C’est une belle histoire !
Joël Saurin, bassiste du groupe Zebda, un des phares de Toulouse qu’on ne présente plus, raconte :
« En 1997, le groupe va jouer au Festival d’été de la Ville de Québec, dans un parc où viennent des mamans avec leurs bébés, des étudiants, des businessmen, des employés de bureau etc… pour la pause de midi ; au moment de la balance, ils s’arrêtent pour écouter, un attroupement se forme, et l’organisateur nous propose de donner un petit concert pour ces « passants ».
Devant le succès de l’initiative, l’idée lui vient de mettre sur pied de façon régulière ce genre de manifestation à Toulouse.
« En 2008, alors que cette idée me trottait en tête depuis une bonne dizaine d’années, j’ai enfin trouvé un lieu toulousain propice à son accueil… »
Le lieu, c’est, de juin et septembre à la Maison de l’Occitanie, rue Malcousinat, et le reste du temps à la Salle du Sénéchal (1), en plein cœur de Toulouse, avec un rapport public-artiste « désacralisé ». Par ailleurs, la précision de l’horaire conjuguée à la possibilité d’« entrées-sorties libres » donnent un caractère décontracté à un événement artistique n’excluant pas l’exigence de qualité.
Son idée, simple, c’était d’offrir aux « toulousains » des spectacles musicaux gratuits, légers, dans des lieux de sérénité, à une heure de la journée peu destinée habituellement à ce genre de pratique mais qui corresponde à un moment libre, en quelque sorte une pause musicale diurne, à déguster « sur le pouce » : un rendez-vous léger dans son organisation, son budget et sa mise en place et qui assure un rôle d’animation musicale régulière.
« Il s’agissait de sortir les piétons du tumulte du centre-ville pour les mener vers un espace inattendu, un instant plus léger, une parenthèse musicale », expliqua Joël aux élus de la Municipalité, qui s’est lancé, avec leur soutien dans l’organisation de la Pause musicale, parallèlement à ses activités de musicien reconnu.
Ce rendez-vous est aussi l’occasion de découvrir des artistes toulousains ou régionaux de styles très éclectiques, par un public pas forcément initié. Une « mise en bouche » en quelque sorte, compte tenu de l’horaire, sur la diversité culturelle du Grand Toulouse et de la Région.
Au menu : musique du monde, chanson sociale, blues, fanfare, ensemble baroque, de la musique médiévale au free jazz, sans oublier des clins d’œil aux autres manifestations toulousaines, de Rio Loco à Détours de Chant ou Passe ton Bach d’abord, Made in Asia et le Festival Occitània, mais aussi des ciné-concerts, des lectures en musique… Il y en a pour tous les goûts.
L’esprit de la Pause musicale, c’est, outre la gratuité et la régularité (hebdomadaire), la diversité totale des styles musicaux, l’ouverture et le contact avec le public. Le premier concert avec l’accordéoniste Didier Dulieux et le tubiste Laurent Guitton reste inoubliable ; mais il n’est pas le seul…
Parmi les coups de cœur de Joël Saurin, il cite Jiang Nan, virtuose de la cithare chinoise, aujourd’hui très demandée, par exemple aux côtés de Jean-Marc Andrieu des Passions pour le magnifique Vent des Royaumes, de Lakdar Hanou pour Ne fut-ce qu’en Chine, ou de Christophe Geiller dans Suonatori… A l’époque, cette superbe jeune femme ne parlait encore qu’imparfaitement le français et était encore toute intimidée.
Le guitariste Serge Lopez, natif de Casablanca, Serge Lopez a nourri son imaginaire de cette ville à travers les évocations familiales: chez lui, la musique est latine et l’identité espagnole et andalouse. Quand il joue il fait corps avec sa guitare, on ne sait plus très bien si l’on est en Andalousie ou à Rio; ce qui est sûr c’est que l’ambiance est chaleureuse, généreuse et ensoleillée « comme là-bas ».
Gregory Daltin, accordéon, accordina, bandonéon, professeur émérite, régulièrement invité par l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, l’Ensemble de musique contemporaine Pythagore, ou l’Orchestre de chambre de Toulouse, est aussi un redoutable improvisateur pour les ciné-concerts de la Cinémathèque de Toulouse.
Il en aurait beaucoup d’autres.
Des centaines de concerts plus tard, cette brèche buissonnière dans la routine quotidienne continue d’offrir aux Toulousains ses spectacles gratuits dans ces lieux paisibles du centre-ville.
Par ailleurs, cette initiative profite à un bon nombre d’artistes toulousains ou régionaux qui peuvent se faire connaître ou confirmer leur notoriété.
