On le connaissait jusque là sous son étiquette de TNT, mais il entame une nouvelle vie qui méritait bien un petit changement de nom. Le désormais ThéâtredelaCité se réinvente sous l’impulsion de Galin Stoev et de Stéphane Gil son directeur délégué.
“Je rêve d’un théâtre ouvert, démocratique, utile qui fonctionne comme une cité. Je rêve d’une cité qui nous permette de vivre et de créer librement, de rester émerveillés et de produire du sens, comme une expérience théâtrale qui nous marque à jamais. Bienvenue dans mon rêve, essayons de le matérialiser ensemble” c’est par ces mots que Galin Stoev ouvre le bal, signant là une parole d’artiste à la tête de cette belle infrastructure qui fête ses vingt ans ce mois-ci.
Pour cet anniversaire, l’Opéra Pagaï a mis le waï à tous les étages, transformant ce théâtre familier en Cité merveilleuse. Le lieu s’est vu investi, décoré et a ouvert grand toutes ses portes, donnant du sens à l’esprit festif de cette quasi-nouvelle inauguration. Au delà de la période d’ouverture, volonté est faite d’oxygéner la programmation, de l’ouvrir au plus grand nombre et de s’ancrer davantage dans une dynamique partenariale avec les autres lieux de culture toulousains. A travers co-productions et accueils partagés avec le Théâtre Sorano, le Théâtre Garonne, la Place de la Danse, l’Usine à Tournefeuille, le Lido, le Ballet du Capitole, la Cinémathèque, et ce grand CDN qu’est le Théâtredelacité se devait de renouveler son ancrage dans une dynamique culturelle locale et nationale. C’est chose faite.
Voisineront donc au fil de l’eau des grands “standards” qui font le bonheur des scènes nationales comme la création de Wajdi Mouawad dès le 30 septembre, mais aussi les créations maison de Galin Stoev et celles des artistes invités ainsi que des propositions plus locales, plus pointues ou plus risquées pour accentuer la découverte.
Standards & master pieces
Il faudra donc voir la saga fleuve de Tous des Oiseaux de Mouawad, en grand raconteur d’histoires. On a vécu avec lui le souffle de ces drames épiques, Forêts, Littoral, Incendies, Ciels où souvent l’histoire individuelle, des familles déracinées, des êtres séparés, se mêle à l’actualité à travers des événements forts de nos temps modernes : Tous des oiseaux ne dément pas la fulidité d’écriture du dramaturge et sa capacité à nous embarquer dans un scénario à tiroirs joué en plusieurs langues, sans même qu’on s’en rende compte. Humanisme et vivre ensemble sont à l’arrivée.
Autre incontournable cette saison, la figure de Maguy Marin. Co-accueillie avec le Théâtre Garonne, La Place de la Danse, le Ballet du Capitole, l’Usine, la Cinémathèque de Toulouse et l’Université Toulouse Jean Jaurès, sa présence est un double événement : d’une part elle inaugure le premier Portrait/Paysage que le Théâtredelacité va mettre en place régulièrement avec de grands artistes. D’autre part elle signe le retour dans sa ville d’une chorégraphe majeure de l’histoire de la danse qui comme le dit Galin Stoev « n’a pas peur de redéfinir les limites de la création, de franchir les frontières des genres et de mélanger à la danse des expressions purement théâtrales ». 4 spectacles d’elle vont jalonner la saison, de May B à Groosland en mars dans le cadre de Partages de danses ou à Ha ! ha ! en avril ou encore Ligne de crête sa création 2018 au Théâtre Garonne.
Parmi les choses à voir cette saison il faudra aussi laisser souffler le vent frisquet mais passionné venu de l’est : Galin Stoev choisit avec l’auteur russe Ivan Viripaev, duquel il avait présenté à sa prise de fonction Danse « Delhi », de nous entraîner cette fois dans d’Insoutenables longues étreintes une comédie dramatique comme un voyage initiatique. C’est un moyen pour le public toulousain d’entrer plus avant dans l’univers de ce directeur fraîchement nommé et d’aller se frotter à nos questions existentielles restées sans réponse. La promesse d’un beau voyage.
