditerranéen, océanique, Autan et Haute Vallée invite à la dégustation horizontale pour mieux appréhender ces terroirs et ces vins de Limoux. Qu’il faut redécouvrir de toute urgence !
Escale au Château des Ducs de Joyeuse
C’est au cœur du village de Couiza et en bord de rivière, que se dresse l’imposant mais élégant Château des Ducs de Joyeuse, hôtel 4 étoiles avec piscine et restaurant gastronomique. Pierres blondes et fenêtres à meneaux, escaliers en colimaçon pâtinés par d’illustres ancêtres, chambres au décor médiéval mais au confort moderne, et une jolie cour intérieure qui donne envie de faire une pause : ici le temps semble s’être arrêté. Mais le couple de propriétaires, tombés amoureux des lieux et de la région, s’affaire au quotidien au bonheur de leurs invités. Le chef mitonne, lui, une cuisine de saison et de terroir, agneau catalan, pluma ibérique, truite bio de pays… Une adresse de charme et d’Histoire au cœur du pays cathare et à deux pas des vignobles de Limoux.
Château des Ducs de Joyeuse
Les Off des Rendez-Vous Effervescents : à Toulouse du 7 au 10 octobre
En octobre, les vins de Limoux s’invitent dans la ville rose. Pour un long week-end (ou plus si affinités), les Toulousains pourront (re)découvrir ces bulles si proches mais parfois méconnues ou oubliées. Cette année, les Rendez-Vous effervescents prennent la forme d’un Off (CoVid oblige) au programme alléchant : une vingtaine de restaurants (du bistrot à l’étoilé) accueillent des dégustations et des rencontres avec des vignerons, proposent des accords mets et vins et autres menus spéciaux. Un moment réjouissant en vue en ces temps compliqués mais avec toutes les mesures sanitaires requises.