Le musicien Joël Saurin, qui ne cherche pas les « surproductions », se fie toujours à son instinct : il écoute les extraits sonores qui lui sont envoyés, et ne va évaluer les postulants sur scène, que pour confirmer (ou infirmer son choix).
Depuis son lancement en septembre 2008 et jusqu’à la fin du mois de juin 2018, la Pause Musicale du jeudi à 12h30 aura produit 442 concerts, et touché un public d’environ 82.200 auditeurs !
Il faut souligner que le soutien financier indispensable de la Municipalité a perduré malgré le changement de majorité, preuve s’il en est qu’elle est devenue incontournable dans le paysage culturel toulousain. Seul bémol, en 2019, conjoncture oblige, la Pause musicale verra, comme toutes les associations, sa subvention réduite de 25% ; elle s’adaptera, quitte à réduire sa saison d’un mois ou deux.
Mais jusque là, elle perdurera à son rythme habituel.
Joël Saurin et ses deux acolytes (au meilleur sens du terme) vont célébrer les 10 ans de La Pause Musicale (2), les 22 septembre à 18h 30 et le dimanche 23 septembre à 16h à l’auditorium Saint Pierre des Cuisines à Toulouse, avec l’organisation de deux séances d’un concert exceptionnel réunissant trois invités ayant déjà joué à la Pause Musicale, et lui ayant laissé un souvenir marquant, comme on l’a vu : Jiang Nan, Serge Lopez, Grégory Daltin et son trio, accompagnés pour l’occasion par l’Orchestre symphonique Opus 31, sous la direction de Guilhem Boisson. Ces musiciens ont déjà interprété leurs compositions au programme avec un grand orchestre : Jiang Nan en Chine, Serge Lopez en Amérique du Sud et en Europe de l’Est, Grégory Daltin en Tunisie, mais ces œuvres n’ont jamais été jouées à Toulouse !
« Parenthèse enchantée qui fleure bon l’éclectisme », la Pause musicale est, j’ose le dire, de salubrité publique : non seulement, elle met la Musique, toutes les musiques, à la portée de tous, mais en plus elle offre à ses auditeurs l’occasion de s’ouvrir à d’autres univers, loin des sectarismes, de découvrir l’immense richesse de la vie musicale toulousaine et régionale.
En ces temps de repli sur soi, où l’inconnu et l’étranger sont mal vus, et même de plus en plus rejetés, avec tous les dangers que cela représente, malgré les leçons de l’Histoire récente, cette belle manifestation prodigue à un public de plus en plus nombreux de la joie à plusieurs titres : non seulement celle de la musique et du partage, mais aussi celle de la découverte et de la convivialité. Des valeurs occitanes tout-à-fait-à leur place à Toulouse, à la Salle du Sénéchal et à l’Ostal d’Occitània.
Bon anniversaire, la Pause musicale (3), et Avanti, la Musica.
PS. le seul regret de Joël Saurin, c’est de n’avoir trouvé à inviter qu’une seule chanteuse de fado. Souhaitons lui que dans dix ans, pour le concert du vingtième anniversaire, il en ait rencontré une et qu’elle partage l’affiche avec quelques-uns de ses autres coups de cœur : Jean-Paul Raffit, Jean-Luc Amestoy, Didier Dulieux…
E.Fabre-Maigné
Pour en savoir plus :
1) Cette salle municipale, sise rue de Rémusat, d’une capacité de 200 places assisses, fait penser à un amphithéâtre de faculté, mais c’est un atout car l’acoustique y est, de ce fait, excellente et la visibilité parfaite.
La maison et la Salle du Sénéchal font partie des endroits les plus imprégnés d’histoire et de l’histoire toulousaine : le nom vient du fait qu’à cet endroit était installée au 13ème siècle la Sénéchaussée de Toulouse. D’après les archives, celle-ci fut créée par Raymond VI, qui nomma comme tout premier Sénéchal de la ville Raymond de Recaldo en 1210.
Un sénéchal était un officier nommé et au service du roi. Il intervenait sur les procédures des affaires criminelles impliquant des membres de la noblesse en amont du Parlement. Celui que l’on nommait aussi « présidial par sénéchaussée » statuait également sur des affaires civiles d’importance relative. La maison du Sénéchal abrita dès 1551 le greffe, le tribunal, la prison et les personnes de la sénéchaussée de Toulouse, elle fut aussi le siège de la Faculté de Lettres au 19ème siècle.
2) Réservations sur Festik :
le 22 septembre: https://apoirc.festik.net/les-10-ans-de-la-pause-musicale/1
ou le 23 septembre: https://apoirc.festik.net/les-10-ans-de-la-pause-musicale/2
3) Renseignements public : https://lecatalogue.jimdo.com/