Le Cycle Grands Interprètes présente en version concert, en deux parties, cet opéra, Alcina, à 20h à la Halle aux grains. Ottavio Dantone dirige l’Accademia Bizantina ainsi qu’une distribution somptueuse d’où émergent Sonya Yoncheva dans le rôle-titre, Philippe Jaroussky dans Ruggiero, Delphine Galou dans Bradamante, celle qui, par sa ténacité, va récupérer son amoureux délivré des sortilèges de la magicienne.
Opéra en trois actes de Georges-Frédéric Haendel, Alcina est le troisième des opéras du compositeur, inspiré de ce poème enchanteur, l’Orlando furioso (1516) de Ludovico Ariosto dit l’Arioste (1474-1533), et de façon plus précise, les Chants VI, VII et début du VIII. Quant au livret lui-même, les auteurs sont bien complexes à définir. Créé le 16 avril 1735 à Londres, il présentait en Ruggiero, le castrat mezzo-soprano Carestini dit Il Cusanino. Ce soir, c’est le contreténor Philippe Jaroussky qui échappera à la magicienne Alcina chantée par Sonya Yoncheva. On se réjouit que les passages avec Oberto ne soient pas coupés.
Personnages :
Alcina, magicienne (soprano), Sonya Yoncheva
Ruggiero, chevalier (castrat alto), Philippe Jaroussky, contreténor
Morgana, sœur d’Alcina (soprano), Emöke Barath
Bradamante, fiancée de Ruggiero, travestie sous le nom de “Ricciardo“ (contralto), Delphine Galou
Oronte, général d’Alcina (ténor), Anicio Zorzi Giustiniani
Melisso, gouverneur de Bradamante (basse), Christian Senn
Oberto, fils du paladin Astolfo (sopraniste) Hasnaa Bennani
Synopsis simplifié à partir d’un livret composé des éléments les plus compliqués et les plus chargés de magie que l’on puisse trouver dans l’Arioste, fort riche en la matière. Ainsi, ce fut comme un grand opéra fantastique que Haendel le présenta.
L’enchanteresse Alcina attire les hommes sur son île magique, véritable paradis avec son magnifique palais, où elle règne dans le faste et la splendeur, mais aussi, où elle transforme les héros sans méfiance et dont elle a pu se lasser en rochers, ruisseaux ou bêtes sauvages. Elle tient ainsi en son pouvoir, sa dernière proie, le chevalier Ruggiero, littéralement envoûté par son charme mais, pour la première fois, la voilà tombée amoureuse à son tour d’un homme qui ne subira donc pas le même sort que les précédents.
Bradamante, la fiancée de Ruggiero, voyage à sa recherche, déguisée en homme ! en se faisant passer pour Ricciardo, son frère.
Elle est accompagnée de Melisso, l’ancien tuteur de Ruggiero. Tous deux débarquent dans l’île d’Alcina. Ils sont accueillis au palais par Morgana, sœur d’Alcina, promise à Oronte, chef des armées de la magicienne, qui va s’éprendre, bizarrement, du pseudo Ricciardo. Oronte s’en aperçoit et convainc Ruggiero qu’Alcina est amoureuse de Ricciardo. Melisso délivre Ruggiero du pouvoir où le tient Alcina, et feint d’être toujours amoureux d’Alcina. Ruggiero prépare sa fuite avec Bradamante, et Alcina, qui a perdu ses pouvoirs, ne peut s’y opposer. Les hommes ensorcelés retrouvent leur forme originelle.
cela pourrait fort bien être Alcina et Ruggiero !!
Un peu de psychanalyse sur le personnage d’Alcina !!
« Alcina, déesse de son état, incarne le Soi grandiose par l’effet de sa puissance surnaturelle. Dans la lignée des Calypso et des Circé, elle symbolise la suprématies des femmes : elle est la représentante du féminin phallique qui exerce sur les pauvres hommes l’ascendant irrépressible de l’attrait sexuel. Par son chant, elle séduit et attire les hommes qui redoutent, à travers sa voix et ses sortilèges, d’être pris au piège d’une sexualité émasculante, sous l’effet du vagina dentata (vagin denté).
Le mythe de la déesse Alcina est né, comme celui de Circé dans l’Odyssée d’Homère, de la furieuse jalousie des hommes à l’égard des pouvoirs de la femme dite fatale. Tirésias avait pu laisser entendre que les femmes étaient supérieures aux hommes dans la jouissance sexuelle : « Si le plaisir de l’amour devait être partagé en dix parts, trois fois trois reviendraient aux femmes, une seule aux hommes. »
Alcina séduit les hommes et les transforme en bêtes, manifestant par là le côté sombre et avilissant de la sexualité. L’excitation physique, comme pour Ulysse, qui oublie Pénélope et Ithaque, fait perdre à l’homme sa terre natale, sa partenaire et même sa propre identité.
