Léonor de Récondo publie Manifesto chez Sabine Wespieser. Une pépite littéraire en cette rentrée de janvier.
Après un roman très réussi, Point Cardinal, qui décrivait la vie d’un homme qui devient une femme, Léonor de Récondo revient avec un livre plus personnel. Il raconte la nuit ou son père, Felix, est mort. Léonor reçoit un appel nocturne, son père est à l’hôpital de la Salpetrière, il va très mal. Léonor et sa mère Cécile se précipitent au chevet de celui qui est en train de partir. Alors Léonor se rappelle et raconte des fragments de vie, des rires aux drames. Elle y dévoile avec pudeur et émotion la force d’un homme. Un homme sculpteur, peintre, besogneux qui lui construira un violon.
Et puis il y a Cécile, femme discrète, amoureuse, qui accompagnera Félix jusqu’au dernier souffle. Léonor de Récondo dessine en creux un portrait de cette mère noble. Le trio, uni pour la dernière fois, vit dans cette chambre d’hôpital l’indicible mystère de l’existence, ce passage obscur de la vie à la mort.
La présence des fantômes
La prouesse de Léonor de Récondo réside dans le fait que ce texte n’a rien de mortuaire. Il est lumineux. Il dit ce qui est vivant, ce qui reste. Cela grâce à un dialogue imaginaire entre Félix et Ernesto – Ernest Hemingway. Le temps, l’espace sont abolis. Ces deux âmes peuvent communiquer, se parler simplement. Ils se racontent la vie avant. Avant la guerre, avant l’exil. Il se remémore l’Espagne, les anciens, l’arbre de l’enfance, Gernika. Ils parlent aussi de l’art qui transcende tout et enfin de l’amour qui est la sève de la vie. Deux vieux qui ont tant à se raconter, qui ont eu une vie riche. Puis lorsque les mots sont dits, lorsque les mémoires sont pleines, les « je » se taisent et, comme dans le poème d’Apollinaire, « Dans le brouillard s’en vont deux silhouettes grises. »
On se doute de la difficulté de parler de la mort d’un père. Léonor de Récondo dépasse cette gageure pour offrir un texte courageux et généreux. Dans Rêves oubliés, l’auteur s’était déjà emparé d’une histoire plus intime, celle de ses ancêtres et de leur fuite de l’Espagne fasciste. Manifesto est quant à lui et avant tout une histoire d’amour, une histoire qui célèbre l’art et la vie. Un roman bouleversant et d’une maitrise impeccable.
Léonor de Récondo, Manifesto, Sabine Wespieser, 192 p.
Photo: Léonor de Récondo © Ph. Matsas