Toulouse. Cloitre des Jacobins,le 23 septembre 2014;Johannes Brahms (1833-1897) : Quatre Ballades op.10; Edvard Grieg (1843-1907) : Sonate en mi mineur op.7; Frantz Schubert (1797-1828) : Sonate n°21 en si bémol majeur, D 960. Aldo Ciccolini, piano.
Après une ouverture inoubliable avec Menahem Pressler, Piano aux Jacobins offrait à la Halle-aux-Grains cette fois, un autre monstre sacré du piano : Aldo Ciccolini ! cet artiste d’exception infatigable concertiste, professeur vénéré qui a enregistré tant de disques, et si beaux, a près de 90 ans s’avance une canne à la main vers son instrument, fragile silhouette digne et lente. Si certains ont pu douter, il n ‘a pas fallu quelques secondes pour que l‘artiste se retrouve en sa jeunesse, avec ses mains d’une longueur incroyable et d’une beauté qui défie le temps. Mains lestes, souples et élégantes. Mains joueuses,fortes et légères.
La fine musicalité d’Aldo Ciccolini, son engagement dans des interprétations toujours très personnelles est une signature du grand artiste italo-francais. Il n’a pas démérité et sa légende s’est déployée dans une salle retenant son souffle,ses toux (mais pas son portable à deux reprises!!!!). Les quatre ballades op.10 de Brahms qui ont ouvert le concert ont été magnifiques de drame et de narrativité. Dans des nuances puissantes comme délicieusement tendres tout l’univers si riche du piano de Brahms nous a été proposé. Jamais de lourdeur, ni de brutalité mais une vraie puissance dans la première. De la tendresse et du rêve dans la première partie de la deuxième avec des appels émouvants dans sa deuxième partie. Accords jamais durs mais très puissants et plein de mystère. La troisième a des allures lisztiennes et schumaniennes dans une écriture à l’originalité magnifiée et au fantastique suggestif d’un monde parallèle.
Mais c’est la méditation paisible de la quatrième ballade qui convient le mieux aux moyens spirituels d’Aldo Ciccolini. Qui sait y mettre tant de foi en l’humain ? Tant de poésie des adieux? Tant de profondeur avec cette légèreté ? Et quelles sonorités riches et subtilement aériennes!
La sonate de Grieg en quatre mouvements peu sembler longue mais sous des doigts si vivants il n’en est rien. Du grand et beau piano avec une technique irréprochable et une musicalité de chaque instant même dans les moments plus extérieurs.
Par une sorte d’évidence c’est comme Pressler que Ciccolini termine son concert en offrant la si belle sonate n° 21 de Schubert. Cette oeuvre quasi testamentaire contient tout le monde musical et poétique de Schubert.
Dès les premières mesures chantantes et interrompues par des graves menaçants tous les contrastes sont en place et les doigts répondent à la perfection osant un toucher d’une délicatesse incroyable avec une présence charnelle émouvante. Les développements si habiles des thèmes, leur enchevêtrement si subtils sont d’une lisibilité de tous les instants grâce à une précision digitale impeccable. Les notes sont parfois suspendues comme des perles d’étoile, la légèreté des doigts est quasi surnaturelle.
Outre cette musicalité inouïe ce qui frappe dans ces interprétations est l’attention portée à rendre limpide la structure et la construction des pièces. Et la technique en remontrera à bien des pianistes plus jeunes par sa souplesse et sa précision entremêlées.
La beauté des gestes précédant celle de la partition. Vraiment un magnifique moment de musique, de don et de partage. La musique comme un sacerdoce pour Ciccolini reçue avec dévotion par un public subjugué. Le temps est suspendu par la musique et seule la marche difficile du pianiste rappelle son existence. Après un bis une standing ovation permet à l’immense artiste de recevoir en retour cet amour donné.
Un moment fondateur prouvant que l’âge peut être quelque chose de très relatif.
Quel chance pour le public de Piano aux Jacobins d’avoir pu déguster les interprétations si différentes et chacune inégalable de cette sonate de Schubert par les deux pianistes, Pressler puis Ciccolini, les plus expérimentés et les plus musiciens, toujours en capacité de donner leur art avec tant de vitalité.
Hubert Stoecklin