« Des saints et des héros, il sait chanter la gloire. » dit de lui un certain Evrard Titon du Tillet, cet amoureux des arts du XVIIIè. Cette coproduction qui investit notre cher Théâtre est en soi un véritable événement puisqu’on a droit à un opéra baroque inconnu dans ses murs, et surtout mise en scène par un inconnu in loco, lui aussi, j’ai nommé Robert Carsen, et côté musique, interprétée par Les Arts Florissants – tout nouveau eux aussi, ainsi que leur chef William Christie. Sur l’affiche, ce n’est déjà pas si mal !!
Tout de suite, quelques mots sur ce musicien qui figure depuis peu dans les programmes des saisons d’opéras. La résurgence des opéras baroques lui permet un salutaire “come-back“. Le nom, Campra, aurait tendance à faire du musicien un natif de quelque contrée de l’Italie d’aujourd’hui. Le prénom, André, nous le rapatrie dare-dare. André Campra est en effet né à Aix-en-Provence, courant décembre 1660, mais le papa était bien italien, de la province de Turin. Quelques études à Aix, un passage à Arles et voilà notre homme Maître de chapelle à…Toulouse, en la cathédrale Saint-Etienne en 1683. Puis, c’est le départ sur Paris où il est nommé Maître de musique à la cathédrale Notre-Dame, et par la suite, il abandonne la carrière ecclésiastique et occupe l’emploi de “conducteur “ à l’Académie Royale de Musique. Il compose beaucoup et vit de ses œuvres.
La seconde partie de sa carrière se déroule à l’Académie de 1705 à 1722, et il continue à composer avec grande assiduité pendant que les compositions d’opéras de sa première période rencontrent pour la plupart le succès. C’est de cette période que l’on remarque, 1710, les Fêtes ou Festes !! vénitiennes, orthographe au choix. La formule opéra-ballet qu’il crée réduit l’opéra à l’échelle du style rococo et observe les exigences de l’unité dramatique avec une telle liberté que ce genre ne sert plus que de prétexte à une succession décousue de divertissements dansés ou chantés. Mais, c’est là que Campra va pouvoir briller avec ses mélodies. L’une des plus fameuses d’entre elles, annonce presque note après note, la pseudo-chanson populaire « Si des galans » du Devin de village de J.J Rousseau. C’est un des nombreux exemples qui démontrent l ‘affinité existant entre le rococo et le mouvement du « retour à la nature ».
Il va collaborer aussi avec les jésuites, d’où de nombreuses commandes, et sera même nommé Maître de musique au fameux Collège Louis-le-Grand.
Dernière tranche de vie qui se partage entre l’Académie et la Chapelle Royale de Versailles. Enfin, avec l’appui du Régent, sa situation atteint les sommets. Il a 63 ans et un travail fou. Les reprises de l’Europe galante et des Fêtes touchent au triomphe.
Son œuvre sera largement diffusée en province, dans des villes comme Lyon, Avignon, Aix.
Il meurt à Versailles le 14 juin 1744, infirme, isolé, et curieusement, pauvre. Des dizaines et dizaines d’œuvres pour tel ou tel de la noblesse et surtout de la cour du Roi, mais aussi du clergé, ne lui avaient guère rapporté. Ni argent, ni gloire posthume.
Il est reconnu que sa musique religieuse possède un accent personnel dû à une brillante fécondité, à l’éclat, à une très grande souplesse d’assimilation des goûts français et italiens. Sa musique profane est également marquée par le souci de la nouveauté. En 1697, avec l’Europe galante, il crée et assure la vogue de l’opéra-ballet. Sa facture reste simple, le ton direct, l’invention mélodique chaleureuse, surtout lorsqu’il s’inspire du terroir, l’harmonie juste, avec un instinct raffiné de ses pouvoirs expressifs.
L’opéra-ballet des Fêtes vénitiennes nous dévoile la même abondance et la même diversité dans les possibilités de la musique. Puis, sa fin de carrière le verra revenir à plus de simplicité et moins de verve. Pourtant, le genre opéra-ballet qu’il a crée est en pleine vogue. Campra n’a pas été un compositeur de transition. Il a su imposer sa manière et ses innovations après avoir assimilé les courants de son temps et y avoir porté la marque de sa personnalité.
Un peu comme un certain Alcina donné il y a peu, en version concert, à la Halle, ce sont des ouvrages que le public actuel apprécie à partir du moment où la distribution est sans faille. Pour Alcina, ce fut le cas, et un triomphe, disons-le, à la clé. Ce devrait être pareil ici. D’autre part, au Théâtre, c’est une version scénique. Donc, il nous faut décors et costumes et lumières et mise en scène sans faille non plus. Des bruits de couloirs nous racontent que nos vœux seront exhaussés !! Alors, vivement les quatre représentations et pas une de plus, hélas.
William Christie direction musicale
Robert Carsen mise en scène
Ed Wubbe chorégraphie
Radu Boruzescu décors
Petra Reinhardt costumes
Peter Van Praet, Robert Carsen lumières
Emmanuelle de Negri / La Raison / Lucile / Lucie
Élodie Fonnard Iphise / La Fortune
Rachel Redmond Irène / Léontine / Flore
Emilie Renard La Folie / Isabelle
Cyril Auvity Le Maître de danse / Un Suivant de la Fortune / Adolphe
Reinoud Van Mechelen Thémir / Un Masque / Zéphir
Marcel Beekman Le Maître de musique
Jonathan McGovern Alamir / Damir / Borée
François Lis Le Carnaval / Léandre / Rudolphe
Sean Clayton Démocrite
Geoffroy Buffière Héraclite
Cie Scapino Ballet Rotterdam
Les Arts Florissants
Le Théâtre du Capitole accueille pour la première fois Les Arts Florissants, placés sous la baguette du claveciniste et chef d’orchestre franco-américain qui les dirige depuis leur création en 1979, William Christie. Ensemble de chanteurs et d’instrumentistes voués à la musique baroque, fidèles à l’interprétation sur instruments anciens, Les Arts Florissants sont dans leur spécialité l’une des formations les plus réputées au monde. Ils ont joué un rôle pionnier pour imposer un répertoire méconnu : non seulement le Grand Siècle français, mais plus généralement la musique européenne des XVIIe et XVIIIe siècles.
