Rendez-vous le jeudi 4 avril, 20h, pour la Première de ce drame de la Vérité méconnue, Ariane et Barbe-Bleue, opéra de Paul Dukas, donné pour la première fois au Théâtre du Capitole de Toulouse. L’ouvrage a été créé à Paris, Théâtre de l’Opéra-Comique le 10 mai 1907.
Paul Dukas, le compositeur, auteur que d’un seul opéra, chef-d’œuvre reconnu, pourtant trop rare à la scène. Mais, comme l’ensemble de sa production avouée peut se compter sur les doigts des deux mains, on peut considérer, en y ajoutant son superbe ballet, La Péri, qu’il fut essentiellement un musicien de théâtre. On sait qu’il projeta au moins quatre drames lyriques et autant de ballets, sujet qui ne laisse pas d’étonner de la part d’un homme si réservé, au tempérament introverti.
Le titre de cette présentation de spectacle est directement tiré des Évangiles, et avait inspiré à Paul Dukas cette remarque : « Il y a des sujets auxquels nous ne pouvons pas toucher. Wagner l’a compris qui a exprimé une philosophie à travers des légendes. Qui oserait commenter directement cette phrase ? Ariane en est cependant l’écho, écho très poignant, plus humain, mais écho tout de même ». Au second acte d’Ariane, l’héroïne qui impose en quelque sorte la délivrance et la lumière (c’est-à-dire la Vérité) aux femmes de Barbe-Bleue, s’écrie : « Mes pauvres, pauvres sœurs ! Pourquoi voulez-vous donc qu’on vous délivre, si vous adorez vos ténèbres ? » Voilà l’écho, et toute la partition de Dukas va le raconter, l’amplifier, le poursuivre jusqu’en ses plus lointaines résonances.
Pour aborder le rôle, c’est un véritable défi que relève la mezzo-soprano Sophie Koch, chanteuse chérie du public du Théâtre du Capitole. L’œuvre se révèle d’abord inhabituelle par sa conception très sérieuse et très symphonique. Et si elle fut accueillie avec admiration et même enthousiasme, elle n’a pas vraiment pris place au répertoire des grandes scènes lyriques pour une raison majeure : les exigences écrasantes que pose le rôle principal. En effet, même pas l’équivalent dans l’Elektra récent de Strauss ou dans l’Ange de feu à venir de Prokofiev (rôle de Renata) – 1923. Deux heures durant, Ariane chante presque sans arrêt, et son rôle exige de plus une tessiture fort étendue. Si la partition parle bien d’une mezzo-soprano, à certains endroits, il y a nécessité d’une véritable soprano dramatique (par exemple, dans l’Air des Diamants au Premier Acte, il faut tout de même monter jusqu’au La !!). Les “gosiers“ apprécieront la précision.
Le Chœur du Capitole sera présent. Tout autant, les musiciens de l’Orchestre du Capitole. La fosse n’a pas déçu depuis le début de saison, bien au contraire, tous pupitres confondus. L’ouvrage sera dirigé par Pascal Rophé. Formé au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, Deuxième prix de Concours international de jeunes chefs d’orchestre de Besançon en 1988, il fut assistant de Pierre Boulez à l’Ensemble Intercontemporain. Il dirige la création d’Akhmatova de Bruno Mantovani sur un livret de …Christophe Ghristi ! ce fut à l’Opéra de Paris en 2011. Ce chef est très friand des musiques du XXè siècle comme celles de Dusapin, Dutilleux, Tanguy, Dallapiccola, Escaich, Édith Canat de Chizy, Michèle Reverdy mais encore Chostakovitch et donc Dukas.
L’homme de théâtre italien, plutôt subversif ! Stefano Poda “truste“ la mise en scène, les décors, les costumes et les lumières. Et ce, afin de rendre aux opéras qu’il monte, toute leur rigoureuse unité esthétique et conceptuelle. Ses références de spectacles déjà donnés ne devraient pas porter à la somnolence le public du Théâtre !! Le baryton-basse Vincent Le Téxier sera Barbe-Bleue. Vous avez deviné que le rôle-phare, c’est plutôt Ariane. Ce qui le différencie du Château de Barbe-Bleue de Belà Bartok. Dans le rôle de La Nourrice, on remarque la mezzo-soprano Janina Baechle qui fut ici même une très belle Brangaëne dans un Tristan et Isolde. Une des “femmes“ de Barbe-Bleue, c’est Ygraine qui revient à l’une de nos récentes Walkyries, Marie-Laure Garnier qui vient de glaner encore quelques lauriers, tandis que les autres “fausses-malheureuses“, Sélysette, Mélisande, Bellangère seront interprétées respectivement par Eva Zaïcik, mezzo-soprano, Andreea Soare et Erminie Blondel. Il y a aussi un rôle mimé, Alladine. Oh ! heureuse surprise, c’est Dominique Sanda, une icône du cinéma français.
C’est en 1899 que paraît la brève pièce de théâtre de Maurice Maeterlinck, Ariane et Barbe-Bleue, conçue comme livret d’opéra, et sous-titrée La Délivrance inutile, et pour laquelle Paul Dukas s’enthousiasme immédiatement. Le poète belge a déjà acquis une réputation mondiale grâce à ses drames symbolistes, ne serait-ce que le fameux Pelléas et Mélisande. Si Maeterlinck en avait réservé les droits à Edward Grieg, ce dernier y renonçant bientôt, notre compositeur ne laissa pas passer l’occasion et se mit tout de suite à l’ouvrage. Il lui fallut sept ans pour en arriver à bout, presque fin 1906. Un de ses rares ouvrages qui échappa à toute destruction après avoir écrit le mot Fin.
