Toulouse. Halle-aux-grains, le 21 mars 2014. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Passion selon St. Jean BWV 245 (quatrième version de 1749). Joanne Lunn, soprano ; Damien Guillon, alto ; Gerd Türk, Yosuke Taniguchi, ténors ; Peter Kooij, Chiyuki Urano, basses ; Bach Collegium Japan ; Masaaki Suzuki, clavecin et direction.
Zuzuki dans Bach toute la musique de Bach mais rien qu’ elle…
Depuis 1990, Suzuki qui a appris son Bach chez les plus grands en Europe, a fondé le Bach Collegium Japan tant il révère le Cantor. Grand musicien devant l’éternel c ‘est ainsi qu’il aborde toute l’oeuvre de son mentor avec concerts et enregistrements accueillis généralement avec faveur par le public et la critique sur tous les continents. Ce soir au coeur d’une tournée en France et en Espagne, Toulouse a pu se faire une idée précise de l’art de Suzuki et son Bach Collegium Japan. La quatrième version de 1749 fait la part belle au clavecin, réservant l’orgue aux interventions de Jesus. Cette spécialisation et spiritualisation simple du drame permet aux interprètes d’être plus impliqués et vivants. Maitre Suzuki joue admirablement de son instrument et dirige avec finesse, élégance et efficacité. Il obtient justesse, précision rythmique et clarté des lignes de toutes ses troupes. L’orchestre est juste, précis énergique. Les flûtes et les hautbois plus impliqués que les maigres violons dont seul le solo de Ryo Terrakado donne toute sa mesure dans les moments solistes. La perfection technique et stylistique des musiciens laisse pourtant comme une distance avec le drame et l’équilibre cordes-bois n’est pas parfait. Le choeur fait face avec courage à un début difficile dans la massif choeur d’entré en raison des basses qui ne trouvent un son commun de pupitre qu’in extremis. La précision des vocalises, la clarté des phrasés et un bel équilibre entre les pupitres sont des qualités remarquables avec une mention particulière pour les sopranos au son aérien et présent à la fois. Les solistes sont capables du meilleur comme du pire. Le pire est unique mais comment maître Suzuki n’entent il pas que le prosaïsme et l’absence de beauté du timbre de son Jésus sont une contre distribution? Les autres chanteurs s’en sortent. L’émission dans le masque et les sonorités peu agréables du ténor Yosuke Taniguchi sont passables. Damien Guillon, en alto, que nous avons connu plus inspiré, a tout fait pour rassembler ses registres un peu rebelles ce soir. Concentré sur le beau chant il ne laisse pas diffuser toute l’émotion dont il est capable. Le vétéran Peter Kooij qui chante Bach avec les plus grands spécialistes est sous employé mais absolument merveilleux. C’est la soprano Joanne Lunn qui en deux airs ( mais quels airs ! ) va ouvrir la voie du théâtre spirituel consubstantiel à cette Passion. La beauté du timbre, l’art technique, les vocalises, les nuances jusqu’à l’infime, la richesse des colorations et l’intelligence et la lisibilité du texte tout est mis au service de l’émotion. Elle sait ce qu’elle dit et le fait ressentir profondément avec une grâce inoubliable. L’ évangéliste de Gerd Türk ne se présente plus, c’est l’un des plus grands spécialistes mondiaux de cette partie, ni rôle , ni récitatif mais véritable passeur de l’histoire fondatrice du christianisme. Il a complètement épousé la vision purement musicale du chef et dans une distance sidérale narre parfois à mi voix la passion du sauveur innocente victime de l’humanité pécheresse. Ce parti pris est beau musicalement mais sec et froid. Aucune sympathie, aucune proximité avec rien ni personne. Une aristocratique distance avec les vicissitudes de la vie du Christ, pourtant Dieu fait homme ! Un texte parfaitement compréhensible comme désincarné. Ce contre sens spirituel est un choix qui fait penser que Suzuki connait la musique de Bach sur le bout des doigts mais rien que sa musique. Pour le théâtre et le sens du discours, la rétorque, tout ce qui est si fondamental pour Bach, lui qui a tant cherché appui sur la langue vernaculaire afin de permettre aux croyants d’avoir accès directement au texte sacré, il faut se tourner vers d’autres interprètes. Du beau Bach, parfois très beau, mais sans supplément d’ âme, ni simplement sens de l’histoire sainte.
Hubert Stoecklin