Mala Junta (la mauvaise influence) suit Tano, 16 ans (Andrew Bargsted). Pour éviter l’internement dans un centre de rééducation, une solution de la dernière chance s’offre à lui. Il est expédié dans le sud du Chili chez son père qu’il n’a pas vu depuis des années. Entre l’ennui de la vie à la campagne et le ressentiment pour son père, une amitié va naître entre l’ado rebelle et Cheo (Eliseo Fernández), un garçon timide et maladroit, harcelé en raison de ses origines indigènes. Alors que la communauté mapuche doit faire face à de fausses accusations et affronte la violence policière, Tano découvre des facettes de Cheo qui vont forcer son respect.
D’origine mapuche, la réalisatrice Claudia Huaiquimilla propose une fiction qui filme cette communauté de l’intérieur. Je n’ai pas été la seule à aimer ce film puisqu’il repart de Cinelatino avec le Prix des Lycéens, le Prix du Public fiction, et une mention spéciale de la part de la CCAS.
Rencontre avec la réalisatrice Claudia Huaiquimilla, l’acteur Andrew Bargsted et le producteur Pablo Greene.
Quelle a été la toute première idée au moment de l’écriture du scénario ?
Claudia : Je pense qu’en premier sont apparus les personnages. D’ailleurs, on avait fait un court-métrage avec mon cousin qui joue le rôle de Cheo dans Mala Junta, où je raconte sa vie avant mon long-métrage.
Ton cousin est-il un acteur professionnel ?
Claudia : Non, c’est un acteur naturel. Il avait 9 ans pour le court-métrage et 13-14 ans pour le long-métrage.
Comment avez-vous dirigé ensemble des acteurs non-professionnels et professionnels ?
Claudia : C’est un travail très différent, mais je pense qu’en tant que réalisateur, on doit savoir dialoguer avec chaque acteur, car on doit expliquer à chacun ce qu’il doit faire, qu’il soit professionnel ou pas. En général, les acteurs professionnels m’aidaient dans la stratégie pour préparer la scène, et la rendre fluide. Les acteurs naturels vivaient la scène, quel que soit le nombre de prises.
Vois-tu une différence entre un film qui parle des Mapuches réalisé par un Mapuche, ou par quelqu’un qui ne soit pas mapuche ?
Claudia : Oui, mais je ne pense que l’une soit meilleure que l’autre. Mais l’approche est très différente, car à cause des problèmes qu’il y a eus, le monde indigène est assez fermé. Il est donc difficile d’y renter. Les récits sur eux provenant de gens extérieurs à leur culture ont eu pour conséquence de les stéréotyper. Avec Mala Junta, on voulait montrer la vie quotidienne d’un Mapuche.
Le réalisateur brésilien Felipe Bragança a fait un film qui parle des Guaranis. Il me disait que des indigènes guaranis étaient, dans l’esprit des gens, comme assimilés à une civilisation antique : un Maya avec un téléphone portable paraît anachronique. Est-ce le même cas avec les Mapuches ?
Claudia : Pas au Chili, où je pense qu’il y a un syncrétisme, une réelle fusion avec les Chiliens. C’est quelque chose que je voulais montrer aussi, afin que les Chiliens se sentent proches, qu’ils aient une empathie pour la famille mapuche.
Andrew, comment t’es-tu préparé pour ce personnage ?
Andrew : Le scenario m’a déjà donné des pistes. On pourrait penser que c’était évident, mais cela ne l’était pas vraiment, car certains scénarios ne te donnent pas une image concrète du personnage. Mais le scénario de Mala Junta nous indiquait l’essence des personnages et leur contexte. Cela aide beaucoup car c’est ainsi que je construis les personnages, à partir du contexte, plus que de la construction interne, car je pense que les personnes se définissent à partir de ce qu’elles vivent et de ce qui les entoure. Le défi était de montrer le côté humain et sensible du personnage. C’était très important pour que le public soit en empathie avec lui, malgré sa violence innée.
Comment finance-t-on un tel film ?
