En 1987, à Toulouse, trois amis portés par la même envie électrisante de faire de la musique, s’empare de ce nom pour désigner leur formation. Ils s’appelleront Robespierre. L’idée leur vient d’un groupe post-punk hollandais, Mecano, dont l’un des titres s’appelle Robespierre re-marx. Ça claque comme une vieille controverse identitaire, et il parle à chacun sans trop en dire. Tout devient alors possible.
Alors qu’il n’était encore que lycéen, Laurent, le chanteur du groupe, animait une émission de radio libre à Moissac, et parmi les disques à portée de platines, certaines pochettes plus élimées que d’autres laissent entrevoir un nom : New Order. Sa monomanie trouve écho chez Guillaume, qui deviendra le guitariste du groupe. Le bassiste, Didier, autre fan des gars de Manchester, Laurent le croise un peu plus tard, à la sortie du film 37,2° le matin. Le noyau dur est formé et aujourd’hui encore reste le même.
Après une tournée en 1988, accompagnés de deux autres musiciens, le groupe se sépare en 1990 mais l’amitié perdure. En 2015, avec le retour de Laurent sur Toulouse, Robespierre renaît de ses partitions et de nouveaux titres voient le jour. Le bar du Ravelin accueille un premier concert le 20 janvier 2017, en première partie de Skin and Wire. C’est ce soir-là que je croise leur route. Quelques mois plus tard, j’apprends qu’ils donnent un concert au Cactus en février de cette année (1). Emporté par leur lyrisme et leur sincérité, je me décide à contacter Laurent et je lui fais part de mon envie d’aligner quelques lignes sur leur trajectoire. Nous abordons la genèse du groupe mais je sens bien que le mieux, pour lui, c’est de me laisser submerger par sa musique pour le comprendre. Puis un soir, sans trop rien dire, il m’envoie un lien comme un conseil. Il me dit de regarder une vidéo sur Taxi Girl. Je comprends alors un peu mieux ce qui se joue, et ce qui se cache derrière cette volonté de créer et susciter une émotion. Je le comprends à travers les mots des deux membres du groupe Taxi Girl.
D’abord Mirwais Stass : « Nous sommes persévérants parce que nous n’avons rien d’autre à faire, et rien à perdre. Ça c’est même pas moi qui le dit, c’est Bob Dylan. Quand tu n’as rien, tu n’as rien à perdre. La persévérance c’est ça : quand tu n’as rien à perdre, tu ne peux que gagner. »
Puis Daniel Darc : « À dix huit ans de toute façon tout ce que tu lis, tu dois le voler. Et puis tu dois lire l’Attrape-cœurs. Tu dois lire Do it de Jerry Rubin. Tu dois écouter du rock, tu dois écouter Elvis et Gene Vincent. Et puis, je sais pas, tu dois écouter Dylan, tu dois lire Dylan, Lou Reed… En fait je dois tout au rock. (…) Si je me suis intéressé à tout un mouvement de pensée underground des années 60 aux Etats-Unis c’est par le rock. Et ça peut sembler complètement idiot et con mais si je lis Malraux c’est grâce au rock. Si un jour j’ai accepté de voir un film de Jean-Luc Godard au cinéma c’est parce que Patti Smith avait dit que c’était génial. »*
Robespierre, ça commence un peu comme Taxi Girl. Même désir de justesse, même amour du rock, même volonté de partage. L’exigence de laisser retentir le tonnerre, de transmuer une vision du monde en philosophie, en contestation, en poésie. Dans le texte, cette vision crue et sans concession traite d’une société qui nous formate un peu trop et le désir, la possibilité d’en réchapper : « Skinner » parle de l’aliénation et de l’exagération des sentiments dans le monde des réseaux virtuels ; « Aerostation » s’apparente à un voyage en apesanteur cotonneux, une fuite périlleuse comme une porte de sortie ; dès les premières notes de « Magic box », une nostalgie émerge et la douleur d’une énième séparation te remet en question ; « Boxer », plus cynique, creuse l’allégorie entre la boxe et le couple. Avec « Liar », je frissonne comme si je traînais dans les rues fumeuses de Rostov-sur-le-Don, la ville dont le groupe Motorama est originaire. Robespierre tisse une ligne de Manchester à Rostov et donne un nom à ce réseau comme s’il n’avait d’autre but que de relier le post-punk à la new wave.
« Le métier de musicien c’est un métier de poète. Ça veut dire ouvrir tes yeux quand tu marches dans la rue, ça veut dire entendre quand les enfants pleurent (…) Le rock c’est une paire de lunettes magiques par laquelle on voit tout. »* La documentaire s’achève, je note les mots de Daniel Darc que Laurent m’a dit avoir croisé un soir, à Paris. Laurent n’est pas là mais je l’imagine balancer sa tête comme pour acquiescer aux mots de Daniel, avec son petit sourire complice et malicieux, comme s’il était là derrière moi. Probablement qu’il m’en adressera un autre, dimanche, dès que le premier morceau démarrera, si j’arrive à me faufiler aux premières loges.
*Un enfant peut en cacher un autre, documentaire sur Taxi Girl, 1984. Diffusé dans « Les enfants du rock ».
(1) Robespierre sera en concert au Cactus (13 boulevard Lascrosses) le dimanche 25 février 2018 à partir de 19h30.
John Lavoignat