Lucile Hadzihalilovic est une réalisatrice rare, précieuse. Son dernier film Évolution est toujours, pour le moment, le film français que je préfère depuis ce début d’année. L’histoire, l’enfance, la photo, le son : que ça fait du bien d’immerger dans ce conte, pourtant si inquiétant, où on ne comprend pas tout, où on doute à chaque instant de ce que l’on ressent. Une expérience sensorielle rare, et belle !
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En attendant le 6 septembre prochain où une édition exceptionnelle des deux premiers long-métrages de Lucile Hadzihalilovic, Innocence et Evolution, sera disponible en DVD+Bluray chez Potemkine, voici son regard sur son métier.
Voyez-vous une évolution de votre métier de réalisatrice ou du cinéma français ?
Lucile Hadzihalilovic : Il y a une évolution de tout (rires) ! Bien sûr en technique, mais la plus immédiatement douloureuse est dans la distribution. Je vais parler comme une vieille mémé : il y a 20 vingt ans, quand j’ai fait La Bouche de Jean-Pierre – c’était fou, c’était un film de 50 minutes-, on a eu une sortie salle sur 2 ou 3 copies à Paris par exemple. Aujourd’hui, pourÉvolution, on a eu énormément de peine à avoir une seconde copie à Paris. La distribution en salles est devenue d’une difficulté et d’une violence. Tout le monde le dit et le redit, s’en plaint, et ne trouve pas de solution. Il y a de moins en moins d’écrans pour le cinéma d’auteur. Si une branche du cinéma d’auteur peut être la même formule qui se répète, il propose globalement de moins en moins de diversité. Pas du coup, mais en parallèle, ça devient d’une certaine manière plus difficile de produire des films un peu hors catégorie. Je pense que dans un certain temps, on va assister à un retour de balancier, qui est peut-être déjà en train de s’amorcer. Après, il y a des gens qui arrivent à faire des films magnifiques avec très très peu d’argent. Il se raréfie, et néanmoins des nouvelles générations trouvent des biais. On fera toujours des films, mais certains ne se feront plus jamais. Pour des gens qui sont comme moi dedans, il faut effectivement s’adapter au fur et à mesure, de réaliser vite. Les systèmes d’il y a 5 ans ne fonctionnent plus, car les modèles eux aussi changent vite : ce ne sont plus aux mêmes endroits qu’on va trouver de l’argent, ni les mêmes lieux où on va montrer les films.
L’autre chose très forte qu’on observe est un retour à l’ordre moral qui est hallucinant pour les gens de ma génération. Pour Love, Gaspar (Noé) a halluciné. Non pas sur comment les gens ont réagi à son film mais sur ce rapport au sexe, les « pourquoi vous voulez montrer ça ? ». Il y a des endroits où ça crée des contre-réactions.
Carine : Love est le film de Gaspar le plus doux, le plus gentil, est c’est celui qui est interdit aux moins de 18 ans !
Lucile Hadzihalilovic : C’est celui qui s’est fait le plus attaquer. Ça veut dire, et on le sait, que c’est plus admis de montrer de la violence que de montrer du sexe.
Propos recueillis aux Hallucinations Collectives 2016, merci à Leila Bensadoun !
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