Il fallait oser de faire une entame de saison avec, à l’affiche, deux œuvres jamais données jusqu’à présent sur la scène du Capitole. Et quelles œuvres !! Il Prigioniero de Luigi Dallapiccola et Le Château de Barbe-Bleue de Béla Bartók. Autre pari, et, disons-le d’emblée, pari réussi dans le choix du metteur en scène avec Aurélien Bory qui ne fait pas partie des habituées des scènes d’opéras, pour l’instant. Une mise en scène dans les deux œuvres que l’on ne s’octroiera pas le droit de qualifier d’intelligente, mais sûrement de racée, et bien dans le XXIè siècle.
Pour l’essentiel des deux ouvrages, consulter mon annonce qui vous dit tout en premier sur la musique de Bartok et de Dallapicola
Vendredi 2 octobre. On peut reprocher peut-être une chose à la partition géniale de Bartok, c’est qu’il n’a pas vraiment écrit pour un orchestre de fosse, d’où cette petite frustration qui peut se ressentir si on a trop entendu le Château de Barbe-Bleue en version concert, avec tout l’espace nécessaire pour les musiciens. Et les deux chanteurs placés à l’avant de l’orchestre. Là, il faut doser l’orchestre devant, et dans la fosse. Mais, le premier atout, et ce, dans l’interprétation des deux ouvrages c’est bien la réussite complète de tous les pupitres de l’Orchestre sous la direction inspirée de son chef Tito Ceccherini qui semble ne faire qu’une bouchée de cette musique.
Dans le cas de l’œuvre de Dallapiccola, bois et cordes s’unissent pour rendre glaçante une partition poignante dès les premiers accords qui se révèlent les plus surprenants et les plus déroutants pour quelques oreilles. Elle se déroule ensuite, toute de menace sourde et pleine d’insinuations d’où, le deuxième atout, le livret de ce Prisonnier dont les surtitres participent à la compréhension du travail du plasticien Vincent Fortemps, aidé par celui de Arno Veyrat aux lumières. Un livret fracassant.
Sans parler des deux interventions du Chœur, la deuxième retransmise par haut-parleurs assez saisissante, terrifiante même, et dont l’amplification était bien suggérée par le compositeur. Tout au plus, certains auront regretté le moindre impact émotionnel dans le rendu visuel mais, au moins, il ne pollue pas la scène, et laisse libre cours à l’interprétation du spectateur.
La distribution achève le travail. Dans le rôle de la Mère, la soprano Tanja Ariane Baungartner sait chanter, sobrement, tout le désespoir de la mère qui pressent la perte de son fils, rôle tenu par le baryton Levent Bakirci dont le chant et l’investissement scénique ne mérite que des éloges. On croit à ce jeune prisonnier. Quant à Gilles Ragon, dans le double rôle du Geôlier et de l’Inquisiteur, il profite de son timbre de ténor pour en rajouter dans l’ignominie de cette folle espérance.
C’est donc une nouvelle œuvre majeure qui entre au répertoire du Théâtre. Et fort bien accueillie, à tout point de vue.
Puis, très astucieusement, nous passons au Château de Barbe-Bleue. Aurélien Bory a su trouver une fin de scénographie qui amène sans changement de décors, le Prologue de l’opéra de Bartók, prologue qui passe sur certaines scènes complètement à la trappe. Là, il est donné en langage des signes, ce qui est une belle idée. Il ne s’encombre pas par la suite de tout ce qui est derrière les portes, mais suggère, par des lumières et les déambulations des deux protagonistes dans un décor unique de portes qui tournent, s’ouvrent, se ferment, s’entrouvrent, laissant passer des rais de lumières aux couleurs étudiées, évidemment, une Judith qui entre de façon originale dans le château de son époux, un château qui n’est jamais qu’un lieu sans fond ni épaisseur, ni murs, simplement l’âme de Barbe-Bleue. L’œil ne sera pas distrait par des accessoires divers : ni sang, ni instruments de tortures, ni lingots, ni bijoux, ni fleurs, ni…Il y a de très beaux effets visuels qui laissent les oreilles tranquilles, tout pavillon disponible à sa fonction, celle de recueillir les sons. Quelle chance ! On a connu il y a peu tellement pire. Une mise en scène avec sa dose de mystère laissant place nette, à cette partition pleine d’une musicalité obsessionnelle, et à l’imagination du spectateur.
Mais, j’aurais bien aimé un peu plus d’audace dans l’intensité des couleurs, et même de l’agressivité pour plus d’effet et un pouvoir d’évocation accru allié à la perpétuelle mouvance du dispositif. Dans l’ouverture de la cinquième porte, la splendeur des immenses fortissimo orchestraux pourrait être ainsi plus fortement accompagnée.
La musique est là, le livret aussi, et une nouvelle épouse qui s’accapare la scène, obtiendra ce qu’elle veut, à savoir que toutes les portes de sa future demeure soient ouvertes jusqu’à l’ultime, qui sera son tombeau. Son époux n’a, diront certains “psy“, pas tout fait pour éviter le pire. De fort belle prestance, Judith, très déterminée, telle une Elsa du Lohengrin, aura beau répéter : « Il le faut parce que je t’aime… » et lui, affamé d’amour : « Judith, un baiser » qu’elle ne lui donnera pas, ou si mal, la quatrième femme du Duc finira comme les précédentes. Et lui, seul. Vous l’avez deviné, Tanja Ariane Baumgartner a galvanisé Judith jusqu’à sa disparition derrière la septième porte, tandis que Bálint Szabó a tout fait pour se hisser à son niveau, tous les deux, dans une sobriété de bon aloi, avec une belle et claire articulation .
Et c’est donc une deuxième œuvre qui entre au répertoire du Théâtre, fort bien accueillie, elle aussi.
Michel Grialou
Post-scriptum : Par contre, le crétin qui, du haut des cimes a crié BRAVO alors qu’on ne lui demandait rien, juste d’attendre que la pression redescende, il ne rentrera pas dans l’histoire du Théâtre par son à-propos.
jusqu’au 11 octobre
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