La Biennale de quatuors à cordes de Paris s‘étend sur plus de 15 jours . Incroyable aventure qui donne rendez vous à bien des plus beaux ensembles du moment. Nous avons décidé de suivre les derniers jours de cette aventure. les comptes rendus ont été publiés sur classiquenews.com
Le Quatuor Danel à Paris
La douleur des larmes secrètes
Pour débuter, c’est dans l’intimité de l‘Amphithéâtre que le Quatuor DANEL proposait un programme court associant deux génies russes, amis mutuellement admiratifs, ayant vécu sous le joug stalinien. Le 10 ème quatuor de Chostakovitch permet de découvrir d’emblée la splendeur sonore dont sont capables les musiciens, dans la furie de ce début. C’est dans l’Andante que leurs qualités de phraseurs et de coloristes sont mises en valeur avec cette simplicité chaleureuse signe de l’amitié du compositeur envers Weinberg dont il admirait la musique. Un peu comme Haydn et Mozart qui s’admiraient et s’aimaient, il y a des allers retour entre les deux grands musiciens russes… C’est toutefois une puissance quasi beethovenienne qui conclut ce quatuor. Les quatre musiciens maitrisent admirablement cette partition et semblent en connaître toutes les subtilités. Leur interprétation magistrale est très impressionnante.
La découverte de Weinberg débute par un trop court extrait de son quatuor n° 7, un Notturno. Toute la poésie du monde se trouve dans cette partition qui sonne aussi originale que familière. Cette sorte de passage nous permet de mieux apprécier l’originalité incroyable du quatuor n° 6 en mi mineur de Mieczyslaw Weinberg. Partition en 6 mouvements mise à l’index pour trop grand formalisme… Le Quatuor Danel en a assuré la création mondiale seulement en 2007. La censure est toujours ignoble mais quand elle concerne un chef d’oeuvre de cette envergure, c’est innommable!
Le premier mouvement comprend une citation en forme d’hommage au Klezmer, danse populaire juive. Tout le mouvement a une construction originale qui ne peut se décrire. Le deuxième mouvement est un Presto sauvage où les fortissimi atteignent un haut degré de violence. Les musiciens osent en demander beaucoup à leurs simples cordes…. L’Allegro con fuoco dramatise les propos à l’extrême. Mais c’est dans le superbe Adagio que les musiciens atteignent le sommet de l’émotion en cherchant un allégement extrême de la sonorité, pieds levés, yeux fermés, tête en arrière. C’est à ce moment que l’évidence nait : Il s’agit des larmes privées et interdites que le compositeur a mis dans sa musique et que les interprètes comprennent. Un voyage dans la plus profonde intimité de la douleur, celle qui ne peut se confier en mots à personne, celle des deuils éternels, celle des nuits de peines. Elle trouve dans ces pages son expression sublimée comme rarement. Les sonorités pianississimo obtenues par les cordes sont à l’extrême limite de la rupture. La proximité du public avec ces artistes en recherche de ces sonorités évanescentes est un moment inoubliable de partage. Le public retient son souffle dans un silence de sidération. Le Moderato Comodo permet un peu de distanciation avec des moments de sonorités spectrales très originales. Le final redonne vie et énergie. Les instrumentistes libèrent une belle vigueur communicative.
Le public ravi obtient un bis puis a du se ruer vers l’intégrale des quatuors de Weinberg par les Danels car il n’en est plus resté quand j’en ai cherché …. Une extraordinaire découverte double : un Quatuor à suivre, les Danel et un compositeur génial injustement méconnu, Mieczyslaw Weinberg …
Compte rendu concert. Paris, Philharmonie. Biennale de quatuors à cordes. Paris. Amphithéâtre, le 22 janvier 2016 ; Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Quatuor à cordes n° 10 en la bémol majeur op.118 ; Mieczyslaw Weinberg (1919-1996) : Quatuor à cordes n°7 en do op.59, Notturno ; Quatuor à cordes n°6 en mi mineur op.35 ; Quatuor DANEL : Marc Danel et Gilles Milllet, violons ; Vlad Bogdanas, alto ; Yovan Markovitch, violoncelle.