Compte-rendu concert. Toulouse, Halle-aux-Grains, le 17 février 2017. Debussy. Ravel. Chausson. Lucas Dabargue, piano. Tugan Sokhiev, direction.
La première interprétation du Concerto en sol de Ravel pour Lucas Debargue aura marqué les spectateurs. Car en effet le jeune musicien que nous avions beaucoup aimé lors du festival Piano aux Jacobins, voir notre chronique, a été très imaginatif. Il a osé sortir des sentiers habituels et a donné à cette œuvre, prise dans tant de fausses traditions, toute sa modernité en une poésie assumée laissant la virtuosité à une place ancillaire. Certes les amateurs de gros doigts, de sons forts, et de jazz spectaculaire seront restés sur leur faim. Pour les amateurs de poésie en musique, de nuances subtiles, de rubato élégant et de délicatesse virile, ce concerto a été une vraie fête. Au lieux de mettre en valeur la virtuosité rythmique ou la force pulsionnelle de cette partition, Lucas Debargue et Tugan Sokhiev ont osé beaucoup plus de nuances, de couleurs subtilement accordées et de poésie que ce qu’une certaine « tradition » ou « routine » propose. Ravel est un musicien subtil et le jazz est avant tout souplesse, liberté et non arrogance. L’Adagio assai a passé comme un voyage dans les cieux. La main gauche chaude et ferme a tendu son tapis et la main droite de pure poésie liquide a chanté. Les cordes de velours et les bois d’humaine tendresse ont enrubanné le songe. Les cuivres offrant ce qu’il faut de force juste évoquée. Tugan Sokhiev a dirigé en poète de l’orchestre avançant sur le même fil que Lucas Debargue en une apesanteur surnaturelle. Rien que pour la grâce de ce mouvement la vision si poétique de Lucas Debargue trouve sa justification. Le public stertoreux et tousseur de l’hiver a même su faire silence c’est tout dire… Le final a gardé une totale élégance et une grande liberté de ton ce qui a considérablement rendu la partition de Ravel à sa vraie modernité et ses audaces qui sont d’un poète, d’un peintre et d’un danseur non d’un révolutionnaire. L’humour fin et sans férocité, ainsi qu’un jeu pianistique délicat, des instrumentistes survoltés, ont créé un moment énergisant sans excitation vaine. Le succès de Lucas Debargue le conduit a jouer deux bis : la 1ère Gnossiennes d’Erik Satie, puis la 4ème Ballade de Gabriel Fauré avec la même poésie infinie. Lucas Debargue est assurément un grand musicien.
Si la création française de la partition originellement prévue « Sawti’l Zaman » de Benjamin Attahir n’a pas pu avoir lieu, faute de temps de préparation en raison de l’indisponibilité du chef, nous avons eu la «re»création de concerto en sol par des poètes de première grandeur !
En deuxième partie de concert la vaste symphonie de Chausson a été magistralement dirigée par un Tugan Sokhiev enthousiaste. Assumant pleinement l’amour pour Wagner contenu dans la partition, le chef a choisi la puissance et l’opulence sonore. Les vastes phrasés, les nuances profondément creusées et les couleurs comme saturées ont été magnifiés. La fusion entre cette monumentalité teutonne et une texture plus française a créé un son assez porteur de nouveauté. L’énergie que Tugan Sokhiev déploie dans sa belle direction, son engagement et la manière dont il détaille la structure est impressionnante. Le voyage fait connaître de vastes espaces, et le souffle rugit avec la force d’un post romantisme assumé. Les instrumentistes sont comme sur des charbons ardents. L’art symphonique hybride franco-allemand contient une force quasi invincible lorsque les interprètes sont si investis.
Pour ouvrir ce concert, Prélude à l’après midi d’un faune de Debussy avait préparé nos oreilles avec délicatesse. La flûte de Francois Laurent dont nous connaissons le riche métal et le vibrato maîtrisé a osé jouer « petit ». Un son évocateur de simple roseau et comme une musique inventée devant nous presque timide. Tugan Sokhiev a laissé son orchestre jouer avec d’infinies nuances, en toute simplicité, sans ostentation de richesse.
Un concert magnifique, plein de force, d’audace, d’énergie, de vie prouvant combien la musique française du siècle dernier contient une modernité qui ne demande qu’à s’exprimer.
Compte-rendu concert. Toulouse, Halle-aux-Grains, le 17 février 2017. Claude Debussy (1862-1918) : Prélude à l’après midi d’un faune. Maurice Ravel (1875-1937) : Concerto pour piano et orchestre en sol majeur. Ernest Chausson (1855-1899) : Symphonie en si bémol majeur op.20. Lucas Dabargue, piano. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Tugan Sokhiev, direction. Photo : L. Debargue © Felix Broede