La petite boutique XTCienne est sise à Swindon, entre Respectable Street et Quality Street. C’est là que vit encore et toujours le trio magique Colin Moulding, Dave Gregory et Andy Partridge, peu sensibles aux lumières de la rampe londoniennes.
XTC est un groupe anglais jusqu’au bout des ongles qui, est-il besoin de le préciser (sauf aux plus jeunes et aux ascètes partis en retraite de 1976 à 2000), laissera une trace majeure sur la carte de la pop baroque et barrée (et quelques autres contrées explorées en sous-marin, jaune évidemment !).
Mais les fauteuils sont avancés, le thé est servi, les soldats de plomb sont parfaitement alignés. Messieurs les Anglais, tirez les premiers…
Hello Andy, merci de nous recevoir…
Je suis touché que tu t’intéresses à nous car nous n’avons pas eu beaucoup de succès en France. Quand nous jouions chez vous, le public était perplexe et ne comprenait pas notre musique. Parfois, il était même carrément hostile et nous balançait des verres.
Pourtant vos disques ont eu du succès en France. Les Inrockuptibles ont fait des unes avec vous dans les années 90. Vous avez influencé des groupes français comme les Innocents ou L’Affaire Louis Trio…
Oui, il y a sans doute un petit culte XTC dans votre pays mais ça reste limité par rapport aux USA, au Japon, à l’Australie, à la Nouvelle-Zélande, au Canada, à la Hollande, où nous avons eu plus d’écho.
Et chez vous en Angleterre ?
Deux choses nous ont freiné chez nous. On a arrêté de tourner assez tôt. Et on a été banni de Top Of The Pops par un producteur bourré avec lequel on s’était disputé lors du tournage de « Sense Working Overtime ». Ça a signé notre mort télévisuelle et ça nous a tué en Angleterre.
Et vous ne défrayiez pas la chronique avec des comportements dont raffole la presse musicale anglaise, assez souvent au piètre niveau des tabloïds type The Sun… Avec cet autre travers de découvrir le meilleur groupe du monde toutes les semaines…
Oui c’est très anglais ça. Nous sommes un seul gros village dans une petite île. Et les nouvelles vont vite chez nous, et on s’en lasse tout aussi vite. Je dirais aussi que la presse musicale de chez nous est très condescendante : ils adorent descendre les groupes en flammes, et ils se considèrent comme les seuls à avoir bon goût. XTC avait aussi un autre handicap : nous venions de Swindon qui est la ville-gag dont tout le monde se moque en Angleterre. Les habitants de Swindon sont considérés comme des benêts. C’est devenu une tradition de se moquer de nous comme vous vous moquez des Belges par exemple. Donc nous n’étions pas pris au sérieux par certains. Nous aurions été considérés comme des dieux si nous avions originaires été de New York. (rires)
Tu es entré en religion pop en entendant dans ton enfance les Beatles et les Monkees…
Oui, c’était en 1963, j’avais dix ans. J’ai vu dans un cinéma Hard Day’s Night, le film des Beatles. Je me revois avec mes culottes courtes, entouré de toutes ces filles qui criaient pendant le film. Je me demandais : « Hum, est-ce que les garçons doivent crier aussi ? » Je ne connaissais pas l’étiquette en la matière. (rires) Ce fut le point de départ de ma fascination pour les Beatles. Et puis j’ai découvert un peu après le show télé des Monkees qui étaient les Marx Brothers de la musique. Mais en grandissant, j’ai extrêmement varié mes découvertes et mes horizons musicaux. J’avais alors un copain avec lequel nous échangions nos disques, et j’ai ainsi apprécié des choses comme Sun Ra ou Captain Beefheart.
Quand je vous ai connus il y a trente ans, on vous appelait les « Beatles des années 80 ». J’ai toujours trouvé que c’était une étiquette très réductrice de votre musique. Car on entendait aussi du reggae dans « Statue Of Liberty » ou un côté jazzy dans « The Man Who Sailed Around His Soul »…
Nous avons été influencés par les Beatles, mais aussi par des tas d’autres groupes. Je pense que ce surnom était facile, qu’il était un peu comme un mot-valise, un truc facile pour des gens finalement pas très curieux, qui s’arrêtent à la première impression.
.
Pourquoi avoir arrêté de tourner très tôt, dès 1982 ?
