Quelques représentations encore pour aller applaudir un des opéras les plus représentatifs du drame de l’amour, le Werther de Jules Massenet. C’est au Théâtre du Capitole avec Jean-François Borras qui chante Werther et Karine Deshayes, Charlotte. La mise en scène est de Nicolas Joël au départ et reprise par Frédérique Lombart.
On relira mon annonce du spectacle et celle signée aussi Jérôme Gac sur le blog.
Si le roman progresse dans une atmosphère feutrée, propice à réprimer les sentiments, le Werther de Massenet choisit la voie de l’emphase pour les exprimer sans retenue. Mais si les rapports que tisse l’intrigue entre les protagonistes en sont tout à fait modifiés, on ne peut que louer alors, du moins à mon goût, le parti-pris d’aucune transposition et je retrouve sans déplaisir aucun, les décors et costumes d’Hubert Monloup, et les lumières réglées maintenant par Bertrand Killy et Vinicio Cheli. La mise en scène, délibérément traditionnelle, est quasi identique aussi. Les tableaux successifs sont sans faute de goût aucune pour servir de faire-valoir à une distribution vocale d’un remarquable niveau chez tous les intervenants.
Emporté par sa passion, Werther compose chez Massenet un personnage d’exalté qui, sans détours, avoue son sentiment à celle qu’il convoite. Dès le premier acte, Jean-François Borras prend possession de son rôle et nous sommes sous le charme de ce timbre de voix, mais aussi de la prononciation, de la sensibilité dans le phrasé, d’une émission évidente ! On est impatient de la suite. De son côté, Charlotte perçoit la souffrance de Werther comme une fatalité, qu’elle-même, le cœur torturé par la fidélité promise à son époux, peut difficilement affronter sans douleur.
Au fur et à mesure de l’action, on loue les qualités de tous, les enfants de la Maîtrise compris, tout comme celles de Florie Valiquette, voix adéquate, en Sophie pleine de charme, pétillante sans excès.
Alors que le roman de Goethe conserve à la jeune femme, épouse maintenant d’Albert, une sérénité d’âme que le sentiment éprouvé pour Werther ne vient pas ébranler, l’opéra ajoute une dimension tragique à son personnage. Charlotte n’aime pas son époux mais, tenu par un vœu prononcé devant sa mère agonisante, elle choisit de sauver les apparences. Karine Deshayes chante et joue au mieux celle qui se retrouve prise au piège des hypocrisies des idylles petites-bourgeoises. Ainsi, le milieu social tisse la toile de fond du drame. Dans la version de Massenet, le portrait négatif d’Albert, contribue à son tour à durcir le conflit entre les trois personnages.
Au contraire de chez Goethe, Albert n’ignore pas les idées de suicide de Werther quand il lui abandonne ses deux pistolets. Dictée par la jalousie et par la haine, son attitude porte à son extrême la dimension tragique de l’opéra. André Heyboer a ce qu’il faut d’autorité et de jalousie réfrénée pour interpréter ce personnage fort complexe qui détient finalement le nœud du drame.
L’action intérieure, elle, ce drame d’amour, progresse en quatre duos qui confrontent Charlotte et Werther. On aura apprécié le thème élégiaque converti en cantilène d’amour assurant la cohérence grâce au leitmotiv du clair de lune. Infinie tendresse du premier duo – après la nuit du bal – le : « Il faut nous séparer… » de Charlotte est frissonnant à souhait ! jusqu’au dernier – la mort de Werther. Osera-t-on parler d’une belle mort ? Et pourtant. Entre temps, il y eut le duo à la sortie du temple se concluant par un déchirant : « Appelle-moi !… » venant après : « Un autre est son époux… » et un : « Pourquoi me réveiller… » qui suit Un air des lettres de Charlotte, d’excellente facture. De très grands moments de chant. Aux nombreux visages de la femme fatale, Carmen, Manon, Thaïs, Hérodiade,…Massenet oppose le type d’une femme innocente, qui ne peut échapper à son destin tragique. Tel que le personnage est ici incarné et défendu par Karine Deshayes, l’opéra aurait très bien pu s’appeler Charlotte. Quant à Jean-François Borras, j’ai déjà titré ailleurs : il est Werther, point
Côté fosse, Jean-François Verdier semble n’avoir laissé aucun recoin tranquille, inexploité. Au dialogue dramatique qui dissimule les relations des deux amants et leur sentiment réciproque, Massenet apporte l’éclairage d’un dialogue musical éclatant, point de vue que le chef défend du début à la fin. Rien que le passage orchestral entre le III et le IV en est l’éloquente démonstration. Pour illustrer le désarroi de Charlotte, c’est la reprise alors des principaux leimotive de l’opéra. Un dialogue dont la propre intensité vient d’une orchestration sensible, colorée et nuancée. On remarque le saxo, le cor anglais et le violoncelle solo d’une sonorité impressionnante !! Seule la balance fosse-plateau a semblé déséquilibré le jeudi dans le premier acte, certains spectateurs des premiers rangs d’orchestre étant gênés par le volume sonore. Réglage ? Une chose est sûre, la mièvrerie n’était pas au rendez-vous. Histoire de vous rassurer, c’est de mieux en mieux depuis la première ! il vous reste le 28, le 30 et le 2 juillet.
Billetterie en Ligne du Théâtre du Capitole
Théâtre du Capitole
Werther • Jules Massenet
du 20 juin au 02 juillet 2019
photos : Patrice Nin