Pour l’avant-dernier concert de la saison, la Salle Nougaro fait encore le plein, dans une effervescence bon enfant.
Dès le début du concert, un vieux blues de derrière les fagots, nous sommes saisis par la Voix, The Voice. Big Daddy Wilson, c’est la classe : non seulement vocale, mais aussi le costume et le chapeau gris perle, avec des lunettes noires de star, et des souliers noirs vernis qui esquissent des pas de danse sur les soli du guitariste.
Il est entouré par d’excellents musiciens italo-américains : Cesare Nolli : Guitare, chant, Paolo Legramandi : Basse, chant et Nik Taccori : Batterie, chant, et les chœurs sont aussi travaillés que la mise en place rythmique.
Le son est superbe, avec des basses parfaitement audibles, et je regrette de ne pas avoir la place pour danser, mais je ne suis pas le seul : les 400 sièges swinguent littéralement sur place.
Ce quatuor de luxe bien rodé nous offre des reprises comme Railroad Worksong, Cross Creek Road, 7 years, Time fly like, Miss Dorothy Lee, Midnight Rider, Mississipi John (hommage au grand musicien du même nom, Mississipi John Hurt), mais aussi des compositions personnelles du chanteur comme Anna Mae (dédié à son épouse), Texas Boogie (pour une big Mamma aux avantages évidents quand il était jeune), Neckbone Stew ou Country Boy Medley…
Avec classe toujours, à plusieurs reprises, Wilson laisse la scène à ses musiciens qui prennent autant de plaisir que lui à jouer cette musique, cela s’entend et cela se voit.
Le chanteur prend à son retour un washboard (planche à laver, instrument traditionnel de la Nouvelle Orléans) sur un titre, et plus tard sur un autre, une one string guitare, une guitare à une corde (qu’il surnomme Diddley Bo avec affection pour le guitariste précurseur du rock du même nom).
Ils terminent 2 heures de concert par un medley où chacun des musiciens se lance dans un solo vocal, avec des reprises de Sex machine (James Brown), Dock of the bay (Otis Reding), My girl (Smokey Robinson), Stand by Me (Ben E.King), When the night, Feel so good, Baby don’t like etc. pour un public debout.
Big Daddy Wilson – Baby´s Coming Home Again (official music video)
https://www.youtube.com/watch?v=eHq_c7AbUlc
Big Daddy Wilson est né dans une petite ville appelée Edenton, moins de 6000 habitants, dont 55% d’Afro-Américains, 25% en dessous du seuil de pauvreté, en Caroline du Nord.
“Nous étions très pauvres mais j’ai eu une très belle enfance, se souvient Wilson. Mes sœurs et moi avons été élevés par notre mère et notre grand-mère. Notre vie était simple, nous allions à l’église chaque dimanche et à l’école les autres jours. Pour me faire de l’argent de poche, je travaillais aussi dans les plantations de tabac et dans les champs de coton, j’étais un vrai “country boy”. Il a grandi en écoutant le gospel de la paroisse de sa petite ville de Caroline du Nord et la country qui s’échappait du poste de radio. La soul et le funk croiseront par la suite le Blues.
Wilson quitte ensuite l’école à 16 ans et rejoint peu après l’armée américaine en Allemagne. Pour un noir, pauvre, les emplois intéressants sont en effet rares dans les petites villes du Sud et l’armée reste une alternative sérieuse. Quelques années après son arrivée, Wilson se marie avec une allemande et décide de rester dans le pays. Paradoxalement, c’est en Allemagne qu’il découvre le blues pour la première fois quand sa femme le traîne à un concert. C’est une véritable révélation pour lui qui n’avait jamais écouté que du Gospel à l’église et de la country music sur les radios locales d’Edenton… !
En peu de temps, le garçon timide qui s’était contenté jusque-là d’écrire quelques poèmes commence à composer, monte sur les planches, envahi la scène blues germanique, développe un style vocal unique, puissant et chaud qui porte des histoires qui touchent profondément son auditoire, et se fait vite remarquer par son timbre de voix si particulier et son enthousiasme communicatif.
Ami de longue date d’Eric Bibb (2) (compagnon de route du cher Jean-Jacques Milteau (3), grand harmoniste devant l’éternel) qui a écrit pour lui le titre « Hold the Ladder » sur le disque “I’m Your Man”, il prêche : Le Blues est un sentiment ! ressentez le avec moi !
Big Daddy Wilson & Eric Bibb – « Hold the ladder »
https://www.youtube.com/watch?v=CiOL6GFAiD4
Sa musique est un savoureux mélange de blues, de gospel, mais aussi de soul, de funk et de reggae, dont témoignent ses concerts et son quatrième album solo « Neckbone stew ».
Ce soir, la Salle Nougaro est vraiment le temple de celui qui lui a donné son nom, pour un concert en l’honneur non pas de sa Majesté le Jazz, mais sa Majesté le Blues !
… Ouvrez les gaz
Voici l’Altesse
Laissez passer Sa Majesté le Blues
La nostalgie mélangée d’extase
Laissez passer Sa Majesté le Blues
Devant une T.S.F de mil neuf cent quarante
Qui balance une musique
Venue du fond des tripes
Du fond de l’âme, du fond d’la caisse
Laissez passer Sa Majesté le Blues
Laissez passer Sa Majesté le Blues.
Et son maitre de cérémonie, ce soir c’était Big Daddy Wilson.
Nous attendons maintenant avec impatience la prochaine saison de la Salle Nougaro.
E.Fabre-Maigné
29-V-2018
1) Big Daddy Wilson : https://www.bigdaddywilsonb.de/
2) Eric Bibb : www.ericbibb.com/
3) Jean-Jacques Milteau : www.jjmilteau.net/