Le groupe tournait non stop depuis cinq ans. On était lessivé, usé, et on a pas vu un penny, pas un rond durant toutes ces années. Alors que nous jouions dans de grosses salles sur la fin. Je prenais aussi sans doute trop sur moi, je répondais à toutes les interviews. J’avais tout sur le rable, concerts, interviews, promo. C’est tout juste si j’avais le temps de manger. Je me reposais très peu. J’étais comme un hamster dans sa roue. Vint un moment où je voulus arrêter tout ce cirque, avoir une vie plus paisible, fonder une famille, avoir des enfants… Je voulais en finir avec cette fatigue qui ne me rapportait rien, de ces pèlerinages d’hôtel en hôtel. Je suivais également un traitement au valium depuis mon enfance, et j’étais devenu dépendant à ce médicament, sans le savoir. Et, durant une tournée aux USA au début des années 80, ma première épouse a décidé que je devais désormais me passer du Valium. Elle a tout balancé dans les toilettes et je me suis retrouvé sans le moindre comprimé. Or on ne peut pas arrêter d’un seul coup ce type de molécule. Du coup, je me suis senti très très mal, j’ai eu des attaques de panique et d’amnésie. Ce fut horrible. Et le groupe m’en a beaucoup voulu quand j’ai décidé d’arrêter les tournées. Et je ne te parle pas de Virgin (notre maison de disques).
Puisque tu parles de Virgin, vous avez un parcours très chaotique à cause de vos relations orageuses avec votre maison de disques…
Le point culminant a été 1992, après la sortie de Non Such où Virgin n’a rien fait pour promouvoir ce disque dont nous étions fiers. Dave Gregory a alors lancé comme une boutade : « On devrait se mettre en grève ! » Et je lui ai aussitôt répondu : « C’est une fabuleuse idée ! » Et alors qu’on devait encore quelques disques à Virgin, on a plus rien foutu, ni promo, ni chansons, rien ! Ça a duré quand même cinq ans. Dave récupérait des voitures dans les aéroports pour une entreprise de location. Colin vendait du fuel chez lui, avec une pancarte « fuel pas cher » posée devant chez lui. (rires) Quant à moi, j’ai continué à écrire mais en me serrant sacrément la ceinture.
Au moins, Colin te passait un peu d’essence pour tes Rolls !
Ah ah, non, figure-toi que je ne conduis même pas ! Toute cette histoire a bien embêté Virgin aussi. Et, en 1997, on a réussi à reprendre notre liberté même si Virgin garde les droits sur nos albums sortis chez eux.
D’où venait votre contentieux et votre procès avec Virgin durant toutes ces années avant de trouver un accord en 1997 ?
Notre manager de l’époque était nul. Il avait conclu un mauvais deal avec Virgin qui faisait que nous avons eu de grosses avances mais c’était eux qui détenaient les droits des disques. Donc, nos ventes remboursaient les avances. Pendant des années, nous n’avons rien touché. C’est arrivé aux Who qui n’ont pas été payés aussi pendant… onze ans ! Tu peux le croire ça ? Quelle arnaque !
J’avais jadis lu une anecdote où Virgin vous avait, un jour, demandé de sonner comme ZZ Top. Est-ce réellement arrivé ?
Quand j’ai présenté les chansons de Mummer à Virgin en 1983, leur directeur artistique a trouvé que ça n’était pas assez vendeur, et il m’a demandé si je n’étais pas plutôt capable d’écrire des morceaux qui sonneraient comme ZZ Top (qui cartonnait à l’époque). J’étais abasourdi.
Le label anglais Ape House vient de rééditer l’épatant Skylarking (sorti en 1986). C’est un album enregistré dans la douleur, et tu n’étais guère content de la production de Todd Rundgren à l’époque. Comment vois-tu ce disque avec le recul ?
Il y avait deux gros egos dans le même studio : Todd et moi. On s’est beaucoup opposé. Rundgren est un arrangeur exceptionnel mais humainement c’est un type désagréable et très dictatorial. Il n’admet aucune objection à sa vision des choses. Colin et Dave n’étaient pas heureux non plus, et Virgin nous disait d’obéir à Rundgren. Malheureusement, je suis un enfant désobéissant. (rires) Mes chansons sont mes bébés et je sais ce que je veux qu’elles deviennent. Mais, oui, tu as raison, c’est un album assez épatant, mais la naissance fut douloureuse.
Par césarienne !
Ah ah, exactement, et le docteur Rundgren a frappé la mère ! C’est une image mais aucun de nous deux ne voudra plus travailler avec l’autre.
Pourquoi le tube « Dear God » n’a pas figuré sur ce disque initialement ?
