Compte-rendu, concert. Toulouse, Halle-Aux-Grains, le 2 juillet 2016. Johannes Brahms (1833-1897) ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. Tugan Sokhiev, direction musicale.
Le répertoire des orchestres symphoniques, et Toulouse n’y fait pas dérogation, ne peut se passer de programmer les même chefs-d‘œuvre d’années en années. Avec le temps la lassitude peut s’installer, même chez le spectateur assidu et passioné. C’est la venue de célèbres artistes, le mélange de personnalités musicales, les progrès de l’orchestre qui entretiennent le processus qui lutte contre le manque d’originalité des programmes. Bien des ingrédients étaient réunis ce soir. Un concert tout Brahms, compositeur que les Toulousains apprécient de plus en plus, un pianiste mythique et choyé ici, Nelson Freire, et l’orchestre du Capitole et son chef charismatique, Tugan Sokhiev.
C’est la maladie qui a brouillé les cartes et a empêché Nelson Freire, qui espérait venir jusqu’au matin. Le pianiste qui a été capable de relever le défi doit être félicité. Le jeune japonais, Kotaro Futuma a accepté sa mission avec un certain brio. Il n’y a rien à dire, les notes sont toutes là ce qui n’est pas rien, le texte musical est offert sans ciller. Mais c’est un peu court quand Nelson Freire était attendu… D’autant que par le passé ce même chef et cet orchestre avaient reçu le 19 septembre 2013 l’immense Elisabeth Leonskaja pour cet extraordinaire concerto. L’interprétation donnée en 2013 étant restée dans ma mémoire, cela a été bien cruel pour le pianiste japonais. Mais ce beau technicien avec le temps et la maturité saura certainement se saisir des œuvres pour nous dire quelque chose de plus personnel. Il s’est montré un peu juste en nuances, et avare de couleurs et de variété de toucher. Les moments plus mystérieux ont manqué d’ombre, trop de clarté nuit à ce concerto. L’orchestre a été lui merveilleux de couleurs avec de riches nuances. Mais assurément Tugan Sokhiev a ménagé le pianiste sans aller dans des directions plus musicales comme il le fait avec d’autres grands artistes. La prudence ne peut construire une interprétation inoubliable de cette immense page concertante.
En deuxième partie ce fut tout l’opposé.
Tugan Sokhiev et son orchestre ayant également déjà joué cette première symphonie et nous avait enthousiasmé mais ce qui c’est passé ce soir est fascinant. Comme souvent le dernier concert de la saison est un moment particulier, le bilan des progrès, l’annonce des beautés à venir. La présence des caméras, l’absence de Nelson Freire, a galvanisé les musiciens. Tugan Sokhiev a de plus en plus d‘affinités avec la musique Brahms. Il en a approfondi la connaissance auprès de l’orchestre allemand dont il a la direction musicale depuis 2012. Un film assez fascinant tourné dans une usine désaffectée en un seul plan séquence permet de vivre cette immersion dans l’univers de Brahms avec sa deuxième symphonie. Le Deutsch Symphonie-orchester sous la direction féline de Tugan Sokhiev est magnifique mais sage et très sérieux. Le film porte le beau titre : l’envol de l’orchestre…
A Toulouse il se passe autre chose. La confiance qui s’est créée, permet au chef de lâcher sa baguette et de diriger dès le milieu du premier mouvement à mains nues. C’est sans conteste dans ces moments que les gestes se font les plus poétiques permettant ce supplément de musicalité, cette audace, cette urgence vitale qui fait l’absolue richesse de ces interprétations. Il est possible de voir cette osmose entre le chef et ses musiciens avec le film réalisé par Jean-Pierre Loisil sur MediciTV.
La puissance de cette interprétation, la variété des ambiances, la justesse des tempi… Tout permet de se régaler de cet extraordinaire symphoniste qu’est Brahms en sa maturité.
L’orchestre du Capitole est dans une forme éblouissante. Nuances et couleurs comme exacerbées. L’équilibre a été parfait entre les moments solistes, chambristes et les tutti. Tugan Sokhiev sait admirablement équilibrer chaque moment tout en construisant un ensemble d’une grande cohérence.
La beauté des gestes à mains nues est renforcée par cette maturité nouvelle du chef.
La puissance est à présent assumée et porte l’orchestre à se dépasser. Ainsi la beauté du cor, la délicatesse de la flûte, le violon aérien, ont eu des moments solistes inoubliables. C’est la timbale qui du début de la symphonie au final, a été d’une puissance incomparable.
Le très beau thème beethovenien du final s’est déroulé avec une vie admirable. Dans une confiance totale Tugan Sokhiev a souvent dirigé dans des mouvements phrasés d’une grande poésie : un grand moment de création musicale sous nos yeux, un régal des yeux, des oreilles, pour faire du bien à l’âme. Le chef comme les musiciens ont semblé avoir tout donné dans ce concert. L’orchestre, pour faire applaudir son chef, a refusé de se lever pour qu’il soit seul sur le podium, et qu’il accepte les remerciements du public et de ses musiciens.
Hubert Stoecklin
Compte-rendu, concert. Toulouse, Halle-Aux-Grains, le 2 juillet 2016. Johannes Brahms (1833-1897) : Concerto pour piano et orchestre n°2 en si bémol majeur ; Symphonie n°1 en Ut mineur ; Kotaro Futuma, piano ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. Tugan Sokhiev, direction musicale.