Ouverture russe…
Cela fait déjà 5 années que le pianiste Adam Laloum invite ses amis musiciens dans le calme village de Lagrasse, niché au bord de l’Orbieu pour un festival très original. En effet comme en une sorte de résidence d’artistes, les musiciens choisissent les œuvres et avec qui les interpréter ; il se dégage de cette organisation qui permet de longues répétitions, un sentiment de plaisir partagé qui submerge les auditeurs comme les artistes. Avec parfois de petits changements de programme de dernière minute… De plus, à l’entracte tout le monde se rejoint sous la Halle pour un verre ou un casse croûte délicieux.
Festival de Lagrasse 2019 :
toujours le même enthousiasme communicatif !
Cette simplicité est admirable et rare ; cette proximité, émouvante. La qualité musicale est inouïe. Raphaël Sévère est le clarinettiste le plus jeune et le plus brillant du moment. C’est un grand musicien. Son engagement total dans ses interprétations subjugue chaque fois le public. Je ne sais pas si beaucoup de musiciens osent comme lui des pianissimi au bord du silence et des envolées lyriques aussi généreuses dans les sonates pour clarinette de Brahms. La première de l’opus 120 a ce soir emporté le public dans un paysage romantique tour à tour grandiose et intimiste. Au piano, Natacha Kudritskaja est une partenaire tout aussi capable d’emportements romantiques grandioses que de murmures d’une infinie délicatesse. L’osmose entre les deux musiciens est si parfaite que le discours musical brahmsien coule sans que le temps puisse peser. Chaque instant de cette ivresse musicale parfois mélancolique semble pouvoir durer toujours. Cette magnifique interprétation dans une splendeur sonore de chaque instant a ravi le public.
Puis trois artistes ont rejoint la pianiste pour proposer une oeuvre rare dont l’ombre des créateurs géniaux semble intimider bien des musiciens. Il faut juste rappeler que les Sept mélodies de Chostakovitch sur des poème d’ Alexandre Blok ont été crées à Moscou par sa dédicataire, l’immense Galina Vischnevskaya, son époux Mtislav Rostropovitch au violoncelle, David Oistrach au violon et Moisei Vainberg (remplaçant Chostakovitch souffrant) au piano. De cette création de 1967, il existe en CD l’enregistrement historique chez BMG. Que de si jeunes artistes osent s’attaquer à ce chef d’œuvre intimidant est admirable. En choisissant quatre mélodies ils déploient les somptueuses alliances de timbres. Voix-violoncelle, Voix-violon, Voix-piano-violoncelle puis voix-violon-violoncelle-piano que le génie de Chostakovitch a inventé pour ses amis. Le timbre chaud de Claire Perron, le violon ardent de Philippe Chardon et le violoncelle émouvant d’ Adrien Bellom, surtout le piano délicat de Natacha Kudritskaja, permettent de déguster ce chef-d’œuvre bien trop rare.
Après l’entracte, Charlotte Julliard avec son énergie bien reconnaissable se saisit de la Sonate pour violon de Prokofiev. Mais cette œuvre contient une certaine sévérité que la violoniste obtient en bridant son tempérament passionné. Guillaume Bellom au piano est un partenaire appliqué et mesuré.
Pour finir ce concert, le trio de Rachmaninov fait souffler sur le public un vent de romantisme absolument irrésistible. La torche de passion que peut mettre dans son piano la jeune Natacha Kudritskaja est sidérante. Le violon de Philippe Chardon devient lyrique au possible ; le violoncelle d’ Adrien Bellom semble devenu voix humaine. Le public exulte et fait un triomphe au trois jeunes interprètes. Quel beau concert de musique russe. Les musiciens développent leur bel enthousiasme et leur musicalité rare en une amitié musicale de chaque instant ! Voila une très belle édition du festival des pages Musicales de Lagrasse qui s’ouvre.
________________________________________________________________________________________________
COMPTE-RENDU, concert. 5 ème festival des Pages Musicales de Lagrasse. Lagrasse. Eglise Saint-Michel, le 7 septembre 2019. Johannes Brahms ( 1833-1897) : Sonate pour clarinette et piano Op.120 n°1. Serge Rachmaninov ( 1873-1943) : Trio élégiaque n°1 pour piano et cordes ; Serge Prokofiev (1891-1953) Sonate pour violon et piano en ré majeur Op.94 bis ; Dimitri Chostakovitch ( 1906-1975) : Sept romances sur des poèmes d’Alexandre Bloch n° 1,3,4,7. Raphaël Sévère, clarinette ; Natacha Kudritskaya, piano ; Charlotte Julliard, Philippe Chardon, violons ; Adrien Bellom, violoncelle ; Claire Peron, mezzo-soprano ; Guillaume Bellom, piano. Photos © Hubert Stoecklin