De l’œuvre de Francis Poulenc, grande lisibilité et puissance émotionnelle réunies en font l’un des opéras les plus marquants du XXè siècle. Il est en trois actes et douze tableaux, s’appuyant sur des textes de la pièce de Georges Bernanos, elle-même inspirée d’une nouvelle de Gertrud von Le Fort de 1931 et d’un scénario du Révérend Père Bruckberger et de Philippe Agostini.
Cinq représentations de cette coproduction Théâtre des Champs-Élysées / Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles vous attendent au Théâtre du Capitole à partir du 22 novembre.
« Je n’ai jamais écrit avec plus d’enthousiasme une œuvre. Je vis avec toutes ces carmélites du matin au soir dans un état de fascination. » Francis Poulenc à Wanda Landowska, le 13 octobre 1955.
Un peu d’histoire sur la genèse de cet ambitieux opéra : La Première mondiale de l’ouvrage eut lieu le 26 janvier 1957 au Teatro alla Scala de Milan, en italien. La Première en France eut lieu le 21 juin 1957 à l’Opéra de Paris, en français. Pour situer le fait, dès sa première, et donc, à Milan, à la Scala dont le public de première n’est pas réputé pour sa grande compassion pour toute œuvre nouvelle depuis des siècles, Dialogues des Carmélites a non seulement obtenu une dizaine de rideaux pour chacun de ses trois actes, mais encore a fait, pour une fois, l’unanimité ou presque de la critique, italienne et internationale. Pour faire court, ils ont tous reconnus que c’était là, une œuvre qui partait du cœur et de l’âme de son compositeur, et allait directement au cœur et à l’âme de l’auditeur. Francis Poulenc avait su créer dans son opéra ce double courant de sincérité entre lui et le spectateur.
Dommage que le point de départ soit…italien. Et pourquoi donc ? Durant un voyage en Italie, celui dont le domaine principal de l’activité créatrice est bien la musique religieuse, domaine où son inspiration s’est exprimée avec le plus, de richesse, d’originalité, de naturel, de grandeur, Francis Poulenc donc, se retrouve pressenti par l’éditeur Ricordi, pour l’écriture d’un ballet, Sainte Marguerite de Cortone. Pas très enthousiaste, ni inspiré par cette sainte, notre ami, et encore moins de la faire…danser. Un défaut qu’il ne cache guère à son interlocuteur tout en lui signifiant son intérêt plus grand pour, éventuellement, un opéra, et c’est là qu’il s’entend dire : « Vous voulez faire un opéra pour la Scala ? Tout à fait d’accord ! j’ai même un sujet pour vous : « Dialogues des Carmélites », de Bernanos ! ». Francis Poulenc n’en croit pas ses oreilles et se demande bien qui a pu mettre sur son chemin, le sujet de ses rêves !! Qu’il connaît très bien pour l’avoir lu et vu deux fois au théâtre.
Il va télégraphier son accord avec grand enthousiasme. En se replongeant dans la lecture de ce qui deviendra le livret, le musicien est frappé par la qualité propre du texte, indépendamment de la beauté et de la hauteur du sujet. Et comme ce n’est pas son genre de faire la moindre concession quant à la qualité littéraire ou poétique des textes, ……d’où sa recherche pour cette prose magnifique, librement modelée sur la pensée, de trouver une sorte de vêtement musical qui rompt complètement avec la déclamation traditionnelle d’opéra, et qui est la musique même de ce texte, de cette langue. Il trouvera alors le dessin des lignes mélodiques, les rythmes, les tempi, la parure instrumentale qui doivent souligner les mots et les colorer. C’est donc une déclamation particulière qu’il doit obtenir, reconnaissant s’être appuyé sur trois compositeurs, Monteverdi, Moussorgsky et plus accessoirement Verdi, créant une déclamation en récitatif mélodique, se tenant à mi-chemin entre le récitatif ordinaire et l’air lyrique. Le texte est alors très clairement compréhensible et, un lyrisme sous-jacent mais intense pouvant se dégager sans cesse.
