Philippe Bianconi ou la délicate musicalité du poète.
Le pianiste français Philippe Bianconi a une extraordinaire carrière internationale mais reste fidèle à son public toulousain. Il ne cesse de développer son jeu et assume avec une grande musicalité bien des pans du répertoire. Ses derniers enregistrements chez Dolce Volta de Debussy et Schumann sont absolument magnifiques. Ce soir à ces deux compositeurs d’élection il a ajouté les fantaisies du vieux Brahms. Avec des moyens considérables Philippe Bianconi a offert toute la dimension symphonique et intimistes que ces pages de Brahms peuvent contenir. La texture noble et les harmonies complexes ont été magnifiées par ce jeu souverain. Ensuite les Etudes de Debussy représentent à la fois un hommage à Chopin et une recherche d’expression puissante permettant de se rappeler que ces pages ont été écrites durant la première guerre mondiale par un Debussy abattu par la tournure des événements. La clarté du toucher de Philippe Bianconi est bien connue. Son jeu permet de percevoir tous les plans, toutes les couleurs et toutes les nuances avec une précision de chaque instant. Les difficultés techniques parfois redoutables sont assumées avec une impression de grande facilité. La modernité de la partition en est magnifiée. Après l’entracte Philippe Bianconi va sur les terres où il excelle : celles de Schumann. Les cinq variations posthumes sont des pages injustement retranchées par Schumann à ces variations symphoniques tant leur beauté est grande. Isolées ainsi, elles sont très démonstratives de la variété de styles de Robert Schumann. Philippe Bianconi en révèle toute la poésie et tout particulièrement lorsqu’il fait chanter son piano de la plus belle manière, dans des nuances d’une grande subtilité.
C’est là que la dimension poétique rare de son jeu exulte. Les deux dernières variations sont à ce titre les plus extraordinaires en leur simplicité belcantiste pleine de poésie. Puis la Fantaisie en ces trois mouvements nous entraîne plus avant dans la beauté totale du jeu de Philippe Bianconi. Les respirations qu’il y met en jouant nous donnent l’impression d’une grande liberté et d’une belle facilité. Le souffle romantique qui habite la partition trouve dans l’interprétation de ce soir toute la flamme que Schumann essayait de contraindre lorsque le père de Clara interdisait aux amoureux toute forme de contact. Cette fantaisie est l’exemple le plus réussi de la tentative d’union de tous les penchants opposés de l’âme de Schumann entre contemplation et action, révolte et abattement, amour fou et désespoir total, amour-fusion et sentiment d’abandon. La grande beauté de ce monde si complexe trouve à s’épanouir dans une souplesse et une élégance de chaque instant. Philippe Bianconi livre la dimension poétique de cette partition à travers le filtre de son âme de poète. Le public enthousiasmé par ce jeu si évident fait une triomphe à Philippe Bianconi qui généreusement offre deux bis sublimes ; d’abord une Ile joyeuse de Debussy d’une totale liberté et dans une clarté radieuse, et un peu de Chopin pour nous rappeler quel extraordinaire interprète il est également du compositeur polonais. Un concert marqué par une poésie particulière surtout celle de Schumann mais également la force et la révolte de Debussy en pleine guerre. Une autre forme d’excellence ce soir à Piano aux Jacobins avec Philippe Bianconi en poète inspiré.
Compte-rendu concert. Toulouse. 40 ème Festival Piano aux Jacobins. Cloître des Jacobins, le 24 septembre 2019. Johannes Brahms (1833-1897) : Fantaisies Op. 116 ; Claude Debussy (1862-1918) : Etudes-Livre II ; Robert Schumann (1810-1856) : Cinq variations posthumes Op.13 ; Fantaisie en ut majeur Op.17/ Philippe Bianconi, piano.
Hubert Stoecklin pour classique.news.com