La Pause musicale d’été du bon Joël Saurin a commencé en beauté au Jardin Raymond VI (1) avec le trio vocal féminin Cocanha, Cocagne, Maud, la montalbanaise, Lila, la toulousaine-rouergate et Caroline, la béarnaise-gasconne, aux votz & percussions : tamborins de còrdas, caxixis (petits instruments de percussions en forme de hochet contenant des graines ou du riz), mans (mains), pès (pieds), botelha e culhèr (bouteille et cuiller).
Le vent vient les accompagner en jouant des percussions dans la toile qui couvre la grande scène ; même si elles n’en ont pas besoin, tant leurs mains, leurs pieds, leurs corps, leurs voix, composent déjà un petit orchestre rythmique, sans parler du tom tom (prononce tun tun (2), le tambour pyrénéen à cordes dont Caroline et Lila se servent avec virtuosité : des percussions sonnantes et trébuchantes.
On a tout de suite des fourmis dans les jambes, et dès les premiers morceaux des danseurs retrouvent les pas traditionnels devant la scène, en couples ou en rondes ; même les enfants qui jouent à côté de la scène, en particulier les filles, s’arrêtent bouche bée pour les écouter et les applaudir.
Elles enchainent bourrée auvergnate, branle pyrénéen, scottish, ronde, valse d’Aveyron, passent de la chanson triste de cette fille de prince amoureuse d’un condamné à mort à celle évoquant les chants des artisans remplacés par les machines ou celui des meuniers landais sur leurs échasses : et le public reprend en chœur les réponses de celle-ci qui devrait être « un tube de l’été ».
Tour à tour en solo, duos ou chœurs, ce sont trois voix, ancrées, timbrées, touchantes. Avec Toulouse comme point de rencontre, le trio chante haut et fort cette langue occitane du quotidien, véritable terrain de jeu vocal. Mains et pieds claquent les rythmes de la danse. Les tambourins à cordes pyrénéens installent le bourdon percussif, brut et enveloppant, apportant au chant une pulsation vitale. Forte de son ancrage, Cocanha chante une musique indigène dans la continuité de la création populaire, propose un répertoire occitan à danser, pour faire sonner la langue dans la danse, la fête et la rencontre.
Elles ont fait le pari d’explorer les variantes dialectales, poétiques et savoureuses ; nourries par la transmission orale et des années de pratique, elles arrangent les mélodies et changent les paroles à leur guise, façonnant un répertoire qui leur ressemble.
Elles me font penser par moment aux girls bands de la soul ou du jazz, en particuliers aux afro-américaines (Crystals, Ronettes ou Suprêmes etc.), mais surtout à ces groupes vocaux italiens qui me donnent le frisson, dans la tradition des Mondines (3), autour de Giovanna Marini et Lucilla Galeazzi, du Nuovao Canzoniere italiano à l’Arpeggiatta de Christina Pluhar, et aux piémontaises d’Ariondela, tant les harmonies vocales sont superbes, travaillées mais naturelles, à mi-chemin entre tradition et modernité.
Caroline Dufau, sensuelle figure de proue, respire la joie de vivre et de chanter, et je l’imagine Trobairitz (4) au XIIème siècle, dans une Cour d’Amour (une réunion artistique), au château de Puivert (5) par exemple, avec le Troubadour Peire d’Alvernha dont la « galerie littéraire » fut imaginée en ce lieu: « Lo vers fo fagz als enflabotz a Pog-vert tot jogan rizen. Ce vers fut composé au son des cornemuses à Puivert, tout en jouant et en riant ».
Ne les ratez pas si elles passent en concert par chez vous, ni leur disque récemment paru, i ès ? (www.pagansmusica.net) et ne vous laissez pas détourner par la pochette, un tantinet provocatrice qui représente un croisement urbain avec une sculpture tout le contraire de phallique comme on en voit tant, au milieu des voitures. La force de leurs chants généreux et sincère, entremêlés entre monodie et polyphonies, harmonies et rythmiques, réside dans l’alchimie des voix, le bourdon qui soutient, la voix haute qui brille, l’unisson qui prend aux tripes… Cet éventail sonore fait décoller l’imaginaire.
Cocanha déborde de générosité pour son public, pour les habitants de l’Occitanie et ses hôtes, comme les Carmina burana, ces chants de clercs vagabonds joyeux et rebelles qui célébraient le vin, l’amour libre, le jeu, comme ce vocable qui donna, entres autres étymologies, son surnom synonyme de richesse au Lauragais où l’on cultivait le pastel ; Cocanha, c’est le pays de cocagne des chants polyphoniques à danser !
E.Fabre-Maigné
23-VII-2017
Pour en savoir plus :
1) Jardin Raymond VI : comptant parmi les espaces verts les plus récents de la ville, il réserve aux promeneurs une vue imprenable sur la Garonne. Jouxtant d’un côté le vieil Hôpital La Grave, son dôme et ses belles cours (hélas à l’abandon), de l’autre le musée d’art moderne et contemporain des Abattoirs, il incite à la détente. Son esplanade fournit un des plus beaux points de vue sur la Garonne et sur ce gué par lequel le Comte du même nom, a franchi la Garonne, de retour d’exil en 1217.
2) Le tambourin à cordes ou, en occitan tamborin et de façon plus populaire, tom-tom, est un instrument à cordes frappées de la famille organologique des tambour-bourdon. Ces cordes, de quatre à douze, frappées par une baguette de bois souvent gainée de cuir nommée pimbo, sont accordées généralement en tonique, on retrouve par exemple la quinte la-mi ou sol-ré.
Ainsi, le tambourin à cordes produit une basse mélodicorythmique. La qualité d’un tambourin à cordes se mesure par sa capacité à émettre le son et la percussion. Ainsi, l’auditeur perçoit la musique (la base sol-ré ou la-mi) en même temps que la percussion des cordes qui doit se ressentir. D’autres préfèreront la résonnance grave de l’instrument… Le tambourin à cordes est d’abord et avant tout un instrument qui sert à accompagner cérémonie et danses. Il réunit, avec la flûte qui l’accompagne, les trois conditions pour faire de la musique qui se danse : le rythme, l’accompagnement, en l’occurrence la musique bourdon du tambourin…
3) Mondines : ouvrières des rizières du Nord de l’Italie (représentées par Silvana Magnano devenue symbole de sensualité dans le film Riz amer), qui ont créé Bella ciao, un hymne de révolte repris par les Partisans contre le fascisme.
4) Troubadours au féminin, femmes et auteures en un temps peu favorables à la reconnaissance de leurs droits, les « trobairitz » n’ont pas échappé depuis au double écueil des préjugés ou tout au contraire du mythe. Pourtant, tour à tour louées ou condamnées, leurs productions n’en demeurent pas moins quasiment méconnues.
Voir Pierre Bec « Trobairitz et chansons de femme », contribution à la connaissance du lyrisme féminin au moyen âge (Cahiers de civilisation médiévale Année 1979 volume 22 numéro 87 pages 235-262)
5) Château médiéval dans l’Aude dans la Salle des Musiciens duquel l’on peut voir des « culs de lampes » qui représentent des personnages en buste finement ouvragés jouant chacun d’un instrument différent : l’orgue portatif ou organetto, le rebec,la harpe médièvale, la cornemuse, la flûte, le luth, la guiterne, le psaltérion, la vièle à archet, et le tambourin bien sûr.