La rentrée de l’Orchestre du Capitole de Toulouse est toujours un événement attendu. Cette année il a semblé un instant que le public venu si nombreux n’allait pas pouvoir entrer dans la vaste Halle-aux-Grains. Mais tout s’est bien passé ; l’orchestre a pu s’installer au centre d’un public serré, attentif et heureux.
Il n’est plus très bien vu de dire les qualités de cette salle de concert depuis qu’un projet de nouvel auditorium a pris vie. Mais l’un n’empêche pas l’autre et certes cette salle a ses limites mais elle a aussi de vraies qualités. Ce soir la température idéale a permis de sortir de la torpeur de la ville et de se préparer au concert. Cette présence du public de toutes parts permet à l’Orchestre de bien sentir sa présence.
Orchestre du Capitole de Toulouse…
Somptueuse ouverture de saison
Et tous les points du vues sur l’orchestre ont leur intérêt. Y compris dos à l’orchestre où le chef est vu de face. Après un été passé à beaucoup écouter de concerts en plein air (période des festivals de l’été), il est réconfortant de bénéficier de l’acoustique de la Halle-au-Grains. Acoustique sèche et qui permet une écoute analytique de détails; qui demande à l’orchestre beaucoup d’efforts mais qui met en valeur ses grandes qualités. De même le pianiste peut oser des nuances subtiles car tout s’entend. Nous avons donc eu une interprétation absolument merveilleuse du deuxième concerto de Rachmaninov. Le jeune pianiste Behzod Abduraimov, est connu des toulousains et apprécié. Son jeu est flamboyant, nuancé, coloré et très précis. Il démarre le concerto en dosant parfaitement les premiers accords dans un crescendo généreux ; la réponse de l’orchestre est d‘emblée parfaitement équilibrée, permettant de ne pas perdre une note du pianiste. Quelle différence avec ce même concerto entendu à La Roque d’Anthéron cet été, voir notre compte rendu critique : Concerto pour piano n°2 de Rachmaninov par Lukas Geniusas, le 8 aout 2019.
L’Orchestre du Capitole est en pleine forme, concentré et d’allure détendue. La musique coule avec une énergie maitrisée mais généreuse. Tugan Sokhiev est aux petits soins pour le pianiste, il regarde constamment le jeune homme afin de suivre son jeu. Il régule chaque instrumentiste demandant à plusieurs reprises aux violons de jouer moins fort. Le résultat est très, très beau. Et cette rare alchimie réunissant la musicalité du pianiste, du chef et de l’orchestre se produit miraculeusement ce soir. Le piano est souverain, le geste du chef est minimaliste mais il semble s’adresser à chacun ; les musiciens de l’orchestre sont capables de moments solo d’une rare perfection et réagissent à chaque inflexion de Tugan Sokhiev qui dirige de tout son corps semblant danser. Le concerto de Rachmaninov si galvaudé par le cinéma retrouve sa place de chef d’œuvre absolu du genre concerto symphonique. Un régal de chaque instant que le public déguste en sachant le prix fabuleux que représente le fait d’être là ce soir.
La deuxième partie du concert me permet de vivre un grand moment très attendu. Je me souviens d’un concert de 2003 dans lequel Tugan Sokhiev avait ébloui en dirigeant les deux suites de Roméo et Juliette de Prokofiev. Ce soir le bonheur est complet car le choix du chef est de jouer intégralement la deuxième suite et de poursuivre avec deux moments de la première suite qui lui permettent de terminer sur l’extraordinaire mort de Tybalt. L’âpreté du début fixe chacun à son siège. La violence, la puissance de destruction des Capulet et des Montaigu est aveuglante. La pureté de Juliette, la douleur de Roméo au tombeau sont des moments de théâtralité inoubliables. Cette partition est magnifique, chaque mesure trouve sa fonction dans cette dramaturgie implacable sous la direction très inspirée d’un Tugan Sokhiev en état de grâce. Et l’orchestre lui aussi semble halluciné et pris dans une musique d’une profondeur abyssale. La modernité de la partition a été reprochée à Prokofiev par les Soviets, c’est à juste titre car la musique fait prendre conscience de la puissance des totalitarismes, ici familiaux. Impossible sans en dénaturer le souvenir d’en dire davantage tant chaque seconde a été un enchantement.
Les gestes de Tugan Sokhiev sont d’une beauté envoûtante. Il devient beaucoup plus minimaliste mais si précis, si charismatique que le résultat musicale est sidérant d’évidence. Les instrumentistes se surpassent : le cor, les bois, le saxophone, les harpes, le célesta, les percussions, mais également les cuivres graves ont des moments de beauté absolue. Les cordes sont sublimes et de précision et d’ampleur de phrasés. Et la virtuosité diabolique des violons en a laissé sans voix plus d’un dans le public. Une apothéose d’union parfaite entre Tugan Sokhiev et son orchestre. Le départ du chef dans quelques années n’est plus refoulé. Sa biographie dans le programme permet à présent de lire tous les orchestres que ce génie de la baguette a dirigé et je crois bien qu’aucun continent ne l’a pas invité. Donc le monde entier le demande, et il est toulousain, quelle chance d’être là ce soir !!!
COMPTE-RENDU, concert. Toulouse. Halle-aux-grains, le 14 septembre 2019. Sergueï Rachmaninov (1873-1943) : Concerto pour piano n°2 en ut mineur Op.18 ; Sergueï Prokofiev (1891-1953) : Roméo et Juliette suites d’orchestre n° 2 et n° 1 Op. 68 Ter et bis ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. Behzod Abduraimov, piano ; Tugan Sokhiev, direction.