On remarquera une orchestration très dense, si particulière, (60 dans la fosse, sans compter les timbales, le piano, les deux harpes et de nombreuses percussions), mais il est exigé du chef que l’on entende les voix. Il faut donc alléger au maximum l’intensité orchestrale car Poulenc veut absolument que l’on comprenne les paroles dans leur totalité. « Écrire un opéra vocal avant tout, comme Verdi, sans cesser un seul moment de servir un texte, comme Debussy, tel est mon but. » F. Poulenc. Mais encore : « J’ai surveillé chaque note, fais attention aux bonnes voyelles sur les sons aigus, ménagé une prosodie complètement naturelle, tout en permettant à la voix de s’épancher au maximum {…} le style récitatif, c’est quand on parle en chantant ; le style lyrique, c’est quand on chante en parlant ! » C’est Jean-François Verdier qui aura la lourde tâche, fort délicate, de mener cette entreprise vers les sommets. Dans la fosse, les musiciens de l’Orchestre du Capitole seront un peu serrés !!
La citation suivante éclaire sur le passage du texte à l’opéra : « Vous me semblez même avoir accompli un tour de force en adaptant le texte aux exigences d’une œuvre musicale, tout en restant absolument fidèle à son esprit, et aux lignes majeures d’une architecture très délicate. Ce n’était pas chose facile que de transposer, en opéra, cette trame nourrie de thèmes profonds, et soutenue par une méditation continue… » Albert Béguin, ami de Georges Bernanos, exécuteur de ses volontés littéraires.
Autre détail…de poids ! comment le musicien a résolu le problème très délicat du nombre de rôles féminins et donc, le choix des voix. Il va partir à la recherche de tout l’éventail de couleurs vocales en s’appuyant sur les rôles du répertoire et il serait intéressant de noter la référence de chacune des artistes de l’époque qui ont pu l’inspirer, du soprano léger à la mezzo profonde en passant par la soprano dramatique, etc… mais, ce serait trop long !! Recherche identique pour les quelques voix d’hommes et, ainsi, Poulenc arrive à un équilibre parfait, une grande diversité ménagée, chaque emploi admirablement caractérisé par le choix du registre et la couleur. D’où la grande difficulté pour le Directeur artistique du Théâtre de “monter“ une distribution vocale quand on souhaite programmer cet opéra. Il y a le profil vocal et on se doit de connaître un peu de la psychologie de chaque intervenant. Pour les rôles principaux, tous les artistes présents sont connus de notre scène, et admirés comme Anaïs Constans, Anaïk Morel, Janina Bachle, Catherine Hunold, Jodie Devos, Thomas Bettinger, Jean-François Lapointe sans oublier tous les membres du Chœur du Capitole et leur Directeur Alfonso Caiani.
Entre les deux créations, Milan et Paris, on passe d’un décor unique à plusieurs décors. Pour Toulouse, nous retrouvons le tandem complice d’Olivier Py pour la mise en scène et Pierre-André Weitz pour les décors et costumes et Bertrand Killy pour les lumières. L’ensemble a été qualifié de totale réussite.
Pour meubler pendant les changements, Poulenc écrit des interludes qui sont donc nouveaux dans la partition. À Paris, une distribution exemplaire conduit jusqu’à la scène finale dont la discrétion avait pu surprendre un peu le public de la Scala, plus habitué à du “ronflant“ pour clore un ouvrage lyrique. L’effet prodigieux de cette scène en descrescendo apparaît comme un des moments les plus audacieux de l’opéra français. Et la preuve qu’on peut abandonner dans la mise en scène, tout ce qui peut rappeler la Révolution française. À ce sujet, Poulenc a d’ailleurs lui-même écrit : « La Révolution n’est qu’une toile de fond ; elle ne franchit pas les murs du Carmel, elle n’entame pas l’âme des religieuses. Et l’action extérieure est inexistante. Le drame ne se déroule pas sur la scène, mais dans l’âme des personnages. » Le martyr pour la foi est bien intemporel.
