Cet opéra en cinq actes proposé pour clore la saison est donc un ouvrage de Giacomo Meyerbeer, Jakob Liebmann Meyer Beer, né près de Berlin le 5 septembre 1791. Le compositeur fut qualifié de père du grand opéra français, une figure européenne que l’on semble vouloir redécouvrir, musicien, dramaturge et penseur de ce mouvement dit éclectique, salué par Hector Berlioz et Emile Zola. Commencé en 1838, achevé en 1841, révisé en 1848, sa création eut enfin lieu le 16 avril 1849 au Théâtre National, Salle Le Peletier avec le plus grand ténor à l’époque, le dénommé Gustave Roger et le plus grand contralto, Pauline Viardot.
Le 16 avril 1849, la salle de l’Opéra était remplie d’une foule étrangement cosmopolite. Il était venu des gens de toutes les parties du monde pour assister à la première représentation du Prophète, œuvre dont l’apparition était restée pendant si longtemps problématique qu’on avait fini par douter de son existence même.
Malgré les agitations auxquelles elle était en proie sur presque tous les points, l’Europe eut ce jour-là une heure de trêve ; sa curiosité se concentra sur une œuvre lyrique donnée à l’Opéra de Paris, et, pendant près d’une semaine, le Prophète prit dans la presse du monde entier le pas sur la politique.
Le Prophète, l’œuvre la plus grandiose et la plus colorée de Meyerbeer, obtint un succès qui n’a jamais cessé de croître. On l’admire plus encore aujourd’hui qu’à son apparition. Roger, qui venait de quitter la salle Favart, et Mme Pauline Viardot, qui arrivait de la salle Ventadour, remplirent avec succès les principaux rôles.
Le Prophète conservera dans l’avenir une triste célébrité : il est le dernier ouvrage qu’on ait représenté sur le théâtre de la rue le Peletier.
Que d’ouvrages joués depuis 1849, et combien peu rappellent ceux de la belle période qui les avaient précédés ! Il semble que tout d’un coup la source des œuvres fortes ait été frappée de stérilité.
Pour information, un ballet, dit des patineurs, fait partie de cet opéra, ballet indispensable alors dans ce type d’ouvrages, incontournable même. D’une durée d’environ vingt minutes, il est donné sous la forme d’un mouvement chorégraphique confié à Pierluigi Vanelli.
Au chapitre VII de L’œuvre (1886), Emile Zola fait dire du compositeur, dans la bouche du peintre Gagnière, les propos suivants : « Un malin qui a profité de tout, mettant après Weber la symphonie dans l’opéra, donnant l’expression dramatique à la formule inconsciente de Rossini. Oh ! des souffles superbes, la pompe féodale, le mysticisme militaire, le frisson des légendes fantastiques, un cri de passion traversant l’histoire ! Et des trouvailles, la personnalité des instruments, le récitatif dramatique accompagné symphoniquement à l’orchestre, la phrase typique sur laquelle toute l’œuvre est construite…Un grand bonhomme, un très grand bonhomme. »
Meyerbeer fut l’auteur pratiquement le plus populaire au XIXè siècle, joué et rejoué, devenu même terrible routine parce que victime de son succès, mais aussi victime de l’antisémitisme – il sera interdit plus tard par les nazis – et qui a disparu des scènes lyriques pendant de nombreuses années. Partageant sa vie entre Paris et Berlin, il succèdera en tant que Kappellmeister à Berlin à Gaspare Spontini, l’autre précurseur du Grand Opéra dont vous connaissez au moins son opéra La Vestale de 1807. Très admiratif de Rossini, notre musicien était curieux de tous les compositeurs de l’époque, une époque faste, avec les nombreux opéras d’un Donizetti, les ouvrages de Bellini, les premiers Verdi et tous les autres grands compositeurs de ces “grands opéras“, les Halevy, Auber, Adam, Boieldieu, et même Saint-Saëns. C’est un compositeur en prise directe avec son temps.
