« La sonorité de mon violon parlera pour moi. C’est mon ADN. Si on pouvait l’analyser, on y trouverait toute ma vie. », ainsi s’exprime notre violoniste des Alpes, un violon entre les mains dès l’âge de quatre ans, et qu’il n’a jamais lâché depuis !
Sur l’œuvre, contemporaine s’il en est .
Extrait du commentaire de Maxime Joos : « L’oeuvre […] est conçue selon une forme qui est chère [à Dutilleux], c’est-à-dire une structuration du déroulement en épisodes principaux, ici au nombre de quatre, reliés par des interludes. Ceux-ci sont de nature différente : l’écriture du premier est ″pointilliste″, la conception du deuxième ″monodique″, l’allure du troisième presque ″statique″.
Cette oeuvre qui se déploie à la manière de l’arbre se transcrit en termes de retours périodiques, de figures toujours renouvelées et souvent traitées ″en éventail″. […]
Le mouvement lent qui constitue le troisième épisode principal est suivi par le moment le plus énigmatique de la partition : il s’agit de la stylisation d’un accordage d’orchestre, entièrement écrit par Dutilleux […].
La question du timbre est prépondérante : emploi privilégié de la famille des claviers (piano, célesta, vibraphone), ou encore par extension de la harpe et des crotales, sans oublier le rôle particulier du cymbalum, cet instrument traditionnel hongrois que Dutilleux réutilisera de manière encore plus significative dans ″Mystère de l’instant″. […]
Thématiques de l’arbre, du double, du transitoire, du timbre : ″L’Arbre des songes″, plus qu’un concerto, se présente comme un objet de poésie. »
Il comprend :
1 – Librement – Interlude 1
2 – Vif – Interlude 2
3 – Lent – Interlude 3
4 – Large et animé.
Durée : environ 25 min. Commande de Orchestre National de France pour Isaac Stern. Dédié à Isaac Stern.
Sur la création de l’oeuvre
Création : le 5 novembre 1985 au Théâtre des Champs-Élysées par Isaac Stern (violon) et l’Orchestre National de France sous la direction de Lorin Maazel.
Sous la direction de Tugan Sokhiev, l’orchestre aura en charge l’instrumentation colorée d’Henri Dutilleux – en particulier la percussion carillonnante, avec jeux de timbres, piano, cymbalum, célesta. La souplesse, la fragilité s’incarneront, elles, dans le jeu de Renaud Capuçon. La sonorité chaude et intime de son – Guarneri del Gesù « Panette » (1737) qui a appartenu à Isaac Stern – se déploiera dès son entrée, sur la note la plus grave de ses cordes, parmi un bruissement lointain de cymbales suspendues – introduction mystérieuse comme le compositeur aime en ménager, et qui rappelle son concerto pour violoncelle, Tout un monde lointain. La ressemblance s’arrête là, les deux ouvrages différant du tout au tout. Autant le violoncelle est mis en avant, autant la partie de violon solo est intégrée à l’écorce orchestrale, ramifiée comme un lierre grimpant, tendrement enlacée au chant du hautbois d’amour dans l’élégie du mouvement central. Hésitant entre plusieurs titres, Henri Dutilleux avait songé aussi à L’Arbre lyrique.
En deuxième partie de concert, faut-il présenter la Symphonie n°6 en si mineur, op74, “Pathétique“ de Piotr Iliych Tchaïkovski ?
Sa dernière œuvre symphonique, véritable chant du cygne du compositeur, est une œuvre, au départ, à programme, dont le compositeur lui-même a révélé la clé en la dédiant à son neveu Bobyk, « Bob », pour qui il éprouve rapidement une passion qui, unissant l’attirance homosexuelle et l’instinct paternel, confine vers la fin de sa vie à l’obsession. Ne lui écrit-il pas : « Pendant mon voyage à Paris, en décembre 1892, je dressai le plan d’une “neuvième“ symphonie. Cette fois, il s’agira d’une symphonie à programme. Son programme doit pourtant rester pour chacun un mystère – qu’ils essaient de deviner ! D’un bout à l’autre, il sera rempli de mon être le plus intérieur. Lorsque je le composais en pensée, j’ai pleuré des larmes abondantes et amères. »
Finalement, Tchaïkovski renoncera à un programme bien défini et va choisir les voies de la musique absolue. Pleine d’effusion et de pathos, elle sera moins démonstrative que la précédente, la Cinquième. Le sous-titre “pathétique“ a été proposé par son frère Modeste et Piotr l’a accepté sur le champ. Commencée en février 1893, elle est achevée en août et créée, à Saint-Petersbourg, sous sa propre direction, le 16 octobre de la même année d’après notre calendrier, neuf jours avant sa mort. La Sixième Symphonie ne s’imposera qu’après sa deuxième exécution confiée à la baguette bien plus efficace et douée d’Eduard Napravnik. A ce moment, le public prend conscience du lien tragique qui unissait la vie et l’œuvre du compositeur.
Dès la lente introduction avec sa plainte jouée par les bassons, l’œuvre est habile à rendre les conflits dramatiques et à créer une atmosphère de jubilation extatique ou de deuil languissant. L’alternance brutale des moments d’abattement et d’exaltation trahit le drame intérieur du compositeur, sans cesse porté à se réfugier dans le rêve et à douter de lui-même. Programme réel ou imaginaire, il pourrait se résumer à quelques phrases sur le destin, la douleur de vivre, les amours impossibles et mal assumées, la culpabilité, le pressentiment de la mort,…
Si le Scherzo évoque des sylphes qu’accompagnent de curieux cris de lutins, « C’est toute la substance d’un mouvement brillamment soutenu dans lequel la tension s’accroît constamment sans jamais développer une atmosphère ou s’étoffer, jusqu’à ce que, finalement, il atteigne les limites de l’émotion orchestrale et s’éteigne. » (John Warrack, Tchaïkovsky Symphonies and Concertos).
Le finale qui suit sera d’ailleurs, non pas un allegro plus ou moins explosif, mais plutôt un chant d’adieu tantôt éploré, tantôt à la recherche d’une phrase consolatrice qui, bien sûr, progresse avec une tension croissante, et se termine sur un choral de cuivres qui a pu être analysé comme un requiem intime. Ainsi s’évanouit l’adagio lamentoso, sorte d’amen résigné, parmi les accents ténébreux d’un si mineur sombre. La vie semble s’être comme retirée de la symphonie.
Michel Grialou
Renaud Capucon © Jean-François Leclercq
Tugan Sokhiev © Mat Hennek