Retour au source jusqu’à G. Bernanos : Dans les dix dernières années de sa vie, Georges Bernanos, “ce catholique fulminant“, cet auteur qualifié du plus anti-érotique qui soit, sollicité par les luttes de l’actualité historique, n’avait plus écrit aucune œuvre d’imagination. À la veille de sa mort, il y revient avec les Dialogues des Carmélites, ouvrage écrit en Tunisie, au prix d’un labeur héroïque durant l’hiver 1947 / 1948, décédant en juillet. Le sujet est emprunté à une nouvelle de Gertrud von Le Fort intitulé La dernière à l’échafaud, (celle-ci étant Blanche de la Force, personnage, avec son frère, créé par l’écrivaine) et inspiré d’un fait historique, histoire authentique des seize carmélites de Compiègne guillotinées le 17 juillet 1794, une seule en réchappant, Mère Marie. Des textes destinés au préalable à un film dans lesquels l’écrivaine s’est accordé l’entière liberté de l’invention mélodique. Notons que Bernanos n’avait pas la nouvelle sous la main pendant son écriture, ayant seulement à disposition le scénario du Révérend Raymond Léopold Bruckberger et de Philippe Agostini, scénario qui sera refusé par le producteur. Dialogue des Carmélites constitue une œuvre posthume, tout à fait personnelle, pièce de théâtre publiée après sa mort et qui servira de livret pour un opéra écrit en trois actes.
« On ne meurt pas chacun pour soi, mais les uns pour les autres, ou même les uns à la place des autres, qui sait ? » Sœur Constance.
Le thème de la peur dont on ne peut se détourner tout au long de l’opéra, ce thème, conformée à la Sainte Agonie, correspondait à une préoccupation ayant toujours été le centre même de la vie spirituelle de Bernanos, et plus que jamais en cet hiver 48 où, déjà, il est la proie d’un mal mortel. Aussi, a-t-il revécu de l’intérieur cette histoire des seize Carmélites de Compiègne qui, sous la Terreur, eurent le loisir, si l’on peut le dire tragiquement ainsi, de se préparer longuement au martyre. Et, écrivant pour la première fois une œuvre dialoguée, Bernanos y a fait vivre des personnages – les deux Prieures, la Mère Marie, la petite Blanche, Sœur Blanche de l’Agonie du Christ, Sœur Constance de Saint-Denis, les autres sœurs – qui ne sont pas moins vigoureux, pas moins inoubliables que les grandes figures de son univers romanesque.
« On n’a pas peur, on s’imagine avoir peur. La peur est une fantasmagorie du démon. » Mère Marie de l’Incarnation, sous-Prieure.
Synopsis sommaire : Blanche de La Force, jeune fille de l’aristocratie, annonce à son père son désir d’entrer comme postulante au Carmel de Compiègne. Nous sommes en avril 1789. Devenue novice, Blanche va vivre les derniers jours de la congrégation en pleine persécution religieuse. Lorsque la troupe envahit le couvent, Blanche parvient à s’échapper. Alors que les carmélites montent à l’échafaud en chantant le Salve Regina, Sœur Constance serait la dernière quand, fendant la foule, Blanche de La Force la rejoint et sera alors la dernière, guillotinée.
Billetterie en Ligne du Théâtre du Capitole
Théâtre du Capitole
Crédit photos
Dialogues des Carmélites © Vincent Pontet • Olivier Py © Carole Bellaïche • Jean-François Verdier © Stéphane Ouzounoff • Anaïs Constans © James Desauvage • Anaïk Morel © Ruth Kappus • Catherine Hunold © Cyril Cosson • Jodie Devos © Marco Borggreve • Georges Bernanos © Famille JL Bernanos