La crise sanitaire aura peut-être obligé certaines enseignes à fermer boutique, des restaurateurs et commerçants toulousains continuent partiellement leur activité et profitent de ce confinement pour rebondir. Dans une société qui change d’échelle et d’époque, l’économie va nécessiter plus de flexibilité. Inquiets ou résilients, regards croisés d’acteurs toulousains sur l’avenir de la restauration et des commerces de proximité.
CRIOLLO CHOCOLATIER
Jean-Pierre Dujon-Lombard, en tant que fondateur et dirigeant de la marque toulousaine Criollo Chocolatier depuis 2002, vous avez vécu cette crise sanitaire comme une onde de choc au plan économique. Qu’est-ce qui a changé dans votre quotidien professionnel ?
JPDL : Notre chocolaterie régionale est soudainement devenue une chocolaterie de quartier. Il y a eu de grosses commandes à Pâques et nous avons pu préserver l’essentiel mais nous n’avions pas la logistique pour répondre aux demandes. Les distanciations n’étaient pas respectées, on avait pas de moyens de communication sauf le téléphone. Cela a été une déferlante. On a dû arrêter l’entreprise pendant 15 jours et nous sommes repartis.
Je vis cette période comme une transition qui laisse du temps pour réfléchir à ce que pourrait être le rôle de l’entreprise, dans son aspect social et environnemental. Comme une opportunité de mieux servir et de m’adapter à la clientèle.
Que mettez-vous en oeuvre pour pérenniser votre activité ?
JPDL : A ce jour, on a raté notre transition numérique car nous n’y croyions pas. C’est une erreur stratégique que j’assume. Aujourd’hui, j’ai une équipe dédiée à la communication et à la vente sur Internet qui sera effective à partir de septembre 2020. Pour le moment, les commandes de chocolats se font par téléphone. Et nous sommes fiers de la confiance que nous portent nos clients.
Sur une trentaine de salariés habituels, on tourne actuellement avec 12-14 personnes. J’aime travailler dans la confiance. Sur la base du volontariat et le respect de chacun, les équipes sont à l’aise. On dispose de masques et nous sommes très vigilants sur la protection. On aère les locaux plusieurs fois par jour. La production aujourd’hui n’est pas notre première préoccupation, mais déjà celle de mettre nos clients et salariés à l’abri. On vient de sortir une ligne de pâtes de fruits dans la philosophie Criollo : le goût des fruits, des arômes, des épices, une framboise verveine qui me semble correspondre aux attentes du moment, nous avons le muguet en chocolat pour le 1er mai, un petit plaisir en ces temps difficiles.
Comment envisagez-vous votre métier après le confinement et par quelles actions ?
JPDL : Outre l’ouverture des magasins, la transition numérique est notre priorité. Dans 5 ans, nous avions pour objectif d’approvisionner à 80% nos magasins en produits issus de l’agriculture biologique. Notre sucre est bio, comme notre chocolat depuis 2020. Je suis un fervent défenseur de la relocalisation. Je suis un des seuls dont les boîtes et le packaging sont faits en France et en Europe. Notre culture du goût implique du savoir-faire. Si on peut oeuvrer en bonne intelligence pour la planète, tout ira bien. On va passer d’un consommateur passif à un consommateur citoyen et éclairé.
Commandes par téléphone uniquement
2 place Saint-Etienne • Toulouse (réouverture prochaine)
23 place Victor Hugo • Toulouse de 8h à 13h – du mardi au samedi
Impasse des Albigots • Saint-Pierre-de-Lages de 8h à 13h – du mardi au samedi
CHAI VINCENT
Vincent Giraudbit, vous êtes l’un des cavistes les plus connus de Toulouse avec 2 boutiques en centre-ville et un entrepôt à Launaguet. Comment vivez-vous cette crise sanitaire et qu’est-ce qui a changé dans votre quotidien professionnel ?
VG : C’est un peu l’arrêt-buffet comme on dit au rugby ! ça a commencé mi-mars et le samedi qui suit le confinement, on nous annonce que les restaurants ferment. J’ai une grosse activité de vente auprès des restaurateurs et confrères cavistes, fromagers, bouchers. Ils ont voulu écouler leurs stocks, avant de recommander, ce qui est normal. J’ai mis tout mon personnel au chômage partiel. 6 employés sur les 2 premières boutiques notamment. Côté particuliers, j’ai une perte de 20% de vente au verre. Cette période permet de voir les erreurs qui ont été commises et pourraient être évitées.
Que mettez-vous en oeuvre pour pérenniser votre activité ?
VG : Rien n’est possible à ce jour. J’ai 2 apprentis assurés de recevoir 100% de leurs salaires car ils ne touchent presque rien. J’ai proposé aux autres employés un volontariat le samedi et dimanche matin pour préserver le salaire de la personne en place à Victor Hugo. Nous avons des masques qu’on a fabriqués nous-mêmes et des visières qui nous ont été offertes par des professionnels. Dans le marché comme à Launaguet, on indique les distanciations au sol.
