À quelques encablures de la Basilique Saint-Sernin à Toulouse, dans les coulisses animées de la place Arnaud-Bernard, sévit en cuisine une jeune brigade de passionnés. Leur philosophie ? Régaler nos papilles, certes, mais éveiller notre conscience collective également. Et si consommer devenait un acte citoyen ? Bienvenue aux Pieds sous la Table, antre éco-responsable du 100 % « fait-maison ».
Vous en conviendrez, le charme de Toulouse réside essentiellement dans ses petites rues dérobées, véritable invitation aux escapades gourmandes. En revanche, les bonnes adresses se méritent ! Les plus audacieux en seront largement récompensés. Ancien quartier charnière entre la ville et la campagne à l’époque médiévale, terre d’accueil d’immigrés dès les années 1920, « Arnaud-Ben » ne dément pas son statut de dernier bastion du Toulouse populaire d’autrefois.
A l’abri de ce joyeux tumulte, les frères Fabien Jeanjean et Antoine Micouleau, associés à la vie comme aux fourneaux, vous accueillent dans leur établissement familial en toute simplicité. Ouvert en 2013, Aux Pieds sous la Table a participé tant à la reconversion du quartier qu’à la revitalisation de la restauration toulousaine, dans un esprit convivial et authentique propre à cette jeune génération d’entrepreneurs. Honoré du titre de « Maître restaurateur » en 2015, Fabien s’est toujours engagé, épaulé par son équipe, à promouvoir une approche globale de la gastronomie où le 100 % « fait-maison » constitue un gage de qualité et de créativité pleinement revendiqué.
Pétris de convictions et amoureux de leur métier, les propriétaires des lieux se sont orientés vers une démarche éco-responsable afin de mieux répondre aux enjeux environnementaux actuels. Ambitieux, ils proposent à la clientèle une cuisine de saison, basée exclusivement sur une sélection des meilleurs produits bruts et frais issus de nos circuits courts locaux.
De la pensée à l’assiette
Depuis une dizaine d’années, cette prise de conscience écologique s’accompagne d’une évolution profonde des attentes des consommateurs. Manger est devenu un acte citoyen à part entière, au même titre qu’effectuer son tri sélectif ou privilégier les transports doux. En adhérant à la philosophie du « manger sain à petit prix », l’établissement assume sa responsabilité sociétale dans un contexte de lutte contre la malbouffe.
Par souci de transparence, les frères s’assurent de la traçabilité des produits cuisinés. L’essentiel des viandes et des poissons provient respectivement d’exploitations à taille humaine et de petits ports de pêches situés majoritairement en Occitanie. A ce titre, ils collaborent étroitement avec l’association « Produit sur son 31 », laquelle œuvre à la promotion de producteurs locaux, présents pour la plupart au Grand Marché de Toulouse.
La nécessité d’opter pour une consommation régulée, non intensive et par conséquent, en accord avec les principes de l’agriculture raisonnée, s’ancre progressivement dans les mentalités. En faisant appel aux circuits courts, Fabien et Antoine s’affranchissent de nombreux intermédiaires inhérents à la chaîne de distribution traditionnelle. De ce fait, un échange économique valorisant le lien social, la transparence mais surtout l’équité entre les différents acteurs que sont le producteur, le restaurateur et le consommateur est alors privilégié. L’assiette, témoin d’un artisanat exigeant, remet en question ses fondements éthiques mais n’en oublie pas pour autant de fédérer les Hommes autour d’une heureuse alliance du goût et de l’inventivité.
Place à la dégustation
Atypique, la configuration des lieux permet plusieurs modes de consommation. A l’heure du déjeuner, en salle comme en terrasse, s’ouvre à un rythme enjoué le bal des formules en trois temps : entrée-plat-dessert. Aux manettes, Jonathan Hamilcaro, second de cuisine ! Alléchante et créative, la carte aux accents bistrot renouvelle chaque jour ses suggestions. Une mention spéciale est attribuée au petit incontournable du menu, le très régressif pain perdu, généreuse tranche de pain rustique nappée d’une sauce onctueuse au caramel et au sésame.
Efficace et rapide, le service effectue les prolongations en soirée et propose alors, dans un esprit gastronomique, une dégustation en quatre temps. Renouvelé chaque semaine en fonction des arrivages, le menu, gourmet, joue la carte de la finesse et de l’élaboration culinaire. Précédés d’appétissantes mises en bouche, les différents mets proposés font ainsi la part belle aux produits de qualité. Le tartare de bœuf, rehaussé de shiso, s’accompagne de quelques chips gaufrettes au thym et au sel fumé. Le pavé de truite et son risotto vénéré – réputé aphrodisiaque à la Cour impériale chinoise -, trouve quant à lui l’alliance idéale avec une crème de carotte et un beurre blanc au poivre de Timut.
Parlons peu, parlons vin !
