On peut relire mon annonce du 8 novembre
L’affiche du spectacle nous laissait augurer d’une production pouvant donner toute satisfaction, et ce fut le cas, au-delà peut-être de ce que l’on pouvait espérer après le désastre visuel sur cette même scène d’une malheureuse Italienne à Alger, non pas de Rossini mais d’une provocatrice, la dénommée Laura Scozzi, jumelle dans la provoc’ de son alter égo au masculin, un certain Calixto Bieito. Ouf ! on a bien eu droit à cet opéra-bouffe du natif de Pesaro, œuvre pleine de malice et de roublardise, défendue dans sa globalité par tous les acteurs, sur le plateau, comme en coulisses et dans la fosse.
Où, quand la mise en scène se mêle de respecter la musique et le livret, cette suite d’imbroglios et de quiproquos. Emilio Sagi et ses acolytes, Javier Ulacia, Daniel Bianco, Pepa Ojanguren et Eduardo Bravo livrent un spectacle d’une cohésion parfaite. Bien sûr, il y a transposition mais tellement fine, intelligente, sans faute de goût, que l’on est conquis. Et pourtant, un seul décor, l’arrivée du bateau et de Selim se résumant à un gag visuel, non dévoilé ici.
Très loin de, comme pouvait me le confier Don Geronio, en l’occurrence l’enthousiasmant Alessandro Corbelli, les quatre semaines d’ennui qu’il passa dans la production aixoise de ce même opéra, sa plus désolante participation, la faute à une mise en scène consternante. Selim, chanté et joué superbement par Pietro Spagnoli ne dit pas autre chose quand il m’évoque le Mustafà qu’il a dû, hélas, interpréter dans cette pauvre Italienne, une lassitude sans fin et l’impatience non dissimulée d’arriver vite à la dernière. Par contre, il se souvenait de la production très agréable du Turc au Capitole en 2008 dans laquelle il interprétait Don Prodoscimo, le poète manipulateur, un peu pervers, un peu “pirandellien“, commentant l’action et influant sur elle. C’est un peu le Don Alfonso du Cosi fan tutte de Mozart.
Ce dernier rôle, crucial, ma foi, fut fort bien tenu par Zheng Zhong Zhou, notre Troisième Prix du Concours de Chant à Toulouse en 2012. Un baryton qui chante et joue, qui vous entretient avec passion de tout ce qu’il vit en tant que chanteur et de tous les rôles qu’il espère pour la suite. Même discours pour le ténor, “di grazzia“ ? Yijie Shi dans Narciso. Le jeune chinois nous avait fort impressionné dans Fernand de la Favorite il y a deux ans. Il nous surprend à nouveau dans ce rôle plus difficile encore sur le plan vocal. Celui dont il rêve, le duc de Mantoue dans Rigoletto, plus facile, ne lui posera donc aucun problème, et d’autres dans la foulée, non plus. Si le timbre est encore un peu dur, il s’assouplira car, comme son compère coréen, le travail ne leur fait pas peur. Pas virtuose émérite encore mais en devenir, c’est certain. Sur le plateau, l’un comme l’autre sont deux acteurs irréprochables, tous d’ailleurs. Vantons le responsable de la distribution vocale qui a su trouver les gosiers et les physiques adéquats !
Il suffit de suivre le numéro auquel se livre Alessandro Corbelli, et comment il aide ainsi Sabina Puertolas, sa deuxième épouse qui est loin d’être la nunuche de service, ou encore “une soubrette pétulante“. C’est plutôt une femme forte que les hommes veulent à tout prix soumettre, et que l’on a plus ou moins mariée. La scène phare Don Geronio – Fiorilla avec retournement de situation se joue sur un …scooter !! Les deux sont “impeccables“. Fiorilla finira tout de même vaincue et choisira le confort rassurant du mariage arrangé. Il y a des timbres plus charnus sûrement que celui de Sabina Puertolas, mais la partition est respectée, le jeu de scène est sans reproches. Très à l’aise et pleine de subtilité dans toutes les situations du livret qui sont bien au rendez-vous, scrupuleusement. Que demander de plus ?
La distribution vocale se complète fort bien avec, participant au fameux septuor, point culminant de l’acte I, la mezzo Franziska Gottwald dans Zaïda et son ami Albazar, le ténor Anton Rositsky. Ce dernier hérite de Rossini un air pas évident du tout dont il se sort avec les honneurs.
Il est évoqué ici en dernier, et pourtant, tout le spectacle repose aussi sur les qualités de la direction, de l’orchestre, des chœurs et des chanteurs, par le maître de musique de la soirée, le chef Attilio Cremonesi. Dès l’Ouverture, il donne le ton et ne faiblira pas jusqu’au tableau final, très attentionné à tout ce qui se passe sur le plateau. C’est vif, précis, sans lourdeur aucune : du Rossini, quoi ! L’Orchestre du Capitole adhère complet aux intentions ainsi que les Chœurs du Capitole d’Alfonso Caiani.
Pas une seconde d’ennui pour cette production, osons le mot, ravissante, d’un opera buffa avec son happy end de convention, mais, finalement, c’est bien une fin d’opéra plutôt triste d’un Rossini qui, mine de rien, nous interroge et interpelle toujours, publics d’aujourd’hui compris.
Michel Grialou
Théâtre du Capitole
jusqu’au 29 novembre 2016
Le Turc en Italie © Patrice Nin
Zheng Zhong Zhou et Yijie Shi © Michel Grialou