Il a aussi préparé la suite, et notamment Wagner, qui lui empruntera beaucoup, notamment au début de sa carrière. On a même dit que Rienzi était le meilleur opéra de Meyerbeer !! Ceux qui ont assisté à cet opéra au Capitole il y a quelques années peuvent mieux apprécier la remarque. En matière, d’orchestration exceptionnelle de richesse, finesse, invention, de structuration des partitions, de leitmotive, Meyerbeer est bien reconnu comme un précurseur. Un critique écrira : « Monsieur Meyerbeer porte le génie des combinaisons au plus haut degré ; aussi, non seulement les accents de toutes les passions, mais encore tous les bruits de la nature, les voix des esprits et des génies sont exprimés par cet orchestre fantastique. »
Les opéras de Meyerbeer sont difficiles à monter, il est vrai, à cause de l’énormité des spectacles qui sont relativement longs, nécessitant des décors conséquents donc onéreux, exigeant des masses chorales fournies et d’un niveau remarquable, à cause encore de la rareté du répertoire ce qui exige de la part des orchestres une étude ex nihilo et donc un travail de préparation plus long qu’à l’accoutumée, à cause enfin de l’extrême difficulté du chant qui combine le bel canto romantique et le bel canto rossinien. N’oublions pas en effet que nous sommes en plein opéra du milieu XIXè. Difficulté notamment pour les ténors, et des ouvrages qui demandent un nombre de chanteurs de niveau au-dessus de l’ordinaire, donc, plus difficile à réunir. Les opéras de Meyerbeer étaient conçus pour “ la grande boutique“ (c’est ainsi que Verdi désignait l’opéra de Paris, pas encore Palais Garnier) et dans l’idée de créer une œuvre d’art total par combinaison de tous les moyens offerts.
Monter un opéra de Meyerbeer est bien, maintenant, une entreprise assez risquée, qui peut mettre en péril une maison d’opéra sur cette seule production. On est donc d’autant plus admiratif de l’audace de son directeur d’alors, Frédéric Chambert qui a décidé de tenter le coup. Et on ne peut que souhaiter un public suffisamment curieux et nombreux pour les cinq représentations.
On se doit d’évoquer un fait toujours d’actualité, à savoir, qu’il est de bon ton de dénigrer la musique du compositeur né près de Berlin et “tombé“ amoureux dès sa première visite, de Paris et sa vie culturelle. Une musique que d’aucuns qualifie même de médiocre. Ce qui laisse supposer, chose assez extraordinaire, qu’au XIXè, avec l’abondance des créations, le public qui en était friand avait donc, finalement, extrêmement mauvais goût. Ceux qui ont des oreilles préfèreront remarquer la qualité de cette musique, son sens dramatique, son dynamisme mais aussi, pour ce qui concerne Le Prophète , la qualité du livret, ou du moins la qualité de l’intrigue et des questions qu’elle amène. Il ne faudra pas alors que la mise en scène batte en brèche ces qualités-là : rude tâche pour le metteur en scène en charge de ce pari. C’est Stefano Vizioli qui nous avait déjà fait partager son travail dans Les Deux Foscari, la saison 2013-14. Un travail bien accueilli ce qui ne peut que nous rendre confiants !! Il est assisté de Alessandro Ciammarughi aux décors et costumes et Pierluigi Vanelli aux lumières.
A la direction de la production, on retrouve dans la fosse un habitué du Théâtre du Capitole, le chef Claus Peter Flor, à la tête de l’Orchestre du Capitole, l’un des meilleurs orchestres de fosse français. Les conditions sont réunies pour que l’on puisse apprécier cette musique spectaculaire, tendue, nerveuse, qui sait être ironique mais aussi subtile et raffinée, et qui montre des moments d’un très grand lyrisme et d’une très grande émotion. On dit que l’orchestration n’est pas simple, bien au contraire : Meyerbeer sait mettre en scène l’orchestre, mettre en valeur les instruments et, très intéressé par les voix, il fut d’une grand exigence allant jusqu’à faire lui-même répéter les chanteurs. Le compositeur était un grand pianiste virtuose. On pourra remarquer que l’orchestre accompagne toujours avec efficacité les voix, sans jamais les couvrir, même dans les ensembles et les concertati. Ses exigences sont bien éloignées de celles d’un, plus tard, Richard Strauss, par exemple et d’autres. Mais, il n’y a pas que les voix des solistes. Les interventions des chœurs sont bien partie prenante de l’ouvrage. Là, la qualité du Chœur et Maîtrise du Capitole sous la direction d’Alfonso Caiani nous rassure pleinement.
Le Prophète va constituer le troisième de ses immenses succès parisiens, avant L’Africaine. Après quelques péripéties caractéristiques de ces milieux artistiques, Meyerbeer va pouvoir terminer son opéra et surtout faire chanter le rôle de Fidès par celle pour qui le rôle était écrit, la célèbre Pauline Viardot – voir l’histoire de la famille du ténor Garcia et de ses filles.