A Victor Hugo, des vigiles sont présents à l’entrée pour limiter le nombre de visiteurs. Nous louons cet emplacement à la Mairie de Toulouse, mais nous n’avons reçu aucun matériel de protection, alors que nous sommes considérés comme faisant partie de l’alimentaire puisqu’on le droit de rester ouverts. Je travaille 7jours/7 en gérant en plus la formation des sommeliers, l’aspect administratif et commercial… Les gens viennent davantage en semaine et recommencent à sortir. Les livraisons pour les particuliers fonctionnent bien, y compris à l’entrepôt de Launaguet qui était au départ destiné aux professionnels. Financièrement, l’Etat nous a payé une partie du chômage partiel le 1er avril et j’ai reçu l’aide le 22 avril. J’ai donc dû avancer le salaire des employés. On attend l’acceptation d’une demande de prêt. L’administratif pose problème car cela prend du temps. La bonne nouvelle c’est que de nombreux restaurateurs veulent aussi aider les fournisseurs en manque de clients, voilà l’initiative de Belles Gamelles. Permettre à des fournisseurs de continuer à collaborer.
Récemment on a fait une E-nocturne avec les Chevaliers du fiel et Michel Sarran au Marché Victor Hugo, c’était un beau moment. Nous avons aussi aidé l’Oncopole.
Comment envisagez-vous votre métier après le confinement et par quelles actions ?
VG : On envisage de repositionner un responsable dans chacun des magasins. Je dois aussi faire revenir les employées mères de famille, or tout dépend de la gestion des crèches. J’aimerais idéalement rouvrir la terrasse à St Etienne mais nous avons des informations qui me semblent un peu étonnantes. 4 personnes venues ensemble sont autorisées à consommer côte à côte mais les consommateurs qui sont seuls doivent respecter plus d’un mètre de distanciation avec la table voisine. En outre, le chômage partiel m’a été accordé jusqu’à mi-septembre 2020 pour les salariés, donc en terme de visibilité et d’assurance que les restaurants vont rouvrir bientôt, c’est compliqué. Grâce à eux je fais 100 000 euros de CA par mois. J’attends la reprise avec impatience.
Marché Victor Hugo : du mardi au dimanche, de 9h à 13h
Launaguet pour les pros et les particuliers, de 15h à 18H
Site Internet • Facebook • Instagram
MAISON BUSQUETS
Philippe Busquets, vous êtes co-gérant avec votre frère de cette marque familiale toulousaine créée il y a 101 ans, spécialisée dans la vente de vins et spiritueux. Comment vivez-vous cette crise sanitaire et qu’est-ce qui a changé dans votre quotidien professionnel ?
PB : Nous avons fermé tout le mois de mars par civisme. C’est la première fermeture si longue depuis sa création en 1919. On a une responsable à Victor Hugo. Elle a 2 enfants et ne peut pas venir travailler. Je travaille donc du mercredi au dimanche, avec mon frère, rue Rémusat l’après-midi et Place Victor Hugo le matin. En tant que co-gérant, je ne me suis pas payé depuis 2 mois.
Notre perte de CA est énorme. On a fait 2 crédits sur les magasins. On a 5 salariés et un apprenti. Tous sont au chômage partiel. Je préfèrerais que ce chômage partiel dure tant que tout n’est pas clarifié. Nous ne sommes plus fournisseurs grossistes. Nous misons aujourd’hui sur les particuliers avec un site Internet de ventes en ligne, ouvert la semaine précédant le confinement. En parallèle, je suis musicien (formation de musiques et chansons latines) depuis plusieurs années et avec la Covid-19, j’ai eu 7 annulations entre Marciac, Jazz sur son 31 et le reste. C’est affreux de perdre des dates quand on connaît le travail que chacune implique. Je continue à composer des musiques. J’en suis à mon 3ième album autoproduit. Je suis un grand sensible. J’assume mes deux fonctions avec plus de sérénité qu’auparavant et cette double casquette me va bien.
Que mettez-vous en oeuvre pour pérenniser votre activité ?
PB : Le covid-19 est une atteinte à notre pérennité, en terme de structure forcément. Le site E-commerce de la Maison Busquets tombe néanmoins à point nommé, car nous n’avions pas prévu les choses en fonction du Covid-19. Pour autant, le magasin est primordial pour moi, mon grand-père majorquin l’a créé, c’est une histoire de famille. On va tenir au maximum pour continuer. Au bout du compte, si on réfléchit, nos magasins vont devenir des musées. Regardez les géants d’Internet, à côté d’eux nous ne faisons pas le poids. Internet n’a jamais été légiféré et aujourd’hui, c’est un no man’s land où chacun peut trouver ce qu’il veut, sans aucune réglementation.
Notre clientèle est celle du quartier. En ce moment, on brade nos produits de 20% sur l’épicerie fine dès aujourd’hui et post-confinement. On réfléchit à garder les salariés en chômage partiel. Nous portons tous des masques et des gants et la situation fait peur car elle est inédite. Mais que peut-on faire… il faut bien aller travailler !
