Superbe ouverture de Saison au Capitole : 9 représentations, une salle debout aux saluts lors de la dernière.
Cette production de Traviata en ouverture de saison au Capitole a fait sensation au point que France 3 l’a filmée. Il s’agit de la première saison entièrement construite par le nouveau directeur Christophe Gristi. Sachant quel homme de passion il est, tous nous attendions quelque chose de beau. Et il faut le reconnaître le succès public considérable fait honneur à une production qui frôle la perfection sur bien des plans. Qu‘attendre en 2018 d’un chef d’œuvre incontournable, vu et revu ? Pierre Rambert a su respecter la fine musicalité de l’œuvre, garder en mémoire l’époque de composition tout en mettant habilement en lumière l’intemporalité du sujet. Il s’est adjoint un costumier de grand talent en Franck Sorbier.
Tous les costumes, y compris ceux du chœur, sont superbes. Mais ils ont aussi une dimension psychologique en mettant la puce à l’oreille du spectateur. Les personnages en habits XIXème siècle représentent ceux dont la mentalité date du passé, les conformistes et bien pensants, pleins de bons sentiments.
Germont est le prototype du bourgeois moyen, pur produit du XIXme. Alfredo lorsqu’il repasse sous l’emprise de son père également. Alfredo et Violetta dans leur nid d’amour sont nos contemporains au bord de leur belle piscine, lui en pantalon, espadrilles et chemise ouverte, elle lorsqu’elle quitte son long manteau et son chapeau géant porte une robe noire souple toute simple tout à fait actuelle. Ainsi la fête luxueuse chez Flora semblant d’un autre âge fait XIXème même si elle arbore une robe fourreau lamée de toute splendeur en marge du bon goût. Un autre élément donne au drame son intemporalité, les somptueux décors d’Antoine Fontaine car ils sont également très intelligents. Le loft de Violetta au premier acte se situe dans un immeuble de style Pompier, contemporain de Verdi, avec un étage intérieur style année 50 et éléments modernes. C’est très élégant et beaucoup plus stylé que chez Flora.
L’action du début de l’acte 2 « à la campagne », nous offre une splendide vue sur une crique méditerranéenne, avec un bord de piscine. Les éléments de costumes d’aujourd’hui nous suggèrent que nous sommes à l’époque des Navettes Air France, permettant le retour des héros dans le demi journée… Un autre élément d’intemporalité vient de la mort de Violetta chauve comme après une chimio. Le cancer remplace ainsi la tuberculose ce qui touche encore d’avantage le public. Les lumières d’Hervé Gary sont contrastées entre la lumière aveuglante du début de l’acte 2 et les scènes d’intérieur nocturnes très réussies. L’orchestre du Capitole est royalement dirigé par George Petrou. Le chef sait donner au chef d’œuvre de Verdi une profondeur et un drame de tous les instants. La précision qu’il obtient de l’orchestre en terme de nuances et de couleurs est magnifique. Les instruments solistes sont d’une musicalité remarquable (les bois avec Violetta au 2, le violon au 3). Les violons fragiles et très émouvants dans les deux préludes sublimes et la chaleur ambrée des violoncelles font merveille. On sait combien Verdi en cherchant une grande simplicité apparente demande à l’orchestre de soutenir tout le drame.
George Petrou tient sous sa baguette admirablement le grand Concertato du 2 mais c’est à main nue qu’il dirige le dernier acte avec une délicatesse extraordinaire. Les chœurs sont admirables vocalement et scéniquement. Le ballet chez Flora est interprété avec beaucoup d’humour et de puissance par deux danseurs, Sophie Célikoz et François Auger, maîtres de cérémonie représentant la mort. Pour cette production le Capitole peut s’enorgueillir d’avoir su trouver deux distributions au sommet. Trouver une superbe Violetta est rare mais deux ! Il est impossible de départager les deux dames. Anita Hartig a une allure noble, une voix somptueuse de tenue avec une homogénéité parfaite sur toute son étendue. Son léger vibratello donne comme une aura à son superbe timbre. Les vocalises sont parfaitement réalisées et le legato est souverain. Les phrasés sont nobles et toujours élégants, le souffle large. Anita Hartig a tout d’une grande Traviata. Polina Pastirchak est tout aussi crédible vocalement dans ce rôle écrasant dont elle ne fait qu’une bouchée. Si dans l’acte 1 sa voix met un peu de temps à se déployer dès son duo avec Alfredo le jeu émouvant et l’engagement de chaque instant font merveille.