Fidès est un rôle écrasant chanté par une mezzo-soprano ou plus grave encore, un contralto. C’est la mezzo Kate Aldrich qui relève ce défi tandis que son fils Jean, autre rôle écrasant, est le ténor John Osborn qui vient de le chanter à Essen, sa prestation étant qualifiée de haut vol. La fiancée de Jean, Berthe est interprétée par la soprano Sofia Fomina.
Comme tout ce que l’on appelle les grands opéras de l’époque, c’est un drame historique. Il se passe à Dordrecht, ville des Pays-Bas et Münster en Allemagne, au XVIè siècle et retrace l’histoire de Jean de Leyde et de la révolution des anabaptistes (1533 – 1536). Le livret est de Scribe comme la plupart des opéras du compositeur. Mais on se doit de remarquer que Scribe s’est passablement inspiré de l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations d’un certain Voltaire, même si l’histoire se révèle peu fidèle. Reçu en 1836 à l’Académie française, Eugène Scribe est l’une des figures dominantes du théâtre français du temps, et de l’opéra plus particulièrement. Habile dans tous les genres, maître dans la construction de l’intrigue et des effets (retournements de situation, coups de théâtre…), il vise non pas l’expression poétique mais l’efficacité dramatique, un talent inouï pour « nouer l’intrigue et la dénouer par mille petits moyens dont il a le secret, qu’il tourne et retourne à l’infini. »
SYNOPSIS le plus abordable
Jean vit avec sa mère Fidès ; il aime et est fiancé avec la jeune Berthe. Orpheline, celle-ci doit demander l’autorisation de se marier au Seigneur du village, Oberthal. Ce dernier, la trouvant fort à son goût, la lui refuse et retient la jeune fille et Fidès qui l’avait accompagnée.
Au même moment, trois anabaptistes sillonnent le pays pour pousser les paysans à la révolte et cherchent à attirer Jean en qui ils voient un futur roi tant sa ressemblance avec un portrait du Roi David dans la cathédrale de Münster est frappante. Celui-ci refuse.
Berthe et Fidès réussissent à échapper à Oberthal. Berthe se réfugie chez Jean, mais Oberthal survient et menace de tuer Fidès si Berthe ne lui est pas livrée. Jean abandonne Berthe à Oberthal pour sauver sa mère.
Mais il décide de se venger. Pour cela il va rappeler les anabaptistes et s’y associer. Il part avec eux prêcher la révolte, mais doit abandonner sa mère et partir seul mener la lutte religieuse parce que désormais il est le « fils de Dieu » .
Si ce début est assez complexe, la suite est plus simple : Jean à la tête des anabaptistes vole de victoire en victoire, mais aussi de violences en violences au nom de la religion : au début de l’acte III, le chœur des anabaptistes réclame « Du sang ! ». Jean oublie sa vengeance, et devient assoiffé de pouvoir, manœuvré par les trois anabaptistes qui l’avaient « recruté », il devient une sorte de faux prophète « fils de Dieu » et conquiert Münster dans la violence, les religieux s’enrichissent en spoliant les riches ou en récupérant leurs biens après les avoir tués. Mais la victoire est fragile. Et déjà les trois anabaptistes songent à le livrer à l’ennemi pour sauver leur peau.
Fidès reconnaît son fils dans le faux prophète. Ils finissent par se retrouver, Jean retrouvant aussi Berthe, mais il est trop tard pour retourner au bonheur et Berthe se suicide tandis Oberthal surgit avec les trois anabaptistes pour se saisir de Jean. Horrible explosion et tous périssent dans les flammes, Jean étant rejoint par sa mère.
Pour faire plus bref encore, Fidès est emprisonnée par le comte Oberthal (acte I), sauvée de la mort par son fils, au prix de sa fiancée livrée au comte (acte II), puis reniée par ce même fils au moment où il est couronné roi-prophète par les anabaptistes qu’il a rejoint (acte IV), enfin réconcilié avec lui, repentant, qu’elle rejoint au milieu du château en flammes pour mourir à ses côtés, un incendie réclamé par Berthe juste avant de se donner la mort !! Le tableau final a valeur de purification symbolique : le peuple hurle de terreur. Jean et Fidès, réunis par les liens du sang et un amour maternel plus forts que tout, joignent leurs voix dans une prière à Dieu tandis que les flammes consument le palais de Münster.
Michel Grialou
Le Prophète (Giaocomo Meyerbeer)
Claus Peter Flor (direction musicale)
Stephano Vizioli (mise en scène)
du 23 juin au 02 juillet 2017
Claus Peter Flor © Peter Rigaud
Kate Aldrich © Fadil Berisha
John Osborn © Matilde Fasso
Sofia Fomina © Alecsandra Raluca Dragoi Olga Martinez