Comment envisagez-vous votre métier après le confinement et par quelles actions ?
PB : Mon fils de 20 ans s’occupe du Community management. La relève est assurée. Je veux lui montrer l’exemple. On va temporiser. Voir s’il est possible de rappeler des gens pour travailler. On repose les bases. En ce moment, la Maison Busquets offre gratuitement la livraison dans toute le centre-ville quel que soit le montant, grâce à des coups de coeur de 6 bouteilles, à commander en ligne. Plus que jamais, chacun fait comme il peut. La solidarité, je connais. J’avais lancé l’association Hugo 2000 pour les nocturnes du Marché Victor Hugo avec mon ami Denis Meliet (fondateur du célèbre J’go, décédé en juin 2019 – ndlr). On avait présenté le Festival Tempo Latino en 3 événements mémorables quartier Victor Hugo. 92 musiciens jouaient toute la journée. C’était inoubliable.
En tant que commerçants, nous aimerions organiser un événement important quand tout sera apaisé. Avec la stature que l’on a, je garde espoir.
Les besoins d’échanger, de conserver des habitudes de quartier ne changeront peut-être pas. Même si nous avons peur, le petit commerce est une colonne vertébrale de la société.
Busquets Victor Hugo : du mercredi au dimanche de 9h30 à 13h
Busquets Rémusat : du mercredi au samedi de 14h à 18h30
Site Internet • Facebook • Instagram
LES P’TITS FAYOTS
Aziz Mokhtari, patron des P’tits Fayots à Toulouse, vous venez de créer un nouveau service de menus à emporter. Comment vivez-vous cette crise sanitaire et qu’est-ce qui a changé dans votre quotidien professionnel ?
A.M : On a fermé le 14 mars, le jour du décret. J’ai participé bénévolement à l’initiative Belles Gamelles pour aider les soignants. Nous avons ré-ouvert il y a 15 jours. Les salariés sont au chômage technique jusqu’à nouvel ordre. J’ai rappelé une aide en cuisine et une en salle, présente pour accueillir les clients. Nous proposons des plats à emporter. On l’a appelé « Les P’tits fayots à la maison ». Des gens du quartier mais aussi du centre-ville viennent régulièrement. On repart à zéro à tous les niveaux. Je suis très content de ça. Cette crise m’oblige à m’adapter. C’est à moi d’être suffisamment créatif pour garder cette proximité avec les gens, ces saveurs culinaires. Le plaisir que j’aime donner aux gens est un moteur pour moi. Avec l’arrivée du confinement, j’ai senti le changement arriver.
Que mettez-vous en oeuvre pour pérenniser votre activité ?
A.M : Il y a les P’tits Fayots à la maison. J’ai fait quelques vidéos sur Instagram aussi. C’est ainsi que j’envisage de communiquer avec ma clientèle maintenant. Ma cuisine est simple, bonne, réconfortante. On propose notre sélection de vins accordés aux menus à emporter. Pour moi, s’adapter à la situation est ma priorité. Mon service de vin à table n’étant plus actif, je suis le premier client des cavistes mais je déconseille d’acheter son vin en supermarché. Et puis le vin, ça se partage. On communique vraiment avec nos réseaux sociaux. Le site est parfait. Tout est très fluide. On donne l’heure de la disponibilité des menus à venir chercher.
Comment envisagez-vous votre métier après le confinement et par quelles actions ?
A.M : Sur le plan professionnel, je vois ça comme une épreuve qui est à ma portée. On est tous dans le même cas. Il faut respecter le confinement et ne pas faire n’importe quoi, c’est le plus important. Ce qui serait grave, c’est une deuxième vague. C’est à nous collectivement de trouver des solutions. Cet été, je suis ouvert et jusqu’à nouvel ordre. Je ne peux pas ne pas faire fonctionner mon entreprise, ni même ne plus cuisiner. C’est aussi procurer au client un plaisir psychologique. On aura la réponse mi-mai pour savoir quand les restaurants vont rouvrir. Mais je dois bien avouer que cette épreuve, c’est un exercice qui me plaît. Moi je suis dans l’acceptation, désolée pour le Coronavirus !
Commande de menus à emporter à 24 euros, du jeudi au dimanche, de 11h à 14h sur www.lespetitsfayots.com
Site Internet • Facebook • Instagram
Une initiative solidaire initiée par la Ville de Tours et sélectionnée par le Ministère de l’Economie, permet actuellement de soutenir les commerces de proximité. Soutien-commerçants-artisans est un service gratuit. Vous pouvez aider les commerçants de votre quartier en leur achetant leurs produits ou services sous forme de bons d’achat, utilisables dès leur réouverture et jusqu’au 31 décembre 2020. Toutes les informations pratiques et territoires engagés sont sur le site : https://soutien-commercants-artisans.fr
photo illustration : Geoffroy Delobel