Pour les hommes – fort misogynes – du XVIIIè siècle, Alcina est l’image de la séductrice qui utilise la magie noire et qu’il faut abattre. Haendel, par sa musique, réhabilite Alcina, car il en fait un personnage complexe et ambivalent qui, à travers 26 airs (donc 25 aria da capo), nous touche et nous émeut. Alcina, maîtresse en sortilèges, subit la métamorphose de l’amour qui la rend vulnérable et humaine. Elle recouvre son caractère féminin, prête à se soumettre et à implorer son amant qui la captive. A travers son chant, elle nous fait éprouver le ravissement, l’exaltation, la sensualité, la fierté blessée, la fureur et la vengeance.
La musique ajoute constamment une dimension de beauté vocale, affinant l’intrigue et nous présentant un magnifique portrait de femme, d’abord indomptable et cruelle, puis amoureuse et vulnérable, enfin colérique et vaincue. Alcina meurt de la vengeance des hommes. Le couple Ruggiero-Bradamante se reforme et extermine la puissance phallique de la déesse.
Les Vocalises de la passion par Marie-France Castarède
Pour revenir sur la musique de Haendel, elle souligne l’aspect sombre du royaume enchanté d’Alcina, en contraste avec le chant extasié des amants heureux, ou du moins se croyant tels – on est au royaume de la magie – . On dit que les deux arias, Verdi prati et Tornami a vagheggiar, deux chants de bonheur, sont les deux plus connus de cet opéra.
En 1711, à peine rentré de son séjour en Italie, Haendel avait fait sensation avec Rinaldo. Et neuf ans plus tard, le 27 avril 1720, Radamisto connut une première tout aussi triomphale au King’s Theatre, Haymarket. Avec ses dix représentations, il inaugura la période la plus éblouissante du Haendel “opératiste“ et confirma Londres dans son statut de nouveau centre de l’opéra européen.
Orlando furioso de l’Arioste est à l’origine de l’opéra suivant de Haendel, Alcina. Le compositeur est à Londres. Enhardis par le succès d’Ariodante, et par la présence sur place de la danseuse Marie Sallé, John Rich, “patron“ du Covent Garden, et le compositeur sortent le grand jeu dans ce nouveau chef-d’œuvre mêlant ravissantes séquences de ballets et saisissants effets scéniques (dont un jardin magique, un palais enchanté, des grottes et des rochers changés en hommes). Avec la sorcière Alcina, qui attire les hommes sur son île magique avant de les transformer en arbres et en bêtes sauvages, Haendel créa un rôle rivalisant de sensualité avec celui de Cléôpatre. Dans l’auditoire chahuteur de la première, le 16 avril 1735, figuraient les habituelles claques anti-Haendel. Ces tribulations n’empêchèrent pas Alcina d’être un succès retentissant, avec pas moins de dix-huit représentations en 1735. Opposée à Haendel, l’assemblée appelée Opera of the Nobility était, pour le moment du moins, vaincu.
La distribution haendélienne d’Alcina réunissait plusieurs chanteurs déjà présents dans Ariodante, à commencer par le castrat Carestini dans le rôle du paladin ensorcelé Ruggiero, pris dans une féroce lutte émotionnelle entre Alcina et sa fiancée délaissée Bradamante (travestie sous les traits de son propre frère Ricciardo). Une fois le charme d’Alcina rompu par l’anneau de son ancien tuteur Melisso, Ruggiero soupçonne de plus en plus, dans Mi lusinga il dolce affetto, que «Ricciardo» pourrait bien être Bradamante. La mélodie pleine de charme de cette aria, avec ce don qu’avait Haendel pour les airs qu’on retient instantanément, ressemble à une ballade anglaise italianisée.
Le plus grand air de Ruggiero—qui fut d’ailleurs souvent bissé lors des représentations données par Haendel—est Verdi prati, une sarabande en mi majeur d’une douloureuse douceur nostalgique, qui le voit adresser un adieu traînant à ces plaisirs visuels, sous-entendu érotiques, auxquels il lui faut renoncer. Cette exquise aria de forme rondo (symbole des pensées circulaires du personnage) ne fut pas, au départ, du goût de Carestini. Mais la colère noire du compositeur le remit dans le droit chemin. Les castrats, c’est vrai, se croyaient alors tout permis. Pourtant, sa vanité fanfaronne dut être flattée par son aria finale, Stà nell’Ircana. Après avoir offert un visage essentiellement passif durant une grande partie de l’opéra, Ruggiero s’affirme comme un guerrier héroïque dans une démonstration de virtuosité bravache, au son de cors triomphants.
Suite à ses débuts triomphaux dans les meilleurs opéras du monde, Sonya Yoncheva s’est établie comme l’une des meilleures sopranos actuelles.
