Compte rendu Opéra. Chorégies d’Orange 2018. Orange. Théâtre Antique, le 9 juillet 2018. Arrigo Boito : Mefistofele. Mise en scène : Jean-Louis Grinda ; Direction musicale, Nathalie Stutzmann.
Tous sous le charme du Mefistofele de Schrott et le baguette de Stutzmann !
Arrigo Boito a osé avec son Mefistofele être très proche du chef d’œuvre de Goethe. Malheureusement c’est une version remaniée et écourtée de moitié qui a eu la faveur du public à Bologne après l’échec à la Scala. La version présentée ce soir est la troisième qui eu enfin du succès à Milan. C’est en tout cas une merveille d’intelligence. Le combat spirituel entre Mefistofele et Le vieux Dieux a toute sa place et Boito est certainement le seul compositeur /librettiste qui a été capable d’une synthèse aussi intéressante des deux Faust de Goethe.
La mise en scène de Jean-Louis Grinda est grandiose et belle sachant toujours respecter la partition. La place donnée aux chœurs entre quasi allure concertante des anges ou folie heureuse et à l’opposé extravertie à l’excès des chœurs de foule est admirable. Les décors sont intelligents et permettent de suivre toute l’action avec tact. Les costumes sont magiques pour les anges, que le vent a magnifiés et un véritable arc en ciel de couleurs vives pour la foule pleine d’une vie foisonnante.
Les lumières sont subtiles et les projections vidéos du plus bel effet (les nuées célestes !). Le tout réalise un beau travail d’équipe qui apporte bien du bonheur au public. Dans la fosse l’Orchestre Philharmonique de Radio France est splendide à chaque instant. Et Boito lui offre des moments spectaculaires ! La direction de Nathalie Stutzmann est merveilleuse d’intelligence et de fine musicalité. Déjà dans les concerts ou elle chante et dirige en alternance j’avais été très convaincu par sa direction, puis son beau geste théâtrale et nuancé dans le Messie de Haendel m’avait convaincu de la grande valeur de sa direction. Mais ce soir je dois dire combien son énergie heureuse et la beauté de sa direction sont un enchantement constant. La sécurité qui se dégage de sa présence, la précision du geste et l’obtention de superbes nuances sont de grand prix. Mais c’est surtout cette tenue du drame, ce lien parfait entre la scène et l’orchestre sans oublier les chœurs répartis sur toute la largeur de la vaste scène mais également en hauteur sur trois étages. Tous sans aucune faiblesse sont sous la main du chef. Voilà un véritable maestro di scena. Bravo a cette première femme qui a dirigé avec cette réussite incontestable au Théâtre Antique d’Orange. Elle et l’orchestre ont eu une ovation particulière bien méritée aux saluts. Nous avons évoqué les chœurs à qui Boito demande beaucoup. Ils ont été particulièrement présents et efficaces. Admirablement coordonnés par Stefano Visconti. Les enfants ont été particulièrement touchants. A chaque instant ils ont été dignes des fabuleuses pages que Boito leur a composées.
La distribution qui jamais n’a démérité est totalement sous le charme sulfureux du Mefistofele d’Erwin Schrott incarnation absolument irrésistible. La puissance de séduction de l’artiste est connue et totale dans un rôle comme Don Juan et la planète de l’opéra le sait. Mais le souffre qu’il met dans ce rôle de diable est un régal de chaque instant avec un humour d’une rare intelligence. Son jeu de scène est si puissant que bien souvent c’est lui que l’on regarde alors que ses collègues ne font que chanter. La voix semble naturellement belle et sonne sans efforts, dans une ligne souple envoutante. Sa silhouette parfois projetée de coté ou sur le mur de fond est magnifique.
Le costume, un superbe manteau de cuir noir, est porté sur le torse nu tatoué donnant une vraie modernité à ce diable tentateur. Que d’aucun auraient voulu voir triompher tant sa beauté ténébreuse enchaine. Le Faust de Jean-Francois Borras est vocalement irréprochable mais le jeu et l’allure de l’acteur sont bien trop convenus.
Béatrice Uria-Monzon qui vient d’obtenir un vrai triomphe ne Lady Macbeth à Toulouse nous surprend agréablement. Si sa voix n’a ni la pureté attendue dans Marguerita ni la beauté sensuelle pour Elena, la tessiture est crânement assumée et le jeu subtile de l’actrice permet d’incarner une Marguerita simple et émouvante ( extraordinaire scène de la mort) et une Elena amoureuse de Faust sensuelle et noblement classique. Marie Ange Todorovitch dans un rôle trop court arrive à être marquante et drôle, en somme inoubliable dans Marta ! Reinaldo Macias assume avec efficacité ses deux petits rôles.
Cette superbe soirée restera dans les mémoires pour la superbe direction de Nathalie Stutzmann et le Mefistofele idéal et irrésistible d’Erwin Schrott. La superbe partition de Boito a gagné sa place dans ce majestueux théâtre bien mieux que la Faust de Gounod rendu par cette comparaison à sa sentimentalité, quand ce soir les murs ont tremblé devant ce combat philosophique épique.
Le souffle du renouveau a soufflé sur les Chorégies 2018 il ira loin certainement et pour longtemps ce vaste vaisseau romain !
Hubert Stoecklin
Compte rendu Opéra. Chorégies d’Orange 2018. Orange. Théâtre Antique, le 9 juillet 2018. Arrigo Boito (1842-1918) : Mefistofele, opéra en un prologue, quatre actes et un épilogue. Livret du compositeur d’après Wolfgang Von Goethe. Version de milan de 1881. Mise en scène : Jean-Louis Grinda; Décors : Rudy Sabounghi ; Costumes : Buki Shift; Lumières : Laurent Castaingt ; Vidéos : Julien Soulier. Avec : Erwin Schrott, Mefistofele ; Jean-François Borras, Faust ; Béatrice Uria-Monzon, Marguerita/Elena ; Marie-Ange Todorovitch, Martha ; Reynaldo Matias, Wagner/Nereo ; Valentine Lemercier, Pantalis ; Chœur du Grand Opéra Avignon ; Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo ; Chœur de l’Opéra de Nice ; Chœurs d’enfants de l’Académie de musique Rainier III-Monaco. Coordination des Chœurs : Stefano Visconti. Orchestre Philharmonique de Radio France ; Direction musicale, Nathalie Stutzmann.