Résumé du livret : Barbe-Bleue n’a pas fait périr ses femmes successives, comme on le croit. Il les a enfermées dans un souterrain sans lumière et sans liberté. Et il a épousé Ariane, qui arrive dans le château tristement fameux, pleine de curiosité, comme celles qui l’y ont précédée. Elle veut savoir le secret du maître. Elle aussi, elle ouvrira la porte défendue avec la petite clef d’or tentatrice. Mais c’est dans une intention différente : « D’abord, dit-elle, il faut désobéir. C’est le premier devoir quand l’ordre est menaçant et qu’il ne s’explique pas. » Elle ne juge pas commettre une faute et ne redoute point les conséquences de son audace. Elle ne craint pas Barbe-Bleue. Elle le brave. Les paysans du voisinage le lui livrent garrotté, le livrent à la vengeance de ses victimes. Mais Ariane défait les liens de Barbe-Bleue et demeure à sa merci, sûre de sa beauté et du triomphant effet de sa calme volonté. Barbe-Bleue reste interdit. Ariane alors prononce ce simple mot : «Adieu ! » et dépose un baiser sur le front de celui qu’elle va quitter pour toujours. Barbe-Bleue fait un mouvement pour la retenir. C’est en vain. Suivie de sa nourrice, Ariane se dirige vers de nouveaux destins, tandis que les autres femmes, délivrées par Ariane, qui leur a montré la beauté de la vie libre dans la lumière, entourent le maître blessé qu’elles ne veulent point abandonner, non plus que leur monotone servitude.
Travaillant dans un volontaire isolement, jaloux de sa liberté, plus sauvage encore que Debussy, Paul Dukas a ciselé dans la solitude et le silence, des chefs-d’œuvre dans lesquels un souci de la forme impeccable, le choix d’une matière sonore somptueuse et le sang-froid d’une volonté réfléchie composent une synthèse que l’on pourrait qualifier de parnassienne. La richesse verbale, la couleur éclatante, le purisme et l’impassibilité de José-Maria de Hérédia, de Leconte de l’Isle et de Villiers de l’Isle-Adam, ce Parnassien d’avant le Parnasse, se retrouve dans les partitions de Paul Dukas, partitions qui réussissent à provoquer l’émotion dans le domaine de l’intelligence et de la perfection réalisée. Partitions peu nombreuses parce qu’elles sont toutes les fruits d’une méditation prolongée. Une autocensure impitoyable en a encore réduit le nombre.
De Paul Dukas lui-même, 1910, commentaire paru pour la première fois dans le numéro spécial de la Revue Musicale, mai-juin 1936 : « Personne ne veut être délivré. La délivrance coûte cher parce qu’elle est l’inconnu, et que l’homme (ou la femme) préfèrera toujours un esclavage “familier“ à cette incertitude redoutable qui fait tout le poids du “fardeau de la liberté“. Et puis, la vérité est qu’on ne peut délivrer personne : il vaut mieux se délivrer soi-même. Non seulement cela vaut mieux, mais il n’y a que cela de possible. Et ces dames le montrent bien (très gentiment) à cette pauvre Ariane qui l’ignorait…et qui croyait que le monde a soif de liberté alors qu’il n’aspire qu’au bien-être : dès qu’on a tiré ces dames de leur cave, elles lâchent leur libératrice pour leur bijoutier-bourreau (beau garçon d’ailleurs) comme il convenait ! C’est là le côté “comique“ de la pièce, car il existe, au moins dans le poème, un côté satirique dont la musique ne pouvait tenir compte sans rendre l’ouvrage tout à fait inintelligible.
Mais, vu du côté d’Ariane, et en laissant de côté les piètres marionnettes qui lui servent de comparses, ce refus de la liberté prend un caractère tout à fait pathétique, comme il arrive lorsqu’un être supérieur qui se croit indispensable éprouve que l’on a nul besoin de lui pour un dévouement héroïque, et qu’il suffit aux médiocres d’une solution médiocre.
Il faut donc que l’interprétation d’Ariane rende sensible aux spectateurs le drame intérieur de l’héroïne, drame que la musique exprime d’autant plus intensément que les paroles prononcées sont “indifférentes“. »
D’Olivier Messiaen, le plus célèbre de ses nombreux élèves au Conservatoire de Paris dans la section enseignement de composition dans laquelle il exerça jusqu’à sa mort en 1935, extrait de la Revue Musicale, même numéro : « L’orchestre d’Ariane. Tout orchestre bien fait joue, par rapport à la musique qu’il orne, le rôle des projecteurs électriques au théâtre : il dessine, précise, féerise parfois, éclaire toujours. L’orchestre d’Ariane ne pouvait manquer d’avoir ces qualités. Il en a d’autres, qui donnent à cette musique une rutilance, une somptuosité éblouissantes. Ne les portait-elle pas en soi ? Certes !mais elles restaient cachées au profane. Seul, le technicien averti en pouvait pressentir les splendeurs. Comme son ami Debussy, Dukas aimait l’Orient. Et il y a quelque chose de l’Orient dans son orchestre. »
N’oubliez pas de consulter le très riche programme entrant dans la rubrique l’Atelier du spectateur.
Billetterie en Ligne du Théâtre du Capitole
Théâtre du Capitole
Ariane et Barbe-Bleue • Paul Dukas
du 04 au 14 avril 2019
Affiche / Sophie Koch © Zakari Babel