MAESTRO CRESCENDO !
Salle comble le premier janvier pour le deuxième concert du nouvel an. La veille au soir les musiciens avaient offert le même programme aux toulousains. Un public rajeuni, et expressif a ovationné les artistes après chaque pièce. Cette relation de plaisir et de confiance entre musiciens, soliste, chef et le public a été le moteur d’une alchimie sophistiquée. Car ce programme qui en apparence comprend des pièces « faciles » est en fait exactement construit pour mettre en valeur toutes les facettes de la musique et la subtilité des instrumentistes. Thème général russe certes, avec un joyau belcantiste en son sein du plus sensibles des compositeurs de bel canto italien : Vincenzo Bellini. Cela fonctionne à merveille et la délicatesse, la longueur de souffle, l’élégance et la beauté sonore du hautboïste ont apporté une instant de magie fraiche et nuageuse au milieu de couleurs flamboyantes et de rythme irrésistibles. Car si le hautbois d’Alexeï Ogrintchouk est fêté dans le monde entier, ce soliste et ce chambriste inestimable a semblé pendre un plaisir immense lors de l’interprétation des arabesques, volutes et phrases planantes du concerto de Bellini sous la direction lyrique de Tugan Sokhiev. L’entente a été admirable entre les musiciens. L’humour et la malice du final prestissimo ont renforcé encore une complicité exquise.
Les extraits des principaux ballets de Tchaïkovski ont été un enchantement sous la direction si idiomatique de Tugan Sokhiev. Nous avons toujours loué ses interprétations de Tchaïkovski dont il a régalé Toulouse à l’opéra comme au concert. Même en extraits si précis, le charme de la théâtralité opère, chaque extrait est situé dans l’histoire du ballet. En état de grâce le chef a dirigé tout le concert sans baguette dans un don complet de sa personne. Gestes expressifs de danseur, d‘escrimeur, de cavalier, de torero, sourire aux lèvres, yeux noirs ou malicieux, le spectacle de cette gestuelle à l’esthétisme rare a été un enchantement à lui seul. Musicalement les instrumentistes ont tous brillé, explosant de virtuosité et de beauté sonore. La direction si souple de Tugan Sokhiev obtient pourtant une précision rythmique incroyable. Les phrasés sont larges et toujours chantants, les couleurs variées tour à tour éblouissantes ou mordorées, les nuances portées par les mains si expressives du chef atteignent des sommets. Au point que Tugan Sokhiev puisse être proclamé « Maestro Crescendo ».
La deuxième partie du concert quitte Tchaïkovski pour Katchaturian et sa danse du sabre si prompte à mettre en valeur les percussions. Mais ce sont peut être les danses de Chostakovitch qui seront les plus irrésistibles en raison d’une humour incroyable de l’orchestration. Le trombone à coulisse de « Tea for two » ayant la palme, indiscutablement. Le final par la (trop) courte suite de 1909 de l’Oiseau de Feu de Stravinski élargit l’espace sonore avec un crescendo final éblouissant de force maitrisée. Maestro Crescendo oui vraiment, merci Tugan Sokhiev pour ce programme si stimulant permettant de commencer l’année en pleine énergie !
Pris au piège de son succès, alors qu’un premier bis a été donné (la vocalise de Rachmaninov ayant permis le retour du hautboïste sublime), puis la marche de Radetzky mettant le public sous la direction du chef avec un charisme incroyable, une partie du public a houspillé Tugan en lui faisant comprendre qu’il n’était pas d‘accord avec la fin du concert, lorsque celui ci voulait partir. Avec un « on ne m’a jamais fait cela », bousculé, mais heureux, Tugan Sokhiev est revenu diriger, musiciens et public pour la reprise de la fameuse marche de Radetzky : Un Grand moment de complicité et de partage. Avec un tel chef, un si bel orchestre et un pareil public, l’année musicale s’annonce fabuleuse à Toulouse.
Hubert Stoecklin
Compte rendu concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le Premier Janvier 2016 ; Piotr Ilitch TCHAÏKOVSKI : La Belle au Bois Dormant : Valse n°6 ; Le Lac des Cygnes : Danse Espagnole, Danse Hongroise Czarda ; Casse-Noisette : Danse des Mirlitons, Valse des Fleurs et Pas de deux ; Vincenzo BELLINI : Concerto pour Hautbois et orchestre en mi bémol majeur ; Dimitri CHOSTAKOVITCH : Suite de Jazz n°2 : Valse II (Sérénade / Valse) et Little polka n°4, Tahiti-Trot ; Aram KHATCHATURIAN : Gayaneh, La Danse du Sabre ; Igor STRAVINSKI : L’Oiseau de feu, Suite pour Orchestre (version 1919) : Danse infernale du Roi Kastcheï, Berceuse et Final ; Hautbois : Alexeï Ogrintchouk ; Tugan Sokhiev ; Direction .