Une vie cachée, un film de Terrence Malick
L’année cinématographique 2019 ne pouvait mieux s’achever qu’en nous proposant le dernier et somptueux opus de Terrence Malick, un chef d’œuvre panthéiste illuminé par la foi d’un homme au destin christique.
9 août 1943. Brandebourg. Allemagne. La lame d’une guillotine dressée au fond d‘un garage s’abat sur Franz Jägerstätter. Il a 36 ans et a commis l’irréparable. Ce paysan autrichien, après avoir été le seul à voter dans son village natal près de Salzbourg contre l’Anschluss en 1938, manifeste ouvertement contre le nazisme. Plus grave, il refuse de combattre pour le Troisième Reich. Il est condamné à mort. Largement oublié après la Seconde Guerre mondiale, Franz Jägerstätter va faire cependant l’objet d’une biographie signée en 1964 du sociologue américain Gordon Zahn. En juin 2007, le pape Benoit XVI autorise la Congrégation pour la cause des Saints à le reconnaître comme martyr. Il est ensuite béatifié en la cathédrale de Linz le 26 octobre de la même année, journée de la fête nationale autrichienne. Son épouse Franziska lui survivra jusqu’au 16 mars 2013. Elle avait alors 101 ans.
Une vie cachée nous raconte l’aventure spirituelle de Franz, un vrai défi qui mit en danger sa famille mais qu’il releva de la plus flamboyante manière. Catholique fervent, il a rapidement compris combien l’Allemagne nazie tenait plus d’une barbarie moderne que d’une véritable démocratie. Les valeurs qui l’habitent depuis toujours sont en opposition complète avec le monde qui l’entoure en 1938. Franz va donc se murer, comme pour se protéger, dans celles-ci, jusqu’au sacrifice final qui pour lui sera le seul chemin vers cette Lumière devenue sa seule raison de vivre. Ou de mourir. Ce cheminement qui tient d’un véritable chemin de croix, le réalisateur choisit de nous le faire suivre au rythme des doutes et des certitudes qui envahissent Franz.
Au rythme également des saisons qui, elles, s’égrènent, imperturbables et puissantes face aux conflits humains. Et c’est dans cette lenteur que réside le génie de ce film. Une lenteur qui nous permet, délivrés de tout action superflue, mais aussi de tout dialogue envahissant, de communier littéralement avec Franz, de se poser les mêmes questions au même moment, les yeux rivés sur des cachots sordides ou bien sur cette campagne lumineuse et violente à la fois. Autant le dire, les derniers instants sont insoutenables d’émotion, de révolte et d’horreur conjuguées. Un aveu, le dernier plan de ce film qui a fasciné et bouleversé l’auteur de ces lignes est une véritable délivrance. C’est dire !
Saluons la performance toute en retenue et en regards d’August Diehl (Franz) et de Valérie Pachner (Franziska), de même que celles, dans des rôles éphémères, de Bruno Ganz et Matthias Schoenaerts.
Comment terminer cet article sans citer la phrase finale du roman Middlemarch de George Eliot figurant sur l’écran en fin de projection « … car le bien croissant du monde dépend en partie d’actes non historiques ; et si les choses ne vont pas pour vous et moi aussi mal qu’elles auraient pu aller, nous en sommes redevables en partie à ceux qui ont vécu fidèlement une vie cachée et qui reposent dans des tombes délaissées ». Elle donne le titre du film et son insondable vérité.
Terrence Malick – Le Mystérieux
S’il a passé son enfance au Texas entre champs de blé et puits de pétrole, Terrence fera de brillantes études à Harvard. Tout d’abord journaliste, il va se tourner très rapidement vers le cinéma et plus particulièrement la réalisation. Nous sommes en 1974. Il a 31 ans et signe son premier long (La Balade sauvage) déjà inspiré d’une histoire vraie. Quatre ans plus tard, coup de tonnerre avec les somptueuses Moissons du ciel. Puis…plus rien pendant vingt ans ! Terrence Malick s’entoure alors d’un voile de mystère…Il revient enfin avec la sublime Ligne rouge (1998). De film en film, plus ou moins bien accueillis par la suite, Terrence Malick construit de son vivant sa propre légende. En tout état de cause il est d’ores et déjà entré dans la grande histoire du cinéma.