Nous avions trop de morceaux pour le disque (les vinyles ne contenaient pas autant de place qu’un CD. De plus, Geffen (qui était notre maison de disques aux USA) était un peu embarrassé avec le texte de la chanson [NDA : une chanson anti-religions]. Ils ont donc lourdement insisté auprès de Virgin pour que « Dear God » dégage du tracklisting. Ils ont mis « Another Satellite » à la place. Et j’ai décidé aussi d’enlever « Mermaid Smile » car il fallait enlever deux morceaux au total, et je ne voulais pas éliminer un morceau de Colin pour ne pas le vexer/punir. « Dear God » est finalement sorti en face B de notre single « Grass ». Mais, quand il a commencé à circuler aux USA, le public a réclamé très rapidement que les radios passent plutôt la face B. Il y a eu tout un scandale autour de ce morceau. Certains adoraient le texte, les puritains américains le qualifièrent de « merde satanique » et plusieurs stations radios reçurent des alertes à la bombe. Tout ce bazar a beaucoup fait vendre ce single.
.
Donc le succès de « Dear God » est plus du à son texte qu’à sa pourtant très belle mélodie ?
Totalement ! C’est le texte controversé de ce morceau qui en a assuré le succès. J’ai même reçu un nombreux courrier, avec des gens qui m’envoyaient des bibles ou qui me prédisaient que j’irais brûler en enfer.
Comme Lennon, tu étais soudain devenu plus populaire que Jésus !
C’est assez incroyable de voir à quel point l’Amérique a toujours été puritaine. La seule différence entre les USA et l’Afghanistan est qu’on trouve plus facilement des hamburgers aux USA. (rires)
De manière assez incroyable quand on connaît vos chansons, vous avez eu assez peu de tubes à part « Dear God » et « Making Plans For Nigel » …
Il y a eu aussi « Sense Making Overtime » en Grande-Bretagne et « The Mayor Of Simpleton » en Amérique. Mais c’est à peu près tout.
.
Outre la réédition de Skylarking qui a un son fabuleux (en surround), Ape House ressort tous les Fuzzy Warbles. Pourquoi ce choix ?
Ce sont toutes mes démos, certaines morceaux jamais sortis sur disque. Pourquoi ce choix ? Parce que j’en avais marre de les voir apparaître sur plein de bootlegs de par le monde.
Peut-on rêver d’un nouvel album de XTC, seize ans après Wasp Star ?
Non. Mon mariage avec Colin est définitivement rompu.
Qu’avez-vous fait les uns et les autres depuis ?
J’ai mis en musique les poèmes de Peter Blegvad (Gone Words), fait l’album Wing Beat Fantastic avec Mike Keneally, un ancien guitariste de Zappa. J’ai enfin composé un disque électronique, Powers, inspiré par Richard Powers, un illustrateur qui fit les couvertures de livres de science-fiction que je dévorais enfant. Colin a fait des reprises de rock progressif. Dave Gregory joue dans deux groupes : Big Big Train (qui est aussi prog) et Teen Spirit.
Tu connais bien la musique française ?
Euh, je vous place moins haut pour la musique pop que pour la cuisine, les vins ou l’histoire ! (rires) Mais j’aime Charles Trenet et Jacques Brel.
Rien d’autre ? Les anglo-saxons citent souvent Gainsbourg…
Oui et non. Je connais quelques-uns de ses disques. Melody Nelson est très réputé. Je l’aime bien mais je ne le considère pas comme un chef d’œuvre absolu non plus. Je préfère plutôt Debussy ou Erik Satie !
Tu es passionné par les soldats de plomb. Cela vient-il de ton enfance ?
Tout à fait. J’étais un enfant unique et je m’évadais beaucoup en créant des mondes imaginaires. J’inventais des pays, des guerres, des drapeaux imaginaires, parfois en les mélangeant à d’autres existants. Je dessinais des uniformes. J’ai gardé ce goût et, j’ose l’espérer, cette imagination. Cela va t’étonner mais ma période préférée est la guerre de Succession d’Espagne qui a opposé les Habsbourg et les Anglais à votre roi Louis XIV. Ce dernier a d’ailleurs dit sur son lit de mort : « J’ai trop aimé la guerre. » Notre duc de Marlborough s’est illustré lors de ce conflit européen en gagnant quasiment toutes ses batailles.
Si tu devais garder un seul disque, un seul film, un seul livre, que choisirais-tu ?
L’album double Emergency ! de Tony Williams Lifetime, le film Passeport pour Pimlico (quasi ex-aequo avec Mon oncle de Jacques Tati), et le formidable livre Woman’s encyclopedia of myths and secrets de Barbara G. Walker, sur l’oppression contre les femmes due aux religions et aux mythes.
Bertrand Lamargelle
Un article d’Abus Dangereux