Dans les grands romans fleuves venus de l’est ensuite, quoi de plus épique que Les Démons de Dostoïevski adaptés et portés par la troupe réunie autour de Sylvain Creuzevault. Ce feuilleton hors norme, parfois intitulé aussi Les Possédés, est une fresque comme seuls les russes en sont capables : démesure des sentiments, ferveur révolutionnaire et choc des idéaux, savant mélange de petite et de grande histoire, de passion et de politique. C’est à voir.
Ecritures revisitées
D’autres jalons, si l’on reste sur le terrain des auteurs et des écritures, pourront être identifiés dans cette saison très variée en terme de styles et de formats. Il faudra donc sans hésitation venir se frotter aux relectures d’écritures connues : une Iphigénie revisitée par la perspicace Chloé Dabert qui a beaucoup travaillé avec de jeunes comédiens sur les écritures contemporaines et qui là cède à la beauté de l’alexandrin racinien.
D’autres auteurs, dans des genres très différents, Marivaux et son Triomphe de l’amour, Jorn Riel repris en solo par Eddy Letexier que le public toulousain connaît bien (Racontars arctiques) ou Georges Perec qu’on découvrira en Homme qui dort sous les traits d’un duo d’artistes. Présenté avec le Théâtre Sorano, ce récit d’un examen raté qui dégénère en vie de repli réunit le comédien Nicolas Fayol et le violoncelliste Vincent Courtois.
Produits du terroir
Mais cette sélection dans la saison ne serait rien sans inciter le public à donner leur chance aux compagnies du cru et aux artistes associés qui empruntent des chemins exigeants.
On aura d’abord le plaisir de revoir Jacques Nichet qui fut longtemps directeur de ce théâtre avec une mise en scène du grand Samuel Beckett : Compagnie. « Une voix parvient à quelqu’un dans le noir. Imaginer ». C’est sur cette consigne de Beckett que navigue le comédien Thierry Bosc. Seul en scène, il entend cette voix d’abord par intermittence, avant qu’elle ne lui tienne de plus en plus compagnie.
Marie Rémond, artiste associée et comédienne découverte la saison dernière dans Soudain l’été dernier, s’attaque à l’écriture épidermique de Jane Bowles dans Cataract valley. Cette nouvelle est une fenêtre sur la mélancolie de Bowles et sur ses personnages, qui comme ceux de Tennessee Williams, vivent dans une incapacité relationnelle au monde et à sa brutalité.
C’est aussi un de ses auteurs favoris Falk Richter, aux antipodes en matière d’univers, qu’a choisi le Groupe Merci après Trust. Dans Je suis Fassbinder il est question forcément de l’engagement critique de l’artiste face au monde et face à son temps. Est-il encore possible d’incarner une posture aussi violemment critique que celle qu’il porta ? Quel courage a-t-on encore aujourd’hui pour dénoncer les remous nauséabonds qui agitent notre chère Europe ?
C’est pour sa part aux sources de la tragédie grecque que s’est abreuvée l’Emetteur compagnie en ressortant au grand jour la force des récits d’Eschyle dans l’Orestie. A nos Atrides ! est une variation sur la grande saga des Atrides portée par des comédiens qu’on aime. La force de cette écriture ancestrale, l’acuité des questions qu’elle nous oblige à nous poser sur des thèmes vieux comme le monde, la violence ou l’amour, la trahison ou la filiation, etc, tout cela fait qu’on ira pour sûr à cette découverte.
On (re)découvrira aussi l’écriture fleuve de Camille de Toledo et la proposition PRLMNT de Christophe Bergon. Construite en deux volets, La Chute et L’invention, cette fiction d’anticipation nous donne à voir un monde qui pourrait être le nôtre dans pas si longtemps. Basée sur une réflexion qui passe au tamis l’état de notre vieille Europe, le spectacle dessine ce qui pourrait être les bases d’un avenir commun pour toutes les jeunesses européennes.
Cécile Brochard
ThéâtredelaCité
Saison 2018 / 2019 • Toulouse
Galin Stoev © Tsvetelina Belutova