Luis Fernando Pérez est certainement aujourd’hui le pianiste le plus habile à tisser des liens chaleureux entre le piano de France et d’Espagne.
Spécialiste incontestable des maîtres espagnols dont il a la chaleur dans les veines, son interprétation de Debussy ne manque pas de séduction. En effet dès les trois Danses Espagnoles de Granados, l’évidence rythmique, et la foisonnance des couleurs s’imposent pour ne jamais lasser. Puis Mompou est un compositeur plus difficile et pas si évident pour le public. Il est curieux de savoir que ce compositeur travaillait par « dégraissage », de ses compositions premières jusqu’à ne laisser que les notes essentielles. Car sa musique demeure complexe et sonne richement. Même si ses scènes d’enfants ont une prime d’apparente simplicité, ce ne sont pas des pages si évidentes. Pérez en rend une certaine candeur et la précision de ses doigts fait merveille. La suite de l’Amour Sorcier de De Falla est comme une apothéose de couleurs, de rythmes endiablés, de nuances portées jusqu’à l’incandescence. Le piano de Pérez peut être tonitruant et fracassant quand il le faut, mais comme il sait aussi chanter et nuancer vers l’infime, les confidences d’amour. Ce qui aura marqué dans ces trois groupes de pièces de compositeurs ibériques, c’est le sens du rythme incessamment développé et enrichi qui fait toute la beauté de l’interprétation de Pérez. Un sens du rythme aussi parfait, est rare et tout à fait précieux ici.
En deuxième partie de programme l’alternance de pièces de Debussy et d’Albéniz est passionnante. Pérez fait sonner son piano différemment ; une poésie plus subtile se crée. Mais il y a comme une lumière trop forte pour Des pas dans la neige. Pas assez de mystère, trop d’organisation. C’est la contrepartie de cet amour du rythme qu’incarne Pérez.
La Cathédrale engloutie est beaucoup plus lumineuse et moins impressionniste que d’habitude. L’harmonie et le rythme structurent une vision plus droite et précise des arches, portiques et vitraux ; l’eau pure ne brouille pas la vision avec des vagues et des ombres de l’onde mouvante.
La soirée dans Grenade est évidement la pièce de Debussy la plus aboutie, véritable tableau vivant, comme en miroir de l’hommage pour le tombeau de Debussy par Albéniz. Voilà le cœur du récital et là où Luis Fernando Pérez est royal. Quand au premier cahier d’Iberia toujours d’Albéniz l’interprétation de Pérez est inouïe de vie toujours dansée mais aussi chantée et même pleurée avec un Corpus Christi in Sevilla à faire se lever les foules …en transe. L’Isle joyeuse est presque bacchanale ici et loin des tableaux de Watteau, mais quelle énergie, quel piano heureux !
En bis le clair de Lune de Debussy a été pure poésie comme il se doit et l’appel aux rêves les plus doux.
Luis Fernando Pérez est un grand musicien qui aborde avec panache, bonheur et précision un pan de répertoire complexe du début du XXème siècle. Un grand artiste osant s’approprier de grands compositeurs avec générosité et originalité. Le public de Piano Jacobin lui a fait fête.
Compte rendu concert. Toulouse. Cloître des Jacobins, le 26 septembre 2018. Enrique Granados (1867-1916) : Trois danses espagnoles ; Federico Mompou (1893-1987) : Scènes d’enfants ; Manuel De Falla (1876-1946) : L’amour sorcier suite ; Isaac Albéniz (1860-1909) : Iberia, premier cahier ; Hommage pour le tombeau de Claude Debussy ; Claude Debussy (1862-1918) : Des pas sur la neige ; La cathédrale engloutie ; La soirée dans Grenade ; L’Isle joyeuse. Luis Fernando Pérez, Piano.