Soigneusement pensée en collaboration avec des domaines qui plébiscitent la biodynamie et l’agriculture biologique, la carte des vins propose une soixantaine de références à la dégustation. Provenant majoritairement du caviste Délices Occitans, les crus mis à l’honneur se distinguent par leur caractère franc et équilibré, parfaits acolytes d’instants de partage et de convivialité.
Par ailleurs, la direction demeure particulièrement attentive aux exigences de la clientèle. Consciente de l’émergence de nouveaux régimes alimentaires, l’équipe se fait un plaisir de satisfaire aux préférences végétariennes mais également véganes, à condition, pour ces toutes dernières, d’en informer au préalable l’établissement. La carte, dynamisée dans ses alliances, reflète assurément l’inventivité du chef Kevin Musset.
Côté déco, un parti pris esthétique à mi-chemin entre la récup’ industrielle et l’esprit brocante est habilement cultivé dès l’entrée. L’usage de l’emblématique brique toulousaine sert de toile de fond à une mise en scène chaleureuse. Sur la droite, un piano dont le clavier recèle désormais des couverts fait face à une bicyclette vintage reposant sur un grand panneau en ardoise. Au cœur de la salle principale trône, entouré de mange-debout et de banquettes en velours, un superbe comptoir en zinc et bois. Enfin, quelques barils à vin ainsi qu’une vieille poulie, vestiges de l’établissement précédent, renforcent cet indéniable cachet « indus ».
Le Soulier
Quid de la spécificité des lieux ? A l’arrière de la salle principale, dissimulée par deux battants d’armoire ancienne, se niche l’anti-chambre des Pieds sous la Table. Véritable salon confidentiel où l’on prend ses aises au bar comme dans un bon vieux Chesterfield, le Soulier incarne, dans une ambiance tamisée, l’esprit canaille du bar clandestin américain, le fameux speakeasy. Petit bonus, cette annexe intimiste peut également faire l’objet d’une privatisation pour vos événements personnels ou professionnels, un fumoir et des enceintes étant mis à votre disposition.
Ici, point de menu ! La formule bouleverse les codes du dîner traditionnel. Le chef de partie, Tom Capou, signe non sans zèle la carte des hors-d’œuvres. Concoctées avec raffinement, ces mises en bouche dînatoires se savourent à l’unité ou se partagent entre amis dans un esprit tapas. Le défi ? Valoriser la créativité culinaire autour de la mixologie. Créations « maison » finement élaborées, les cocktails réinventent le jeu des alliances gustatives en proposant des accords mets-alcool surprenants. Effet en bouche garanti !
Sans hésiter, osez le fameux cromesquis de canard. Doublement panée, cette rillette de confit de canard et de foie frais poêlé déglacé à l’Armagnac se déguste volontiers avec quelques shitakés et pleurottes. Une délicate sauce au miel et à la fleur d’hibiscus apporte la touche finale à cette friture hautement régressive. La carte des hors-d’œuvres, ode gourmande au terroir, se distingue par l’équilibre raffiné de ses saveurs. Ainsi, la variété inégalable des produits agricoles issus des campagnes, des littoraux mais également des vignobles d’Occitanie est assurément mise en valeur.
Avis aux amateurs de circuits courts !
Fidèle au concept général des Pieds sous la Table, un projet d’épicerie fine a vu le jour en 2017. Jouxtant l’établissement principal, le Talon, par sa sélection de produits simples et goûteux, s’impose comme l’unique intermédiaire entre le producteur et le consommateur. Conçue comme un garde-manger, l’épicerie, à vocation régionale, propose des fromages d’estive, de la charcuterie artisanale, de la conserverie, des petits plats du restaurant conditionnés en bocaux, de la bière sans oublier du bon vin.
A sa tête ? Odile Malaganne, maman des deux associés. Elle prendra, dès la rentrée, le relais de ses fils et effectuera désormais la tournée hebdomadaire de leurs producteurs en Occitanie. Favoriser le contact, fidéliser mais aussi découvrir de nouveaux partenaires aux modes de production plus respectueux de l’environnement seront autant de défis à relever.
Fort d’une équipe parfaitement intégrée en cuisine comme en salle, avec une belle dynamique entre salariés et apprentis, l’établissement Aux Pieds sous la Table confirme que la restauration peut offrir, au-delà des exigences de la profession, un parcours de vie émulatif, une expérience des valeurs humaines et citoyennes globale. S’y rendre, c’est aussi faire le choix d’une alimentation durable, encourager une authentique agriculture raisonnée tout en participant à une économie solidaire et responsable. Ainsi, en créant des émotions et du plaisir autour d’une vision moderne de la cuisine du sud-ouest, Fabien et Antoine perpétuent cette culture du goût qui nous est si chère.
La gourmandise se fait alors vertu et le client … consom’acteur.
Photos : Pierre Beteille / Culture 31
4-8 rue Arnaud Bernard • Toulouse