Sous la direction de Tito Ceccherini, « l’Enlèvement au sérail » est à l’affiche du Théâtre du Capitole à Toulouse, dans la mise en scène de Tom Ryser, avec la soprano Jane Archibald et la basse Franz Josef Selig.
Créé à Vienne en juillet 1782, « l’Enlèvement au sérail » est un Singspiel qui s’imposa comme l’un des tout premiers chefs-d’œuvre lyriques de langue allemande. Lorsque Wolfgang Amadeus Mozart achève l’ouvrage, il a déjà à son actif un certain nombre d’opéras parmi lesquels « la Fausse jardinière » et « le Roi pasteur » en 1775, ou encore « Idoménée », créé à Munich en 1781 – année de sa rupture avec son employeur salzbourgeois, l’archevêque Colloredo. Désormais installé à Vienne, il vit de ses compositions, de leçons et de concerts. Mozart est alors un homme enfin libre : professionnellement puisqu’il a quitté l’année précédente l’archevêque Colloredo pour gagner Vienne, où il entend mener une carrière indépendante ; mais aussi sur le plan personnel car il épouse le 4 août suivant Constanze Weber, contre la volonté de son père.
« L’Enlèvement au sérail » est composé à une période où l’empereur Joseph II, couronné en 1776, entend favoriser l’émergence d’un opéra allemand au Burgtheater de Vienne ; il promeut ainsi le genre du Singspiel auquel se rattache l’ouvrage, de même que « la Flûte enchantée » – composée en 1791. Chanté en allemand, le Singspiel se caractérise par une alternance de passages chantés («singen») et parlés («spielen»).
Acclamé par le public, « l’Enlèvement au sérail » ne se singularise pas par son livret, bien ficelé par Gottlieb Stéphanie le Jeune mais au récit assez convenu à l’époque. Il brille surtout par sa partition capable de restituer les atmosphères et de donner à sentir les moindres inflexions de l’âme. Genre d’opéra-comique allemand, l’ouvrage narre comment de jeunes amoureux éloignés récupèrent leur liberté à la cour d’un Sultan. De la turquerie fort en vogue à l’époque, Mozart fait émerger à travers la personnalité d’Osmin le portrait d’un bon barbare – figure très présente dans le théâtre de l’époque – voire celui d’un despote éclairé à la manière de l’Empereur Joseph II – commanditaire de l’œuvre.
Invité à diriger l’œuvre dans la fosse du Théâtre du Capitole, Tito Ceccherini assure : « Selon moi, « l’Enlèvement au sérail » manifeste surtout la maturité musicale nouvelle de Mozart, sur un plan musical d’abord, mais aussi dans son rapport au théâtre. La liberté, oserais-je dire, la désinvolture avec laquelle l’invention musicale déploie sa richesse en accord parfait avec la dramaturgie me surprend sans cesse. La musique est en accord avec la narration : elle ne se met pas nécessairement à son service mais en constitue l’âme, la vie. En ce qui concerne la nature profonde de la pensée musicale et théâtrale de Mozart, l’écriture vocale contribue à compléter, à définir, à enrichir le profil psychologique de chaque personnage, réussissant avec originalité à donner une impulsion dynamique plutôt qu’un portrait statique et attendu. En cela, le succès de l’opéra dépasse et transcende tous les précédents, tout en annonçant une tendance que Mozart approfondira dans ses œuvres à venir », prévient le chef d’orchestre.
Pour Tito Ceccherini, « l’architecture musicale, ample, offre à chacun des rôles un espace suffisant pour développer bien davantage que le stéréotype habituel, à commencer par Osmin, personnage qui, typiquement, aurait dû être réduit à un déguisement, et à qui Mozart offre une épaisseur, une place qui rend le gardien du sérail inoubliable à tous les niveaux et qui fait de ce personnage l’un des plus marquants de son théâtre, pourtant si riche. Pour les rôles de Belmonte et de Konstanze, l’originalité de leur conception musicale, tant sur le plan formel que dans leur déclinaison vocale, permet de déployer au maximum leur potentiel expressif. Pensons à la souplesse avec laquelle, dans les deux premiers airs de Belmonte, la musique traduit simultanément son profil psychologique ainsi que sa situation dans l’histoire. Vraiment, c’est grâce à cette inventivité musicale, que l’on se libère de tous les schémas conventionnels, que ces “portraits en mouvement” parviennent à dépasser les frontières des formes closes », assure le chef italien.
Interprète du rôle parlé du Pacha Selim, Tom Ryser est aussi le metteur en scène de cette nouvelle production conçue en coproduction avec les opéras de Fribourg, Lausanne et Tours. Il rappelle que «Mozart propose ici sa critique d’une société différente de la sienne, qu’il situe dans un pays lointain, démarche plus simple que de traiter des problèmes de votre propre pays. De nos jours, le monde est devenu plus petit. Nous connaissons la politique du monde entier et la réalité de chacun s’est rapprochée de ce qui n’était que des histoires. Ainsi, en tant que metteur en scène, on se doit de choisir soigneusement l’image que l’on va proposer, et de respecter le sens même de l’œuvre, sans trop se référer à une situation politique concrète. Parce que cela amoindrirait l’idée même que défend Mozart. D’autant que comprendre et traiter un personnage, ne veut aucunement dire qu’on en valide le comportement.»
Après sa Reine de la Nuit dans « la Flûte enchantée » à la Halle aux Grains, on attend avec impatience le retour de la soprano canadienne Jane Archibald, l’une des fameuses interprètes de Konstanze. Membre de la troupe de l’Opéra de Zurich, le ténor suisse Mauro Peter fera ses débuts sur la scène du Capitole, avant de chanter en fin de saison le rôle de Belmonte à la Scala de Milan. Déjà entendu à Toulouse en Peneos dans une récente « Daphné », de Richard Strauss, la basse allemande Franz Josef Selig incarnera Osmin, l’un des rôles qui l’a imposé sur les grandes scènes lyriques internationales. Signalons également le retour du ténor russe Dmitry Ivanchey, sous les traits de Pedrillo, après ses débuts toulousains la saison dernière dans « Rigoletto ».
Jérôme Gac
Du 27 janvier au 5 février,
au Théâtre du Capitole
place du Capitole, Toulouse.
Tél. : 05 61 63 13 13.
Rencontres avant la représentation, 19h00 ;
Conférence, jeudi 26 janvier, 18h00,
au Théâtre du Capitole (entrée libre)
Crédits Photos :
« L’Enlèvement au Sérail »
© Alain Wicht / Opéra de Fribourg