On ne va pas tourner autour du pot. Les trois représentations de cette Lucia di Lammermoor ont suscité un enthousiasme certain chez les spectateurs. Des spectateurs qui ne sont pas tous sourds et aveugles. Cela étant précisé pour les quelques mines, mi-figue, mi-raisin, repérées, pleines de références toujours, de morts et mortes. Oui, nous sommes ravis de ce spectacle. La production était connue de la plupart d’entre nous mais ce n’est pas pour autant qu’elle a été boudée.
Une production de Nicolas Joël, de presque vingt ans bientôt, au service, d’abord du chant. Tiens, aurais-je écrit quelque incongruité ? Une production à l’effet monumental, esthétiquement très réussie et aboutie, d’Ezio Frigerio et de Franca Squarciapino. Les décors et costumes réagissent magnifiquement aux lumières de Vinicio Cheli. Sans aucun excès mélodramatique, c’est un écrin somptueux pour tous les protagonistes. On devine un metteur en scène manifestant un immense respect pour la musique et les interprètes.
Alors, faisons un peu de provoc’ : va-t-on regretter, les poutrelles de Serban qui embarrassent la scène et les chanteurs voués aux équilibres précaires, la laideur assurée de tout, décors, costumes, accessoires, merci Martinelli, un maître-chien et son berger allemand, une tour aux vitres explosées, un fantôme de l’ancêtre de Lucia trimbalant un seau métallique, c’est la fontaine ! merci Michieletto, une Lucia soumise à la charge amoureuse de son Edgardo en avant-scène, se retrouvant enceinte, fait une fausse couche – le sang ! pendant qu’on ne perd rien du malheureux Arturo poignardé, égorgé, merci Katie Mitchell ? A tous ces délires, nous préférons cette vision quasi onirique d’un des chefs-d’œuvre de l’opéra romantique.
Dans la fosse, on ne lambine pas. Maurizio Benini emporte toutes les forces orchestrales, tient ses troupes et guide solistes et chœurs avec une efficacité sans faille. Sandrine Tilly ne tremble pas une seule seconde dans cet exercice périlleux que constitue L’Air de la folie. Deux musiciennes à l’unisson qui rassurent le public. Les chœurs mis en condition par leur Directeur Alfonso Caiani sont splendides, on peut le dire. Leurs costumes sont un atout, et le chant en paraît plus beau !!
Pas de meurtre en avant scène, pas d’accessoires inutiles, rien pour perturber la marche en avant inexorable du drame. Les seconds couteaux participent à la réussite de l’ensemble aussi bien l’Alisa de la mezzo Marion Lebègue que l’Arturo du ténor Florin Guzga que Luca Lombardo pour un Normanno de luxe.
De bout en bout, Maxim Kusmin-Karavaev est une très belle basse pour le rôle de Raimundo, et nous arrivons au trio dans lequel on retrouve Vitaliy Billyy. C’est un très bel Enrico, baryton tranchant aux aigus vaillants, au chant puissant et très assuré, moins monolithique et brutal que dans un certain Renato, jamais vociférant, ni braillard, emporté mais Enrico n’est pas un vieux, ni un tendre.
Si l’on discute toujours des difficultés du chant pour Lucia, reconnaissons que Donizetti n’a pas ménagé la partition d’Edgardo. La dernière scène, c’est tout pour lui. Et ce sera sans sanglots et hoquets dans la voix. On loue chez certains autres ténors, le timbre, le phrasé très expressif, les aigus percutants, la sûreté absolue dans l’expression, la diction, eh bien, on peut remarquer que Serge Romanovsky a toutes ses qualités et mérite largement les applaudissements nourris qui l’ont accueilli au rideau final. Le « o bell’alma innamorata » ne l’a pas vu faillir une seule seconde. Chapeau ! Notons une aisance allant grandissante au fur et à mesure des représentations.
Quant à Nadine Koutcher, c’est une heureuse surprise. Venant après une très belle Comtesse dans les Noces sur cette même scène, le choix pouvait surprendre. Et là,toutes les difficultés du rôle semblent évanouies par enchantement. Les vocalises sont là, les contre-ré et contre-mi bémols ne sont pas trafiqués !! une belle palette de nuances et de couleurs sans excès. La chanteuse n’en rajoute pas, pas d’yeux révulsés, ni de roulades sur la scène, ni de roucoulements à n’en plus finir, ni de robe qu’on déchire. On est admiratif, et le public est, lui, déjà passé à l’enthousiasme. Et ce n’est qu’un début. Si je ne me trompe, c’est une prise de rôle. Mais, quand on a travaillé avec un certain Teodor Currentzis, tout s’explique. Lucia évanouie après un aigu déchirant fait l’objet d’un très beau traitement de mise en scène.
Il vous reste trois représentations, c’est tout.
Michel Grialou
Théâtre du Capitole
Lucia Di Lammermmor (Gaetano Donizetti)
du 19 au 30 mai 2017
photos © Patrice Nin