Née en Bulgarie en 1981, Sonya Yoncheva a étudié le piano et le chant à Plovdiv dans la classe de Nelly Koicheva et obtenu son diplôme de chant au conservatoire de Genève. Elle a remporté de nombreux prix : en 2010 elle remporte le concours Operalia de Placido Domingo. Parmi ses autres récompenses, on citera le prix spécial des Amis du Festival d’Aix en Provence pour ses performances dans le rôle de Fiordiligi, le premier prix du concours de musique classique allemande et autrichienne de Bulgarie, le concours Young Talents en 2000 etc…
Dans un répertoire allant du baroque à Mozart, Verdi et Puccini, elle s’est imposée sur des scènes telles que le Metropolitan Opera de New York, le Royal Opera House Covent Garden, le Bayerische Staatsoper Munich, le Staatsoper de Berlin, ou encore les opéras de Vienne et Paris. Acclamée pour sa voix magnifique et ses puissantes incarnations dramatiques, Sonya Yoncheva se produit également très régulièrement en concert et récital.
Sonya Yoncheva a été membre du Jardin des Voix de William Christie. Dans le répertoire baroque, on citera ses engagements dans les rôles de Phani et Zima (les Indes Galantes de Rameau), Dido (Dido and Aenas de Purcell), la Fortuna et Poppea (l’Incoronazione di Poppea de Monteverdi), Giunone (Il ritorno d’Ulisse in Patria), Cleopatra (Giulio Cesare de Haendel) et Poppea (Agrippina de Haendel).
Âgé d’un peu plus de 35 ans, le contre-ténor Philippe Jaroussky a déjà conquis une place prééminente dans le paysage musical international, comme l’ont confirmé les Victoires de la Musique (Révélation Artiste lyrique en 2004 puis Artiste Lyrique de l’Année en 2007 et 2010) et, récemment, les prestigieux Echo Klassik Awards en Allemagne, lors de la cérémonie 2008 à Munich (Chanteur de l’Année) puis celle 2009 à Dresde (avec L’Arpeggiata). Depuis, les succès s’enchaînent, et son agenda affiche complet des années à l’avance.
Avec une maîtrise technique qui lui permet les nuances les plus audacieuses et les pyrotechnies les plus périlleuses, Philippe Jaroussky a investi un répertoire extrêmement large dans le domaine baroque, des raffinements du Seicento italien avec des compositeurs tels que Monteverdi, Sances ou Rossi jusqu’à la virtuosité étourdissante des Haendel ou autres Vivaldi, ce dernier étant sans doute le compositeur qu’il a le plus fréquemment servi ces dernières années.
Ottavio Dantone a reçu très jeune son diplôme d’orgue et de clavecin. Il entreprend dès lors une carrière de concertiste, qui le signale très vite à l’attention de la critique, comme l’un des meilleurs interprètes de sa génération.
En 1985, il obtient le prix de basse continue au Concours International de Paris puis le Premier Prix du Concours International de Bruges en 1986. De fait, il fut le premier italien à recevoir une telle reconnaissance internationale.
Il commence sa collaboration avec l’orchestre baroque Accademia Bizantina de Ravenne en 1989 et sa profonde compréhension de l’interprétation sur instruments d’époque l’amène à devenir directeur musical de ce même ensemble. Sous sa direction, l’Accademia Bizantina s’affirme comme l’un des ensembles baroques les plus remarquables à travers le monde.
L’Accademia Bizantina est née à Ravenne en 1983, avec pour intention de faire de la musique «à la manière d’un grand quatuor à cordes». Aujourd’hui comme alors, avec la même approche chambriste, la formation est entièrement gérée par ses propres membres qui, ensemble, établissent ses objectifs et la ligne artistique.
De nombreuses personnalités du monde musical ont apporté leur soutien et leur contribution à la croissance artistique de l’ensemble, de Jorg Demus à Carlo Chiarappa, de Riccardo Muti à Luciano Berio. Au cours des années, l’ensemble a également pu apprécier le soutien essentiel de Stefano Montanari. Par son biais notamment, l’ensemble, qui joue sur instruments d’époque, a pu se spécialiser dans les répertoires des 17, 18 et 19ème siècles, tout en frayant sa propre voie avec un style interprétatif basé sur un langage commun et la pratique d’exécution sur instruments d’époque, dans la plus pure tradition chambriste italienne.
Petite parenthèse amusante, si je puis dire !! «Depuis que les opéras italiens ont été introduits ici, nos hommes, insensiblement, sont devenus de plus en plus efféminés et, là où ils sortaient d’une bonne comédie échauffés par le feu de l’amour et d’une bonne tragédie enflammés par l’esprit de gloire, ils s’assoient, indolents et mous, devant un opéra et laissent les voix de sirènes italiennes emporter leur âme dans leurs chants.» Comme nombre de ses compatriotes, l’auteur anonyme du pamphlet «Plain Reasons for the Growth of Sodomy» abhorrait l’engouement de l’aristocratie londonienne pour l’opera seria italien, au début du XVIIIe siècle. Embrasant un mélange toxique d’homophobie, de xénophobie et de paranoïa anticatholique, cette importation décadente fut étiquetée comme dangereuse pour la virilité et l’empire. Mais le beau monde londonien n’en eut cure.
Michel Grialou
Alcina d’Handel opéra en version concert
Sonya Yoncheva (Alcina)
Philippe Jaroussky (Ruggiero)
lundi 08 février 2016 (20h00) – Halle aux Grains
Mécénat / Partenariats
Nathalie Coffignal
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