Chaque concert de Grigory Sokolov est à la fois inouï et … prévisible. Allure d’automate lorsqu’il marche, jeu pénétrant et d’une subtilité rare lorsqu’il se met au clavier, troisième partie offerte en bis aussi longue que les deux précédentes. Et avant tout cette véritable originalité de jeu dans un monde du piano classique… aux goûts souvent trop implicites. Sokolov va là où sa sensibilité le porte et cela ne peut laisser indifférent. Il m’est arrivé de ne pas aimer : une fois pour son concert Bach. Ce soir la majorité du public a été comblée surtout par la deuxième partie réservée à Brahms.
Il faut reconnaître qu’un Brahms aussi lumineux est précieux. Sokolov dans ces deux pièces Op. 118 et 119, souvent décrites comme crépusculaires, y déploie une précision rare et une énergie intemporelle. Les plans sont tous clairement joués, les nuances sont poussées au bout, la palette de couleur et la variété des phrasés lui permettent de brosser un tableau d’une grande richesse. Les harmonies si particulières du « vieux Brahms » sont portées à leur grande modernité avec simplicité et évidence. Le voyage proposé par Grigory Sokolov semble éternel et nous aimerions l’écouter en boucle afin de se régaler de cette richesse d’interprétation habillée en forme d’évidence mais qui recèle un art du piano absolument souverain.
Son Mozart est lui aussi en tous points remarquable et encore plus personnel. Il a choisi des oeuvres très variées qu’il aborde avec des doigts souples et vifs, comme caressants le clavier. Le prélude et la Fugue en ut majeur semblent à la fois d’une grande modernité et un véritable hommage à Bach. Le clavier devient un moyen de convaincre avec une éloquence noble et ayant la simplicité de l’évidence. Quand à la sonate n° 11, elle coule librement, dans un gué bien entretenu. Même la conclusion « alla turca » a de la tenue. Sous les doigts de Sokolov Mozart est un grand musicien, un grand claviériste ; le pianiste russe nous convainc qu’avec ce jeu précis et simple, sans afféteries, sans charme aimable, la musique se déploie avec un naturel d’une grande liberté. C’est cela, oui : le piano de Sokolov est totalement libre.
La troisième partie contiendra six pièces que le pianiste joue chaque fois après un salut rituel sans émotion sur son visage. Une telle générosité aussi simplement concédée au public est la marque du génie de Sokolov. Ainsi Schubert, Chopin et Rachmaninov ont apporté leurs saveurs belcantistes à la nuit. Un concert qu’une partie du public aurait pu écouter sans fin. Tant de musique avec cette liberté du don reste inoubliable. Merci aux Grands Interprètes qui avec fidélité ont invité l’un des plus grands musiciens du clavier.
Compte-rendu ,concert.Toulouse. Halle-aux-grains, le 19 novembre 2019. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Prélude (Fantaisie) et Fugue en ut majeur, K.394 ; Sonate n°11 en la majeur, K.331 op.6 n°2 ; Rondo n°3 en la mineur K. 511 ; Johannes Brahms (1833-1897) : Klavierstücke Op.118 et Op.119. Grigory Sokolov, piano.
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