Un film réalisé en 2008 par Wilson Yip, avec Donnie Yen, Simon Yam. Disponible en DVD chez HK Vidéo.
Dans la Chine des années 30, à Foshan, ville phares des arts martiaux, le maître Ip Man pratique le Win Chun, la boxe du Sud. Ayant toujours refusé de créer sa propre école, il hésite entre passer du temps avec sa femme et son fils, ou répondre poliment aux demandes de duels chez lui, toutes portes fermées pour préserver la réputation des inévitables vaincus venus le défier. Mais vient le temps de la privation et l’abandon des écoles durant l’occupation japonaise. Les pratiquants d’autrefois se retrouvent tous à travailler dans le charbon, prêts à tout pour une poignée de riz. Ip Man trouve enfin la plénitude avec sa famille, mais se sent de plus en plus inutile pour ses concitoyens. De son côté, le général Sanpo cherche de nouveaux combattants pour démontrer la supériorité de l’art martial japonais…
Né en 1883 à Foshan, et mort en 1972 à Hong Kong, Ip Man fut un grand maître incontesté d’arts martiaux, enseigna à une floppée de disciples, dont le plus connu a été un certain … Bruce Lee. A 24 ans il rejoignit l’armée, et devint capitaine des forces de police de Foshan. En 1949, à 56 ans, il déménagea à Macao puis à Hong Kong. Afin d’envoyer de l’argent à sa famille restée à Foshan, et se payer sa dose d’opium dont il était grand consommateur, il ouvrit une école d’arts martiaux. Sa réputation grandit, et en 1967, avec certains de ses disciples, il créa la Hong Kong Chun Athletic Association.
Edulcorant sa vie pour en faire un héros vertueux et pur, ce film est le premier volet d’une série de métrages consacrés à ce maître du Wing Chun, interprété par un Donnie Yen au sommet de son art et trouvant ici son meilleur rôle. Sa collaboration avec le réalisateur Wilson Yip devient donc de plus en plus intéressante, après le beau mais décevant « SPL », le nanard « Dragon Tiger Gate », et le nerveux « Flashpoint ».
Entre reconstitution soignée (les rues chinoises occupées, l’usine de textile, la mine de charbon) et biographie fantasmée (le maître pur contre la vermine japonaise utilisant les armes à feu), ce film dresse surtout un portrait d’un homme imbattable se posant pourtant des questions sur son rôle à jouer comme phare pour les autres. Protéger sa famille avant tout, enseigner son art aux ouvriers, aider un ami à créer son entreprise, préserver la réputation des autres maîtres, Ip Man est une sorte de Wong Fei Hung en plus posé, mais tout aussi vertueux. Proche d’un autre film d’arts martiaux emblématique de l’occupation japonaise (« Fist of legend » de Gordon Chan), « Ip Man » entretient bien des similitudes sans pour autant être aussi caricatural.
Le métrage se divise en deux parties : une première moitié plutôt insouciante, avec des duels martiaux et la préservation d’une certaine intégrité morale : bonne entente avec la police, cohésion entre plusieurs écoles… puis une seconde partie se posant en miroir inversé de la première. On retrouve ainsi les protagonistes du début dans un autre rôle : l’usine est rançonnée par le bandit qui autrefois avait défié les grands maîtres, le policier sert de traducteur entre japonais et chinois, les pratiquants d’arts martiaux travaillent dans le charbon (une métaphore de ce que leur discipline est devenue : ce n’est que quand Ip Man les rejoint, donc que son art s’abaisse à pousser des brouettes, que la philosophie chinoise va se rebeller contre la brutalité nippone).
Côté mise en scène, le film est une réussite, avec un teint sépia très classieux. Le jeu de l’ensemble des acteurs reste dans la sobriété et l’humour typiquement cantonais est totalement absent. Yip nous réalise une biographie sous l’occupation japonaise, nous sommes loin des dérives loufoques d’un Tsui Hark. Les chorégraphies des combats sont signées du grand Sammo Hung, qui apparaît d’ailleurs au casting du deuxième volet. Ultra efficaces, sans fioriture, les affrontements sont le reflet de l’état intérieur de Ip Man. Dans la première partie du film, ils soulignent son caractère posé face à la fougue d’adversaires semblant brasser du vide. Mais la démonstration sur les tatamis japonais vire ensuite au déchaînement de violence, quand les gestes du maître dévoilent un mal-être devant son impuissance à protéger ses amis. Cette très belle séquence, magnifiquement contrastée par des ombres et lumières se rapprochant presque du noir et blanc, est particulièrement réussie : jamais trop brutale mais parvenant à illustrer le conflit intérieur du maître, par sa gestuelle et non par son visage.
Pour ceux que cela intéresse, Wong Kar-Wai prépare aussi de son côté une biographie du maître, avec Tony Leung Chiu Wai et Gong Li.