Plus ancienne compagnie de danse aux Pays-Bas basée à Rotterdam, la Cie Scapino
Ballet Rotterdam interprétera la chorégraphie d’Ed Wubbe, par ailleurs directeur artistique de la compagnie depuis 1992. À l’occasion des Fêtes vénitiennes, le chorégraphe hollandais, qui a déjà créé plus de cinquante pièces pour son ballet, a travaillé pour la première fois sur un opéra.
Après l’Opéra Comique (janvier 2015), le Théâtre de Caen et le Théâtre du Capitole, cette nouvelle co-production des Fêtes vénitiennes rejoindra la scène de la Brooklin Academy of Music de New York en avril 2016.
Le résumé des entrées qui ont été choisies
Prologue
Le Carnaval invite la foule à le suivre pour faire la fête. La Folie le rejoint avec sa suite de Plaisirs mais un rabat-joie surgit : la Raison, qui tente en vain d’imposer sa loi. Pour l’instant, c’est elle qui doit quitter Venise, laissant le champ libre à la Folie et au Carnaval.
Première entrée : Le Bal
Le prince Alamir courtise Iphise mais se fait passer pour un simple valet, souhaitant ainsi mettre à l’épreuve l’amour de la jeune femme.
Deuxième entrée
Les Sérénades et les Joueurs Isabelle et Lucile se rencontrent.
Toutes deux sont venues surprendre Léandre, leur amant infidèle, chacune le croyant avec l’autre.
Troisième entrée : L’Opéra
Dans un théâtre ou s’apprête un spectacle d’opéra, Damire, en costume de Borée, est résolu à enlever durant la représentation Léontine, une chanteuse qu’il adore.
Épilogue
Les fêtes vénitiennes sont terminées. À la lumière du jour, les excès du Carnaval cèdent de nouveau la place à la Raison
Extraits d’entretien de Robert Penavayre auprès de Robert Carsen, metteur en scène de renommée internationale, qui œuvre pour le Théâtre du Capitole, et ce, pour la première fois !! Il n’est jamais trop tard ……
Les Fêtes vénitiennes est l’un des chefs-d’oeuvre de l’opéra-ballet. Vous avez rarement abordé ce genre particulier. Quelle a été votre réaction lorsque cela vous a été proposé ?
En fait je ne suis pas totalement étranger à ce répertoire car j’ai déjà monté l’Armide de Lully ainsi que Les Boréades et Platée de Rameau, ce dernier ouvrage étant une comédie-ballet. Pour en revenir à ces Fêtes vénitiennes, je dois dire que le développement de la conception de l’œuvre est très moderne car, vu le succès de la première, Campra a composé beaucoup d’autres Entrées, 9 au total, et donc impossibles à représenter toutes dans le cadre d’une même soirée. Le choix du couplage de ces Entrées dans un spectacle en fait une œuvre unique chaque fois. Alors, bien sûr, si chacune de ces Entrées traite d’une histoire différente, tout tourne cependant autour d’une vision de Venise comme lieu de fête.
Presque systématiquement, une intrigue amoureuse structure la dramaturgie de toutes ces Entrées. À cela il convient d’ajouter la thématique du jeu qui se décline en jeu d’argent et jeu amoureux autour de la notion de chance. Venise, à cette époque, était le “playground“ de l’Europe, ce n’était pas un lieu de tourisme de masse comme aujourd’hui. En tout état de cause, c’est assez particulier de travailler sur un opéra dans lequel les actes n’ont, a priori, rien à voir les uns avec les autres.
Dans la mesure où il n’est pas possible de donner l’intégralité de ce que Campra et son librettiste Danchel ont écrit sous le titre des Fêtes vénitiennes, comment avez-vous établi la structure de cette soirée en un Prologue et trois Entrées ? Pourquoi ce choix ?
Nous avons choisi en commun, outre le Prologue, les trois Entrées suivantes : Le Bal, Les Sérénades et les Joueurs, enfin L’Opéra. Ce choix s’est porté sur leurs qualités intrinsèques tant du point de vue dramatique que musical. Ces trois Entrées nous semblent les plus parlantes aujourd’hui, les plus éloignées de l’anecdote, les plus ouvertes à l’interprétation, en un mot les plus excitantes.
Quels ont été vos rapports avec le chorégraphe Ed Wubbe dans cette production ?
En fait, il n’avait jamais chorégraphié d’opéra, il était donc ravi à l’idée de cette expérience. Sa compagnie, le Scapino Ballet Rotterdam, a plus de 70 ans d’existence et comprend des danseurs venus du monde entier. Ce n’était pas facile pour Ed car il a plutôt l’habitude de créer des œuvres, alors qu’ici, il se trouve devant une dramaturgie existante. De plus, avec ses danseurs, il s’est trouvé sur un plateau dont l’espace était déjà bien occupé par des chœurs et des chanteurs solistes, ce qui était nouveau pour eux. Je dois vous dire qu’il n’a pas du tout essayé de faire une quelconque reconstitution historique. Sa chorégraphie ici est totalement moderne.
Michel Grialou
Les Fêtes Vénitiennes
Théâtre du Capitole
du 23 au 28 février 2016