Samedi 4 février, la saison des Grands Interprètes connaissait un nouveau sommet avec la venue à la Halle aux Grains du Scottish Chamber Orchestra, dirigé par Robin Ticciati.
L’auteur du programme a eu la décence de ne pas nous faire croire qu’il était possible de relier les trois temps du concert : des Légendes de Dvorak, le 21ème concerto de Mozart et la 104ème symphonie de Haydn.
C’est donc par quelques Légendes de Dvorak que Ticciati a débuté. Baguette nerveuse, position engagée au milieu de son orchestre, les premiers rangs des violons presque derrière lui, le chef ne ménage pas ses gestes. La fougue est là, la précision, l’ensemble aussi. Mais le souffle est court, il y a beaucoup d’air entre les instruments. On se demande s’il faut blâmer une acoustique trop précise, car le manque de fondu entre les registres est permanent d’une pièce à l’autre, qui rend la poésie absente. Puis on interroge les effectifs, sans doute trop légers pour ce répertoire. On finit même par incriminer Dvorak, qui fait du classique avec du romantique, choisit un titre à programme sans pour autant guider l’évocation par des textes ou des œuvres picturales. Et donc on attend gentiment que cela passe.
Entre enfin en scène un tout petit bout de grande dame. Maria João Pires, du haut de ses 72 ans, va nous donner une leçon de musique. Pendant presque une demi-heure, nous sommes les spectateurs émerveillés d’un dialogue entre un grand chat échevelé et une petite souris grise. Pour notre plus grand bonheur, Ticciati a lâché sa baguette et commence à se détendre. Il joue avec son orchestre, avec la pianiste, il est exactement entre les deux, un regard vers elle, un regard vers eux, les bras souples, une main qui parfois se pose tendrement sur le couvercle du piano. Il est une incarnation parfaite de ce qu’est le dialogue de la forme « concerto ». Maria João Pires ne fait aucun geste inutile : ses mains sont exactement posées sur le clavier avant chaque attaque, elles le quittent juste après que le son soit éteint. D’un passage à l’autre, ses mains bondissent, nous démontrant avec maestria que le plus court trajet entre deux notes, pour un pianiste, est la courbe. Le dosage parfait des intentions nous rappelle à chaque minute combien elle a fréquenté cette partition, combien elle incarne Mozart.
Dans Haydn, Robin Ticciati est chez lui. Non seulement il a définitivement renoncé à la baguette, mais il se passe aussi de partition. Il danse, il avance au milieu des cordes, il recule à deux mètres, il n’est que mouvements. Quatre mouvements justement, dans cette 104ème symphonie, mais rien de banal et déjà un commencement de forme cyclique. L’Andante, avec ses longues tenues, ses silences en apesanteur, ses virages harmoniques surprenants, est d’une très grande intensité. La petite harmonie, par deux, est particulièrement juste. Quand l’un ou l’autre prend la parole, car les parties de solistes sont fréquentes, on est emportés. Les suspensions à trois temps du Menuetto sont particulièrement réussies, et dans toute l’œuvre le timbalier est d’une perfection absolue.
Dans ce répertoire classique, l’orchestre est souverain. Ecossais, subventionné par le gouvernement écossais, il nous reste à espérer qu’un Brexit ne lui enlève pas sa liberté de circulation car on a envie de l’entendre à nouveau.
Thibault d’Hauthuille