Seules les bêtes, un film de Dominik Moll
Le dernier opus de ce réalisateur, à coup sûr son meilleur, est un véritable thriller aussi torride que glaçant.
Le Causse Méjean sous la neige, c’est déjà une invitation à l’angoisse, d’autant que les êtres vivants y sont clairsemés. Au beau milieu d’une route enneigée dans ce coin perdu de Lozère, une voiture, vide. C’est celle d’Evelyne. Elle est portée disparue… Suivent, accumulant les zones d’ombre, cinq séquences donnant le point de vue des principaux protagonistes de cette histoire. Il y a Alice (Laure Calamy), assistante sociale qui vient en aide à tous les isolés de notre société, Michel (Denis Ménochet), son mari, paysan déboussolé dans sa vie sentimentale, addict d’internet…en secret, Joseph (Damien Bonnard), un éleveur taiseux et fragile psychologiquement, au passage amant d’Alice, Marion (Nadia Tereszkiewicz), serveuse dans un restaurant, Evelyn, la disparue (Valeria Bruni Tedeschi) qui entretient des relations plus qu’intimes avec Marion. Et puis il y a, cinq mille kilomètres plus loin, sous la chaleur africaine, à Abidjan plus précisément, Armand (Guy Roger N’drin), un jeune ivoirien en quête de richesses, un authentique brouteur, à savoir un cyber-arnaqueur.
Se faisant passer pour une jeune et accorte jeune femme, il arrive à extorquer des sommes considérables à des pigeons. Michel va être l’un d’eux. Comment réunir tous ces parcours ? C’est le défi brillamment relevé par Dominik Moll avec ce thriller de la meilleure eau, dense, touffu, parfois confus si l’on n’y prête pas garde. L’opposition entre les quartiers surpeuplés d’Abidjan, où les séquences furent tournées, et les plans immenses et désertiques du Causse, crée une sorte d’espace-temps qui en dit long sur notre société. D’un côté le tempo lent, puissant et inexorable de la Nature, de l’autre la vitesse inconcevable et la fragilité de l’internet. Au milieu, l’Homme et son envie forcenée d’échapper si ce n’est à sa destinée, du moins à un quotidien qu’il juge insuffisant. Ce challenge est superbement supporté par une poignée de comédiens dirigés ici à la perfection.
Cette adaptation d’un roman noir de Colin Niel est une tragédie fascinante en forme de toile d’araignée soulignant en creux le désastre humain vers lequel nous nous précipitons pied au plancher via des technologies qui censées nous rapprocher nous éloignent les uns des autres en nous enfermant dans de véritables prisons virtuelles.
Dominik Moll – Ce réalisateur qui nous veut du bien
Ce Français d’origine allemande caresse depuis son plus jeune âge l’envie de tenir une caméra. Dès qu’il peut, le jeune Dominik file à New York étudier le 7e art à la City University. Après plusieurs court-métrages (passage obligé…), Dominik Moll se lance dans le nirvana de tout jeune réalisateur : son premier long. A vrai dire, il passera inaperçu. Qu’à cela ne tienne, il présente en 1999 son second, le célèbre « Harry, un ami qui vous veut du bien ». Bingo ! A la clé, pas moins de 4 Césars dont celui tant convoité de Meilleur réalisateur. Sans forcément squatter comme tant d’autres le grand écran, la carrière de Dominik Moll révèle avec le film sous rubrique, le meilleur à ce jour, un cinéaste aussi talentueux qu’original.