Toulouse Temple du Bel Canto
Le Bel Canto romantique remis au goût du public par seulement quelques grandes voix ( Callas, Sutherland, Caballe) est assez rarement présenté au public en dehors de quelques titres dont émerge Lucia de Lamermoor. Ainsi la très rare Lucrezia Borgia fait l’événement à Toulouse. La cantatrice française Annick Massis au sommet d’une carrière bientôt trentenaire fait une prise de rôle risquée.
Elle ne déméritera pas vocalement. Prudente dans le prologue elle évolue lentement vers plus d’engagement et a su garder une marge de progression pour un final très abouti. Les exigences vocales sont sauves et la voix d’Annick Massis garde homogénéité et brillant. La souplesse des phrasés fait merveille et les nuances vocales sont délicates. Mais les emportements sont très maitrisés, peut être trop. Les vocalises fusent et les trilles sont admirables. Le bel canto est sauf dans sa dimension vocale mais souffre un peu scéniquement nous y reviendrons car Annick Massis n’est pas seule dans cette étrange galère. Le deuxième rôle important est celui du ténor et le jeune Mert Süngü fait merveille.
Son Gennaro a la fougue de la jeunesse, ses emportements et ses excès. Vocalement le ténor a un timbre clair et une aisance vocale très appréciable. Son chant s’épanouit dans toute la vaste tessiture. Le mari, très antipathique, est parfaitement campé par Andreas Bauer Kanabas avec un timbre mordant et des accents puissants. Mais c’est la mezzo-soprano Eléonore Pancrazi qui avec panache et élégance campe un jeune Orsini tout à fait admirable. Sa voix chaude et ses vocalises habiles font merveille. Avec un jeu de couleurs et de puissance très dramatiques elle donne à ce rôle ambigu un statut de destin déterminant.
Les comparses de Gennaro, les serviteurs du duc et de la duchesse, tous les petits rôles, sont admirablement tenus et les solides extraits du chœur du Capitole tiennent leur part sans avoir à rougir. Le chœur est vivant et plein d’énergie. L’orchestre du Capitole est parfait et la direction de Giacomo Sagripanti allie précision, élégance et sens du drame. La mise en scène est sage, sans audace, décors simples bien habillés par les lumières. L’attention se concentre sur les chanteurs, fort bien costumés mais hélas très, très mal dirigés. Au moment du « Climax » qui oppose Lucrezia à son méchant Duc face à Gennaro, je n’ai pas pu m’empêcher, malgré le drame musical, de croire enfin voir la rencontre de la Castafiore et du général Alacazar, se disputant la vie de Tintin…
Il est en effet très curieux d’avoir ainsi abandonné les chanteurs aux pires banalités d’un théâtre compassé et que je croyais disparu, plein de gestes convenus et dérisoires… Le Bel Canto était là, mais avec un coté compassé et si la belle partition de Donizetti en sort indemne, le théâtre issu de Victor Hugo en sort ridiculisé. Lui donnant finalement raison, lorsqu’il refusait que ses drames soient adaptés à l’opéra. Ce soir seuls les voix et la musique ont gagné leur immortalité.
Chronique écrite pour classiquenews.com
Photos : Patrice Nin
Compte rendu Opéra.Toulouse. Théâtre du Capitole, le 27 janvier 2019. Gaetano Donizetti(1797-1848): Lucrezia Borgia,Opera seria en deux actes et un prologue sur un livret de Felice Romani d’après Victor Hugo. Production : Palau de les Arts Reina Sofía, Valence ( 2017). Emilio Sagi : Mise en scène ; Llorenç Corbella : Décors ; Pepa Ojanguren : Costumes; Eduardo Bravo : Lumières. Avec : Annick Massis, Lucrezia Borgia ; Eléonore Pancrazi , Maffio Orsini ; Mert Süngü, Gennaro ; Andreas Bauer Kanabas, Alfonso d’Este, duc de Ferrare ; Thomas Bettinger, Rustighello ; Galeano Salas, Jeppo Liverotto ; François Pardailhé, Oloferno Vitellozzo ; Jérémie Brocard, Don Apostolo Gazella ; Rupert Grœssinger , Ascanio Petrucci ; Julien Véronèse, Gubetta ; Laurent Labarbe*, Astolfo ; Alexandre Durand*, L’Échanson / L’Huissier ; Jean-Luc Antoine*,Une Voix (* Artistes du Choeur); Orchestre national du Capitole ; Chœur du Capitole, direction Alfonso Caiani ; Giacomo Sagripanti : Direction musicale.