Si pour beaucoup le métro est synonyme d’obscurité, d’enfermement et n’est qu’un point de passage banal et insignifiant, il peut aussi s’avérer être un lieu d’expression artistique original. A l’image du métro de Sao Paulo où des classiques littéraires sont proposés aux voyageurs ou encore celui de Lyon où l’on apercevait il y a peu, des collages du « street » artiste Sean Hart, le réseau de transports en commun de Toulouse s’est agrémenté, dès sa construction de multiples oeuvres d’art contemporain, dispersées dans toutes ses stations. Nous sommes donc allés à la rencontre de deux artistes investis dans l’art métropolitain toulousain : Jacques Vieille et Patrick Corillon.
Le métro : un véritable musée sous terre
Il est peu conventionnel de contempler des oeuvres d’art dans le métro, à l’instar de ce que l’on pourrait faire dans un musée. Pourtant, la ville rose, dès 1993, a décidé de procéder à l’embellissement de ses quais, halls et escaliers mécaniques avec au départ 18 créations, et près d’une quarantaine aujourd’hui sur les deux lignes du métro. Au total, c’est désormais quelques 48 productions artistiques qui sont installées sur l’ensemble du réseau de transports en commun SMTC-Tisseo.
L’idée était alors de confronter deux sphères : celle des voyageurs empressés, distraits et souvent absents à celle de l’invitation à l’imaginaire, à la mémoire ou à la réflexion. A l’origine, le projet fut un véritable travail de collaboration des architectes et des artistes, qui aujourd’hui d’ailleurs fait figure de référence en Europe. Pour Patrick Corillon, auteur de l’œuvre exposée dans la station François Verdier, une telle proposition artistique est capitale : « Les œuvres dans les lieux publics nous sortent de notre réalité quotidienne et chaque endroit a une charge symbolique ».
Pour ce qui est de sa réalisation, elle consiste en un arbre, le mallandier, installé sur trois niveaux, fait de moulages en plâtre, de dessins permettant ses contours et de carrelage noir brillant. Selon la légende, le mallandier prend racine à l’endroit où les soldats meurent au combat. L’artiste évoque donc l’idée du sous-terrain : « Je ne voulais pas que l’on se sente dans le noir. Le fait de plonger sous terre évoque pour moi le moment de se dire les choses ou de les penser. A François Verdier, je souhaitais évidement rendre hommage à la Résistance ». A cette fin, Patrick Corillon ne voulait pas d’un mémorial classique, figé dans le passé mais permettant d’évoquer des conflits contemporains.
Eveiller les consciences des usagers
Si ces réalisations font appel à la curiosité des utilisateurs, elles ont aussi vocation d’éveiller les consciences et pourquoi par toucher les passants. Jacques Vieille, architecte, paysagiste, horticulteur mais aussi décorateur, auteur de l’œuvre « Future Garden », un jardin suspendu à 10 mètres du sol, à l’extérieur de la station de métro Argoulets, voulait faire le lien entre l’intérieur et l’extérieur. Il voulait également cultiver des fruits en plein cœur de la ville : « Je souhaitais parler de la nature d’aujourd’hui et envisager son changement dont on n’a pas parfois peu conscience. Il s’agit d’une nature de plus en plus industrielle où le rendement commande l’évolution ». Pour Jacques Vieille, il est question d’attirer le regard du passant : « Ma création fait partie du paysage et se modifie selon les saisons ». Elle rappelle donc le cycle naturel des choses : selon lui toujours, « Sans vraiment y réfléchir, les usagers la voient évoluer ».
Patrick Corillon reconnaît lui, avoir un lien particulier avec les questions de la ville : « Les idées de vivre ensemble et de communautés qui partagent entre elles, m’intéressent beaucoup ». Dans de tels lieux, les gens font partie d’une seule et même communauté, celle des utilisateurs du métro. Pour l’artiste, « Ils viennent d’horizons différents et l’art dans le métro permet de relier ces personnes, pour qu’ensemble, elles se sentent concernées ».
L’art accessible à tous ?
Mais finalement, cet art contemporain facile d’accès, a-t-il un réel impact sur les utilisateurs du transport en question ? Si l’on plonge dans les profondeurs du métro à la rencontre des usagers réguliers, il ressort des quelques témoignages recueillis, qu’il s’agit d’une idée séduisante pour présenter au plus grand nombre une véritable offre culturelle. Pour autant, certains avouent ne pas vraiment prêter attention à ces œuvres. Au contraire, d’autres reconnaissent qu’elles leur apportent gaieté, bien-être et curiosité dans un lieu d’ordinaire triste, austère et froid. Quelques uns regrettent même le manque d’information et de mise en avant de ces artistes.
En outre, une enquête menée par SMTC-Tisseo a révélé que 60% de la population toulousaine utilisatrice des transports en commun, était consciente de la présence de ces œuvres sur le réseau. Pour SMTC-Tisseo, l’art a une place évidente dans les transports en commun. Notamment à l’initiative de ce projet, Christophe Halley des Fontaines en témoigne : « Nous relions les quartiers et les hommes. L’art relie lui aussi et fédère les pensées. Cela fait sens : le réseau crée une cohésion et un avancement tant spirituel que physique et l’art contemporain y contribue sans nul doute ». Jacques Vieille et Patrick Corillon souhaitent tous deux interpeller par hasard les voyageurs dans leur réalité quotidienne, sans pour autant être directifs : ce sont des créations en partage avec les autres.
Ces œuvres sont finalement des invitations et il ne tient qu’à l’usager d’y répondre.
Marjorie Lafon
Crédits Photos : Romain Saada / Thierry Schneider