Pablo : Il y a des choses au Chili qui sont impossibles à aborder quand on demande un financement. On ne peut pas faire appel aux entreprises quand on touche à des sujets polémiques comme celui-ci. On a donc lancé une campagne de financement participatif. Ce sont surtout des amis, des amis d’amis et la famille qui nous ont soutenus via ce crowdfunding. On a aussi eu une petite aide régionale.
Combien de temps pour écrire le scénario ?
Claudia : Le travail antérieur au tournage a nécessité un an et demi, mais pendant le tournage, je faisais des changements, parce que l’approche devient différente en tant que réalisatrice. Le plus important est que l’acteur se l’approprie aussi. J’ai toujours fait les changements avec eux.
Combien de temps de tournage et de montage ?
Claudia : Il y a eu 26 jours de tournage. Le montage a été plus long car nous n’avions pas d’argent pour le faire. Nous avons été aux « works in progress » de plusieurs festivals pour trouver des moyens de financer la co-production. Mais ce temps d’attente nous a aussi permis de réfléchir et de le laisser décanter.
L’accueil du film est-il différent ici ?
Claudia : Le film a été vu seulement en festivals pour le moment. La sortie nationale est le 11 mai. C’est un film surtout fait pour le Chili, où les gens étaient surpris. Ils ont aimé le film même s’ils ne s’attendaient pas à ce qu’il soit émotif. Une autre surprise que l’on ait eue est d’avoir gagné le prix du public dans un festival chilien. En France, on est surpris par le niveau d’analyse et de réflexion autour du film, même avec le public des séances scolaires. Quand ils me demandent pourquoi les Mapuches ne sont pas aimés, je peux aborder avec eux la représentation que les Chiliens ont d’eux à travers les médias, qui ne les représentent que comme des terroristes. Ils me demandent à chaque séance s’il y aura une suite. On n’y a jamais pensé, mais du coup, on commence à y réfléchir (rires).
Andrew : Je pense que le film surprend aussi au Chili car on n’est pas habitué à voir des films qui traitent de sujets sociaux et politiques d’un côté humain. Comme le Chili est le pays des étiquettes, le cinéma politique est vu comme une sorte de pamphlet, de propagande.
La scène la plus dure ?
Andrew : Celle de confrontation avec le père. Premièrement, elle a été tournée très tard, après une très longue journée. Comme on disait tout à l’heure, les personnages se sont construits en équipe avec Claudia et Eliseo. Dans cette scène-là, il y a l’influence de ce qui nous unit nous trois, pas qu’en tant de personnages, mais en tant que personnes.
Claudia : Cette scène n’a pas été dure à écriture, car j’y ai mis beaucoup de moi. Il y a beaucoup de moi dans ses deux personnages jeunes : les problèmes de Tano, et je suis Mapuche comme Cheo. Mais cette scène a été dure au tournage et aussi au montage, pour restituer cette intensité dramatique. L’équipe toute entière avait besoin de beaucoup de concentration pour cette scène.
Je pense que la scène la plus dure à monter est la scène finale, parce que j’avais une fin plutôt d’information, assez fermée. Cela m’a demandé beaucoup de temps pour me diriger vers une fin plus sensible, et qui a besoin du public, parce que ce sont en fin de compte les films qui parlent le plus au public, qui les interrogent.
Avez-vous d’autres projets ?
Claudia : L’équipe a un projet qui s’appelle Motín qui est proposé en Cinéma en développement ici à Cinélatino, qui est né lors de la recherche pour la construction du personnage de Tano. J’avais lu un article sur 10 jeunes qui étaient dans un centre de détention chilien. Ils s’organisent pour demander de meilleures conditions, et meurent tous dans un incendie qu’ils ont eux-mêmes déclenché. Le film essaie de raconter le dernier jour au sein de centre. Motín et Mala Junta ont en commun de souligner les rapports humains qui existent entre les enfants malgré la dureté de l’endroit et du contexte.
Andrew : J’ai des projets au théâtre, la sortie de Nunca vas a estar solo ( 3 mai en France). Je joue aussi un personnage dans un film argentin de Martín Rodríguez, présenté aussi au festival, en Cinéma en Construction, qui s’appelle Marilyn.
Merci à Alexia (Anyways) et Tatiana (Cinélatino) !