À la Cave Poésie, la marionnettiste russe présente son premier spectacle de théâtre d’objets dont elle est également l’interprète.
Disons le tout de go : la pièce de Polina Borisova à la Cave Poésie est une pure merveille. C’est en 2011, après sa sortie de l’ESNAM de Charleville-Mézières et un compagnonnage à Odradek, pôle de création et de développement pour les arts de la marionnette, près de Toulouse, que la marionnettiste originaire de Sibérie crée « Go ! », théâtre d’objets et de masques.
Sur le plateau-écrin de la Cave Poésie, quatre espaces, quatre îlots de lumière accueillent les va-et-vient d’une vieille femme pliant sous le poids des années. Sous la perruque blanche et le demi-masque aux traits ridés, pointent deux yeux bleus vifs qui parfois viennent chercher les vôtres : Polina Borisova elle-même. Voutée, traînant les pieds dans ses chaussons, les chaussettes remontées jusqu’au genoux, la grand-mère désœuvrée – que l’on devine inspirée d’un modèle familial – vaque dans son appartement, de souvenirs en gestes quotidiens. Elle verse dans une coupelle des croquettes à un chat invisible, retrouve des objets épars, des cartes postales, une médaille, une boite à crayons d’enfant, une photo de jeunesse : autant de bouts de vie qui la replongent dans sa mémoire liée à son pays, la Russie. La vieille dame a été belle et amoureuse, elle est aujourd’hui seule, prête pour son dernier voyage…
C’est effectivement à un voyage intérieur que nous convie la marionnettiste avec ce spectacle délicieux, sans paroles, emprunt de nostalgie mais porté par une grande vitalité. Sur le plateau, rien de “spectaculaire”, pourtant le spectacle s’avère total, faisant jaillir une succession d’états d’émotion chargés par ces petits riens de tous les jours qui remplissent nos vies et par ces souvenirs qui se confondent parfois avec le présent. Munie d’un rouleau de scotch-papier, Polina Borisova dessine des formes sur un rideau noir tendu en fond de scène, faisant apparaitre sous nos yeux un chat, une porte, un téléphone à fil, un homme à chapeau. Elle recrée, en quelques traits scotchés, une foule sur un quai de gare et fait revivre un abandon douloureux – une bande-son venant en soutien à ces évocations. Les objets usés, cassés, prennent vie sous ses mains : un vieux 33 tours brisé, frotté manuellement, fait entendre une chanson nasillarde, des crayons de différentes grandeurs et couleurs taillés jusqu’à l’os se transforment en petits soldats, une valise que l’on ouvre laisse échapper des rumeurs d’une cour de récréation…
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L’univers symbolique et magique de Polina Borisova invite à la rêverie intime, un endroit où l’on aime se pelotonner comme un chat au coin du feu… Mais si Polina Borisova est dotée d’un imaginaire richement nourri, elle sait aussi habiter physiquement l’espace scénique. Derrière les petits pas lents de sa grand-mère, une présence émouvante, fragile, mais aussi clownesque quand elle vous fixe soudainement derrière ses grosses lunettes de chouette ou lorsque ses mouvements sont pris d’accélérations subites ou, au contraire, soumis à des séquences de « slow motion » qui ne manquent pas de créer l’hilarité.
“Go !” c’est l’histoire d’une vieille dame que nous connaissons sûrement et que nous deviendrons probablement, qui s’échappe de son appartement, de sa vie, pour s’envoler une dernière fois, en laissant derrière elle la porte ouverte …
Une chronique de Sarah Authesserre pour Radio Radio
– du mardi 20 au samedi 23 décembre à la Cave Poésie René Gouzenne (71, rue du Taur, 05 61 23 62 00, cave-poesie.com)