L’agilité et la beauté des cascades de vocalises dans le « sempre libera » donnent le frisson et l’air est couronné par un contre mi de toute beauté. La sincérité de son jeu à l’acte deux, la tenue vocale, les nuances piano de son chant de douleur arrachent des larmes. Le travail de mise en scène trouve dans ce tableau un véritable aboutissement tant la vérité du jeu se calque sur la musique. La puissance vocale dans le Concertato du 2 est un grand moment d’opéra. Et nous l’avons dit la direction de George Petrou est de première grandeur. C’est là que le travail d’équipe prend tout son sens. Le dernier acte atteint les sommets d’émotions attendus avec des sons pianissimi de toute délicatesse et un jeu poignant. De part son engagement scénique et vocal toute la soirée et surtout ce dernier acte admirable, Polina Pastirchak sera notre Violetta préférée. Pour Alfredo la comparaison des deux ténors est sans appel. Airam Hernández est un ténor au timbre agréable mais sans personnalité et le ténor malhabile semble jouer l’opéra façon années 50. La manière dont il se comporte au dernier acte est désolante. Il s’installe aux pieds de Violetta mourante en cherchant à se placer confortablement !
Le tout jeune Kévin Amiel avec la fougue de la jeunesse et un vrai travail d’acteur est tout simplement Alfredo. Le timbre solaire et clair, immédiatement reconnaissable, a une séduction irrésistible. Il abuse de notes tenues aigues mais elles sont si belles… qu’il est impossible d’y résister. Son jeu au dernier acte est bouleversant. Voilà un jeune ténor promu à une belle carrière. Tout oppose les deux Germont. Nicola Alaimo a une voix de stentor et une technique belcantiste de haut vol. Son personnage est tout d’une pièce : celui qui persuadé de son bon droit et sûr de son fait ne soupçonne même pas le mal qu’il fait. André Heyboer est un Germont plus tourmenté et un acteur plus nuancé. Vocalement il n’a pas les atouts de son aîné mais il s’approprie bien ce rôle avec prestance. Les petits rôles sont admirablement tenus y compris par les chanteurs sortis du chœur du Capitole. Tenir son rang à coté de tous ces chanteurs de premier plan est encourageant. La dernière représentation était une supplémentaire organisée devant le succès des réservations. La salle comble jusqu’aux places avec très peu de visibilité a fait un triomphe à cette magnifique production : standing ovation. Et il avait fallu refouler du monde …. Toulouse est bien l’une des villes qui aime le plus l’Opéra. L’ère de Christophe Gristi s’annonce excellente.
Hubert Stoecklin pour Classiquenews.com
Compte-rendu Opéra. Toulouse, Théâtre du Capitole. Les 2 et 7* octobre 2018. Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Traviata, Opéra en trois actes sur un livret de Francesco Maria Piave d’après La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils ; Création le 6 mars 1853 au Teatro la Fenice à Venise ; Nouvelle coproduction Théâtre du Capitole / Opéra National de Bordeaux . Pierre Rambert, mise en scène ; Antoine Fontaine, décors ; Frank Sorbier, costumes ; Hervé Gary, lumière ; Laurence Fanon, collaboratrice artistique. Avec : Anita Hartig / Polina Pastirchak*, Violetta Valéry ; Airam Hernández / Kévin Amiel*, Alfredo Germont ; Nicola Alaimo / André Heyboer*, Giorgio Germont ; Catherine Trottmann, Flora Bervoix ; Anna Steiger, Annina ; Francis Dudziak, Docteur Grenvil ; François Piolino, Gaston de Letorières ; Marc Scoffoni, Baron Douphol ; Ugo Rabec Marquis d’Obigny ; Danseurs : Sophie Célikoz et François Auger ; Orchestre National du Capitole ; Chœur du Capitole – Alfonso Caiani direction ; Direction musicale: George Petrou.