Compte-rendu, concert. Toulouse. Halle-aux-Grains. Le 7 avril 2017. Mozart. Bruckner. Laloum, piano. Orchestre du Capitole de Toulouse. Swensen, direction
Quel beau concert dont on sort l’âme heureuse, apaisée ; capable d’affronter la vie dans sa complexité. Les deux artistes invités par l’Orchestre du Capitole sont des fidèles. Le chef charismatique Joseph Swensen après une quasi intégrale Mahler sur plusieurs années, semble préparer une intégrale Bruckner. Le pianiste toulousain Adam Laloum est chéri du public en raison d’une personnalité artistique attachante et d’une musicalité des plus délicates.
En un siècle, quelle évolution en Autriche !
Dès les premières mesures du sublime Concerto Jeunehomme, nous avons su que l’alchimie des grands moments était présente. Le Concerto unique dans ce temps de la musique galante de Mozart est déjà une œuvre de la maturité. Composé pour une virtuose de grand talent, Melle Jeunehomme, venue à Salzbourg, Mozart bouscule les codes. Il fait intervenir le piano pour de courtes phrases dès le début. Cet élément enjoué, facétieux et gourmand, a été saisi à la perfection par nos artistes ce soir. Laloum avec un toucher élégant et dynamique répond et stimule l’orchestre dans ces deux courtes incises. Il écoute ensuite avec délectation l‘introduction de l’orchestre que Swensen maintient entre délicatesse et humour. Ensuite tout passe comme un rêve entre des musiciens au sommet. L’enthousiasme du jeu de Laloum évoque un Mozart heureux de ses fabuleux moyens de musiciens, mis au service de la virtuosité de la pianiste française qui l’a particulièrement inspiré. Le deuxième mouvement en do mineur est un des passages les plus vocalement sublimes au piano. Le jeu au légato de chanteur d’Adam Laloum est une merveille. Swensen et lui, avec les admirables musiciens du Capitole, chantent à perdre l’âme. Le Sturm und Drang est déjà au niveau d’une perfection formelle incroyable chez un compositeur de 21 ans avec une émotion éperdue. Le balancement des cordes, le chant des bois, les volutes du piano, tout est enchantement. Le toucher admirable d’élégance et de délicatesse d’Adam Laloum fait merveille. Le final tout de finesse et de joie, balaye la mélancolie de l’andantino, mais les modulations en gardent un quelque chose de tout à fait magique. Et la partie centrale, en pizzicato de l’orchestre et traits du piano, ouvre à nouveau une profondeur tout à fait inhabituelle dans un finale. Adam Laloum nuance à l’infini ces traits avec beaucoup d’expressivité. Les derniers instants du Concerto nous entrainent dans un vertige virtuose des plus agréables. Le public exulte et obtient un bis admirable d‘Adam Laloum qui ose un Brahms (premier Intermezzo de l’opus 117), dépouillé, sans emphase, à l’intériorité délicatement retenue, qui apporte les larmes au bord des yeux.
La deuxième partie du concert étoffe considérablement l’orchestre, nous passons de 1777 à 1881 mais nous restons en Autriche. Le couplage Mozart-Bruckner semble une habitude et une nouvelle fois, a fonctionné à merveille. Joseph Swensen empoigne la vaste Symphonie n°6 pour nous offrir un voyage d’une incroyable variété de couleurs et de nuances qui fait mentir ceux qui voient en Bruckner beaucoup de bruit et de répétitions. Avec un chef de cette trempe la symphonie d’une heure avance vers un final enthousiasmant sans lourdeur. Et pourtant il nous a semblé que les tempi étaient particulièrement larges. Peut être est-ce sa capacité à faire respirer l’orchestre et à habiter les silences, qui donne cette impression d’avancée sans freins…
Cette partition est extrêmement exigeante pour l’orchestre mais tout particulièrement pour les cors très souvent à découvert : ils ont assumé crânement ces difficultés redoutables avec parfois des faiblesses émouvantes. Nous garderons en mémoire de ce fabuleux voyage, des violons très vaillants capables de grande délicatesse, des contrebasses admirables de présence incarnée. La couleur chaude des altos et des violoncelles est également pleine de chaire. Les bois sont tous très colorés et apportent beaucoup de fraicheur et d’air dans cette masse sonore imposante. La puissance des gros cuivres est un peu massive mais Swensen s’en sert admirablement pour amplifier les contrastes. L’engagement total de Joseph Swensen ne faibli jamais, il assure une construction d’ensemble passionnante, tout en caractérisant chaque mouvement. D’entrée, le Maestoso nous fait pénétrer dans un monde grandiose, l’Adagio plane avec ampleur et générosité, le Scherzo caracole avec un appui terrien bien solide, le final est une construction vers un absolu de beauté et de puissance. Jusqu’aux deniers instants, Joseph Swensen garde l’immense orchestre sous sa battue. Le crescendo final est électrisant de maîtrise, avec un effet indescriptible sur le public qui tonne en applaudissements frénétiques !
Bruckner est aimé à Toulouse ! Il faut dire qu’avec un chef de cette puissance expressive, il faudrait être de marbre ou sourd. L’orchestre a la maturité pour s’imposer dans ce vaste répertoire et le public dans sa majorité, semble prêt à l’apprécier.
Hubert Stoecklin
Compte-rendu critique, concert. Toulouse. Halle-aux-Grains. Le 7 avril 2017. Wolfgang Amadeus Mozart (1756 1791): Concerto pour piano et orchestre n°9, “Jeunehomme”, K.271 en mi bémol majeur. Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n°6 en la majeur. Adam Laloum, piano. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Joseph Swensen, direction.
Chronique écrite pour classiquenews.com
Illusrations : Adam Laloum et Joseph Swensen (DR)