Après le festival de Berlin, le cinéaste originaire du Tarn-et-Garonne présente son nouveau film « Quand on a 17 ans » en avant-première à Auch et à Luchon, l’un des lieux du tournage. Retour sur une rencontre avec André Téchiné lors de la sortie de son film « Alice et Martin ».
En 1998, André Téchiné retrouvait Juliette Binoche et offrait un rôle d’homo tout ce qu’il y a de plus ordinaire à Mathieu Amalric. La révélation d' »Alice et Martin » était alors Alexis Loret, brillant par l’étincelante beauté de son visage et la discrète sensualité de son corps, comme beaucoup d’autres avant lui devant la caméra du cinéaste : Wadeck Stanczack dans « Rendez-vous » (1985) et « le Lieu du crime » (1986), Manuel Blanc dans « J’embrasse pas » (1991), Stéphane Rideau dans « Les Roseaux Sauvages » (1994). André Téchiné retrouve aujourd’hui Alexis Loret pour son nouveau film, « Quand on a 17 ans » (photo), écrit avec la cinéaste Céline Sciamma et tourné dans les Pyrénées.
En 1998, la sortie dans les salles d' »Alice et Martin » fut l’occasion d’évoquer avec André Téchiné les thèmes qui peuplent son cinéma et qui sont au centre de « Quand on a 17 ans »: la nature, l’adolescence, l’homosexualité. De ce point de vue, son film phare est aussi celui qui a connu le plus grand succès public : « Les Roseaux sauvages » dans lequel il se dévoile dans le personnage de François, un jeune cinéphile qui découvre son homosexualité dans un lycée du Lot-et-Garonne en pleine guerre d’Algérie. Portrait de quatre adolescents qui font l’expérience initiatique de la vie, le film réussit le pari de toucher à l’universel en alliant initiation politique et initiation sentimentale avec une grande simplicité.
En 1990, il adaptait un scénario de Jacques Nolot, « J’embrasse pas » ou l’arrivée d’un jeune provincial à Paris qui finit par se prostituer pour survivre. En 1983, il avait filmé pour la télévision la pièce du même scénariste, « la Matiouette » ou le retour, dix ans après, de ce jeune provincial dans son village natal du Sud-Ouest, en blond décoloré et pédé assumé, confronté au racisme et à l’homophobie de son frère. C’est Jacques Nolot lui-même qui réalisera en 1998 le troisième acte de cette autobiographie, « l’Arrière pays ». Entretien.
Beaucoup de vos films montrent la nature, le ciel…
André Téchiné: «J’aime filmer la nature et les éléments. Lorsqu’il fuit l’espèce humaine, le personnage de Martin se réfugie dans le règne animal. J’ai tourné cet épisode en Ariège. Jusqu’à ce que la société parvienne à le rattraper car c’est une utopie que de vouloir y échapper.»
Le Sud-Ouest a souvent été un lieu de tournage pour vos films…
«Dans mon enfance et mon adolescence cette région faisait partie de mon territoire. J’y ai tourné beaucoup de mes films. C’est sans doute là que j’ai appris à voir les choses, c’est une lumière et un univers qui ont été très fondateurs pour moi. Si dans mes films je ne parvenais qu’à une seule chose, restituer ces paysages et cette lumière-là, ce ne serait déjà pas si mal.»
Pourquoi cette conception du couple peu habituelle et toujours tourmentée dans vos films, quasiment impossible ?
«Le bonheur ça ne se montre pas, je montre les conflits car les conflits c’est la vie. Les personnages doivent surmonter des obstacles à la fois internes et externes comme nous en rencontrons tout le temps. Les couples standard ou conformistes ne me fascinent pas car cela manque d’étrangeté. Et à partir du moment où les choses sont moins évidentes qu’elles en ont l’air, plus singulières, elles sont plus universelles, sinon elles sont simplement conventionnelles. Je n’ai jamais été attiré par les formules conformistes.»
Vous avez déclaré avoir été particulièrement ému par les films de Demy à l’époque de la Nouvelle Vague car c’étaient les seuls à vous renvoyer une certaine «complicité homosexuelle»(1). Des films d’aujourd’hui vous touchent-ils de ce point de vue ?
«C’est vrai, ses films me touchent d’ailleurs encore beaucoup, ceux de Visconti aussi mais Demy était le cinéaste français de la Nouvelle Vague à m’avoir le plus touché à l’époque. Ces derniers temps, je n’ai pas eu beaucoup le temps de voir des films. Je n’ai pas vu « Happy together », de Wong Kar-wai, dont on m’a beaucoup parlé. Mais c’est pas parce qu’il y a des personnages homosexuels dans un film qu’à priori ça m’attire. Je ne vais pas voir ces films là à la recherche d’un effet de miroir qui pourrait me rassurer ou me satisfaire, ce n’est pas pour ça que je vais au cinéma. D’ailleurs on me reproche parfois dans mes films de ne pas plus rassurer les homos que les hétéros. Je n’ai pas envie de faire des films rassurants mais plutôt des films qui font peur. C’est ce qui me fait peur que j’ai envie de montrer au cinéma. Ce qui me déçoit dans beaucoup de films c’est que l’histoire manque d’envergure. Je n’ai pas peur des outrances de la fiction, et le cinéma qui patauge dans le naturalisme ou le documentaire ne m’excite pas, car pour moi ce n’est pas une aventure de cinéma.»
À propos de « L’Arrière-pays » de Jacques Nolot…
«Jacques est un copain. C’est un film que j’aime beaucoup. Il est très documentaire, Jacques y va carrément, il raconte sa vie. C’est un film complètement biographique, il le dit lui-même.»
Quel travail d’adaptation avez-vous effectué sur les deux scénarios de Jacques Nolot que vous avez filmés ?
« »La Matiouette » est une pièce à laquelle je n’ai pas touchée. Je l’ai filmée telle quelle. J’ai dû enlever une phrase c’est tout. En revanche, « J’embrasse pas » a été modifié par mes soins. Dans son scénario, le jeune héros quittait sa province pour aller à Paris où il se prostituait et découvrait son homosexualité en se prostituant. Pour moi, c’est comme si ces deux sujets s’annulaient. J’ai préféré que le personnage soit conduit peu à peu, étape par étape, à la prostitution mais qu’il nie jusqu’au bout son homosexualité, même s’il avait des partenaires homosexuels, ce qui me paraissait plus intéressant et plus juste. Pour lui, c’était pour de l’argent et rien d’autre. En parallèle, il tombe amoureux du personnage d’Emmanuelle Béart. La découverte de l’homosexualité c’était pour moi un autre sujet en soi que j’ai traité ensuite dans « les Roseaux sauvages » à travers l’adolescence.»
Propos recueillis par Jérôme Gac
le 19 octobre 1998, à Toulouse
(1) « Ex-aequo » n° 5 – mars 1997
« Quand on a 17 ans »,
sortie le 30 mars.
Avant-premières,
en présence du réalisateur:
jeudi 17 mars, 20h00,
au Gaumont Opéra,
2, boulevard des Capucines, Paris.
samedi 19 mars, 21h00,
au Ciné 32, allée des Arts, Auch.
Tél. : 08 92 68 13 32.
mardi 22 mars, 21h00,
au Cinéma Rex,
passage Lassus-Nestier,
Bagnières-de-Luchon.
Tél. : 05 61 79 00 52.