C’est mercredi soir au Bikini (In Bikini dura rock dit sa devise bien portée), à Ramonville Saint Agne, le temple des Musiques actuelles (1) : la foule des grands jours se presse pour le retour à Toulouse d’un des groupes les plus emblématiques du paysage musical français, mais dont l’audience est devenue mondiale : Magma (2), qui vient de fêter ses 48 ans de carrière (!) sur la scène de l’Olympia, à Paris, jeudi 2 et vendredi 3 février.
Et l’impatience des nombreux pèlerins qui remplissent la salle est palpable.
Autour de Christian Vander, batteur, chanteur et compositeur, à l’origine de la formation, et de Stella Vander au chant depuis plusieurs décennies, Philippe Bussonnet, bassiste depuis 20 ans, et de jeunes musiciens, toujours impeccables, à la guitare, au piano, au vibraphone électriques, et deux chanteurs.
D’entrée la rythmique tellurique, avec batterie foisonnante et basse vrombissante, boucles répétitives aux claviers et riffs de guitare rock, soutient ces chœurs incantatoires autant inspirés par les Carmina Burana que par le gospel. On reconnaît tout de suite ce son original, unique, à mi-chemin entre rock progressif, jazz, et « classique ». Au niveau des influences, on pense aux chants grégoriens, au jazz noir américain des années cinquante- soixante (Coltrane for ever, un amour suprême), au rythm’n blues, à la musique classique du 20ème siècle (Carl Orff, Stravinski ou Bartok etc).
Le chef d’orchestre, c’est bien sûr ce batteur-chanteur incroyable (même s’il ne lance plus dans des soli de folie pendant 20 minutes) qui reste fidèle à son rêve d’une planète (musicale ?), Kobaia, à des années-lumières de notre monde qui court à sa perte gouverné par des malades du pouvoir et de l’argent. Sans concession aucune depuis bientôt 50 ans.
Au delà de la théâtralité affichée et accentuée par les jeux de lumières (en plus de musiciens exceptionnels, Christian Vander s’est toujours entouré des meilleurs techniciens), il y a une mythologie, une cosmogonie même, avec son propre langage qui, mais ce n’est pas un hasard, sonne parfaitement pour cette musique progressive…. Wurdah Ïtah, Theusz Hamtaahk, Ëmëntëhtt-Rë, Mëkanïk Dëstruktïw Kömmandöh ! Autant d’épopées sur des longueurs inusitées (et donc jamais ou si peu passées en radio), autant de symphonies barbares entonnées par des drôles de types habillés tout en noir avec une sorte de soleil fragmenté rouge ou or sur la poitrine ! Pas étonnant que certains individus, hermétiques à cette musique, dans une crise de manichéisme borné, aient taxé ce groupe de « fasciste » et aient même voulu monter sur scène pour en découdre (c’était il y a bien longtemps, mais quand même, cela ne s’oublie pas).
Il y a bien sûr une spiritualité dans cet univers qui peut rebuter certains, mais personne n’est forcé d’y adhérer. Et quand on aime cette musique, on se laisse emporter par ce torrent de lave en fusion (le 2ème album en 1971 s’appelait 1.001° centigrades !), dans une sorte de transe rituelle, et on ne s’en lasse pas ; même bientôt 50 ans après la première fois. A côté de moi et d’autres vieux de la vieille, un public de plus en plus jeune « communie » avec nous.
Seul petits regrets, la petite heure et demie, seulement, de concert ; et, même si Hervé Aknin est très bon, l’absence de l’irremplaçable Klaus Blasquiz au chant.
Autour de moi, j’entends un vieux baba cool les bras couvert de tatouages, les cheveux jusqu’aux fesses, proclamer à qui veut l’entendre: « Magma est grand et Vander est son prophète », un groupe de trentenaires BCBG se désoler (texto) « qu’on donne des subventions faramineuses à des Boulez, alors que la vraie musique contemporaine c’est celle de Magma »
Mais la grande majorité des fans (dont je suis, je l’avoue), savoure encore les vibrations de ce moment exceptionnel ; et se raconte les concerts d’anthologie auquel chacun à assisté. Je pourrai ajouter celui au bord du Lac de Saint Ferréol en 1971 devant trois pelés et un tondu avec Jannik Top et Vander déchainés, celui de Köhntarkösz au Théâtre de la Cité à Carcassonne, en 1973, devant plus de 3000 personnes, celui du Théâtre de la Mer à Sète au clair de lune, celui de Brive sous chapiteau avec Léo Ferré en première partie, ceux de la verrerie de Jaurès à Carmaux, celui du Théâtre du Taur, en 1971, où un resquilleur qui voulait « faire la révolution avec la musique gratuite » m’a cassé quatre dents avec un coup de poing américain avant que je ne l’envoie à l’hôpital…
Magma reste l’une des « madeleines » préférées de ma jeunesse, avec Hendrix, les Doors, Léo Ferré.
Qui aime la Musique, hors des sentiers de la variété, et n’a pas entendu Magma une fois dans sa vie a une expérience incomplète.
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Dans la salle à manger privée, Hervé Sansonetto, le maître des lieux, accueille les musiciens et leurs amis, avec sa convivialité habituelle.
Michel Besset, créateur du Festival Rock In Opposition de Carmaux (3), plus de 80 concerts organisés à son actif, dont 20 pour Magma (!), a trouvé un « petit manque de relief » dans la seconde partie, mais reste bien sûr fidèle parmi les fidèles de la première heure.
Nous nous regardons étonnés d’être toujours là et d’avoir partagé ce grand moment de musique, comme si nous avions toujours 20 ans…
Nous nous embrassons, comme les vieux copains d’une des dernières chansons de Léo, et nous reprenons la route dans la nuit noire, la tête pleine de cette musique unique.
Pour Magma, après un retour en Amérique du Sud (Chili, Mexique, Brésil) à la fin de l’année dernière, la Chine est de nouveau au programme pour 2017. A l’automne, une douzaine de concerts sont programmés en Ecosse, en Angleterre, en Allemagne, en Belgique et en Hollande, en France avec, entre autre, le Hellfest et le festival Rock In Opposition (3), qui drainent un public du monde entier.
Le tour sans fin continue…
Longue vie à Magma.
E.Fabre-Maigné
15-III-2017
Pour en savoir plus :
2) www.magmamusic.org/fr/accueil/
Christian Vander © Pierre-Emile Bertona