Chaque mercredi, nous vous proposons de découvrir ou redécouvrir un film américain passé inaperçu lors de sa sortie.
S’il y a des hauts et des bas sur le plan artistique dans la longue et riche carrière de Brian De Palma, Body Double tient sans conteste le rôle du vilain petit canard. Réalisé en 1984, juste après l’énorme succès du remake de Scarface avec Al Pacino (comme si le réalisateur savait que la possibilité de monter un tel projet ne se représenterait pas de sitôt), le film fut un cinglant échec commercial tout en étant massacré par la critique. Ayant déjà montré sa fascination pour le cinéma d’Alfred Hitchcock (Sœurs de sang, Obsession, Pulsions, Blow Out), De Palma pousse ici encore plus loin l’imprégnation cinéphilique puisqu’il reprend à la fois les thèmes de Fenêtre sur cour et de Vertigo. Jale Scully, un acteur de second rang, perd son rôle de vampire sur un tournage fauché à cause de sa claustrophobie. Un malheur n’arrivant jamais seul, il découvre que sa petite amie le trompe et après un cours dramatique où le professeur le confronte à sa peur de l’enfermement, notre homme rencontre la sollicitude d’un autre acteur. Appelé pour un tournage à Seattle, ce dernier lui propose d’occuper un magnifique appartement, sorte de penthouse offrant une vue imprenable notamment sur le strip-tease très chaud auquel se livre tous les soirs une jeune femme aux longs cheveux bruns. Jake ne va pas rater le rendez-vous et repère un soir un Indien patibulaire observant lui aussi la belle depuis le toit d’un immeuble. Le lendemain matin, il croise en voiture sa voisine strip-teaseuse et décide de la suivre. Tout comme d’ailleurs le mystérieux Indien…
Même si les péripéties du scénario comptent moins que la façon dont elles sont narrées, on ne dévoilera pas plus avant les rebondissements de Body Double qui jongle habilement avec les motifs des deux films précités du maître du suspense : culpabilité, dédoublement, voyeurisme, phobie, pulsions sexuelles et morbides… Comme toujours chez De Palma, il est question des apparences, de la manipulation et de la dilution du réel dans un jeu de miroirs vertigineux. Body Double distille les fausses pistes et les mises en abîme avec une maestria totalement ludique jusque dans le kitsch de scènes osant surenchère et incongruité : le clip de Frankie Goes To Hollywood, le meurtre à la perceuse, la scène où le couple s’embrasse tandis que la caméra virevolte autour de lui… Il faudra attendre 2002 et l’excellent Femme fatale pour que le cinéaste aille aussi loin dans l’audace formelle et narrative. Paradoxalement, en affichant son goût pour l’artifice, Brian De Palma atteint là une sorte de premier degré et d’innocence qui dépasse le banal exercice de style sur fond de recyclage post-moderne de références et de citations. Déclaration d’amour au cinéma, en particulier au cinéma de genre et aux artisans de séries B ou Z, Body Double tient autant de la comédie retorse que du pur thriller à l’image de son anti-héros, un acteur ringard complexé, frustré et claustrophobe interprété par l’épatant Graig Wasson. À ses côtés, on découvrait la jeune Melanie Griffth (fille de Tippi Hedren, l’héroïne des Oiseaux et de Pas de printemps pour Marnie d’Hitchcock) dans le rôle d’une vedette du porno. Sans atteindre l’ampleur des plus grandes réussites de Brian De Palma (Blow Out, Outrages, L’Impasse), ce film étonnant, souvent oublié, mérite d’être découvert ou redécouvert.