– Interview – Claire Berest publie Rien n’est noir chez Stock. Un roman remarquable, celui d’une rencontre, d’un amour fou entre Frida Kahlo et Diego Riviera.
Frida Kahlo fascine, magnétise, séduit. Son visage, devenu familier, apparaît sur tous les supports. Tout le monde veut un bout de cette femme fougueuse. Mais Frida Kahlo, c’est aussi la passionnée, l’amoureuse, la tourmentée, la déchirée. Il fallait une plume sensible, intime mais pas voyeuriste, pour capter l’essence et la vérité de la grande artiste mexicaine.
Claire Berest a su trouver les mots justes pour faire honneur à Frida Kahlo. Elle la suit, l’observe, l’écoute, se penche vers elle, la cueille et le portrait qu’elle en saisit est vibrant de sincérité. Un livre à parcourir sans hésitation et qui donnera envie d’aller se plonger ou se replonger illico dans les tableaux de Frida Kahlo.
Dans votre dernier roman, Rien n’est noir, vous racontez la vie de Frida Kahlo. Comment vous est venue l’idée de ce roman ? Et pourquoi Frida Kahlo vous intrigue-t-elle ?
J’ai Frida en moi depuis longtemps. Je l’ai littéralement rencontrée quand j’avais vingt ans. J’étais partie sur un coup de tête à New York, je ne connaissais personne là-bas, je ne parlais pas anglais, je n’avais pas de téléphone portable. Je vivais un peu coupée de tout. Et on m’a donné, par hasard, une carte postale d’un tableau de Frida. J’ai été hypnotisée par cette peinture. Comme si elle me parlait. J’ai commencé à m’intéresser à elle, sa vie, tout, et elle est devenue une amie. Mon amie. Elle brisait ma solitude, et au-delà, elle entamait un dialogue de femme à femme. C’était joyeux et profond. Et cela ne m’a jamais quitté. En revanche, il m’a fallu du temps pour me dire : je vais écrire sur elle. Elle était comme un jardin secret.
Au-delà de la vie abîmée, virevoltée, fougueuse de la jeune Frida, vous vous centrez surtout sur l’histoire d’amour fou qui va l’unir à Diego Rivera. « L’éléphant et La colombe » comme disaient leurs proches. Etes-vous fascinée par ce duo totalement romanesque ?
D’une part, il était hors de question de faire une biographie de Frida. Je ne suis pas biographe, et de nombreuses bios existent, qui sont merveilleuses et très solides. Je voulais écrire un roman et parler de ma Frida. Rentrer dans cette vie par une autre porte dérobée, les coulisses, la fenêtre. Je ne savais pas encore exactement la forme au moment où j’ai commencé à travailler.
Mais très vite, cela s’est imposé, je voulais écrire un roman d’amour fou, et mon véritable sujet était Diego et Frida. Ce qui me fascine, c’est que si l’on s’intéresse à l’un ou à l’autre, on ne peut faire l’économie de leur duo, leur fusion, leur folie à deux. Pourquoi certaine rencontre nous attache-t-elle à vie, pour le meilleur et le pire ? Pourquoi est-on incomplet sans cette personne, qui ne nous ressemble pas ? Ça c’est un sujet romanesque, et un enjeu d’écriture.
De son vivant, Frida a toujours semblé être dans l’ombre de l’immense Diego, aujourd’hui l’œuvre de Frida Kahlo n’en finit plus d’être admirée, films, pièces de théâtre, livres, expositions, vous en réjouissez-vous ?
Oui, je m’en réjouis. La Fridamania peut sembler absurde, dérangeante. Qu’elle se retrouve sur des tasses et sacs partout dans le monde, c’est vertigineux, et évidemment marketing. Mais so what ? Cela fait plaisir aux gens, parce qu’ils trouvent en elle, en son image, sa vie, son aura, quelque chose qui leur parle. De la joie, de l’énergie, de la drôlerie. Alors ce n’est pas mal, non. Je possède mille colifichets sur Frida ! Et oui, elle serait la première surprise de l’engouement qu’elle suscite ! Par ailleurs, elle ne recherchait pas la gloire. Mais si elle avait su, que les gens s’empareraient de mille petits morceaux d’elle comme talisman, elle aurait probablement compris ces élans d’amour.
Ce n’est pas la première fois que vous écrivez sur la peinture ? En 2017, vous avez écrit avec votre sœur un roman sur votre arrière-grand-mère, Gabriële Buffet-Picabia. Quel rapport entretenez-vous avec la peinture ?
Le fait que mes deux derniers livres s’ancrent dans une histoire de peinture est une coïncidence. Ce sont les femmes qui ont été une nécessité. J’avais besoin d’écrire sur Gabriële avec ma sœur Anne, j’avais besoin d’écrire sur Frida. Mais il est vrai qu’avec ses deux livres, j’ai vécu dans l’univers des peintres, et il existe moult échos entre les deux. Je sais simplement qu’un livre ou un tableau peut sauver la vie.
Diego disait qu’il peignait l’extérieur, Frida l’intérieur, quel est votre toile préférée de Frida Kahlo ? Et pourquoi ?
Difficile question ! Car j’aime infiniment beaucoup de tableaux de Frida qui sont très différents. Alors, je dirais que dans ma cuisine, j’ai accroché au mur La colonne brisée, qui me fait toujours le même effet ! La douleur intense exprimée par les larmes, les clous, la colonne antique démolie, le paysage sec et désertique, est, de façon magique, neutralisée par la conquête de ce corps debout et ce regard noir qui pénètre au plus profond des os. C’est une rébellion, une force vitale.
Claire Berest, Rien n’est noir, Stock, 250p.
Photo : Claire Berest © Astrid di Crollalanza