Pour sa trentième saison, le cycle Grands Interprètes a décidé de frapper fort pour chaque date de concert. C’est donc encore le cas avec cette soirée à la Halle pour le vendredi 8 janvier, à 20h. Au programme, une seule œuvre qui se suffit à elle-même, la Turangalila-Symphonie d’Olivier Messiaen que nous avons déjà entendu, ici-même, il y a peu, un monument dont on salue le retour. Pour arriver au terme de ces soixante-quinze minutes de musique, il faut un véritable tempérament à la baguette, c’est le charismatique et talentueux chef vénézuélien Gustavo Dudamel qui assume cette tâche exaltante avec ses jeunes musiciens du mythique Orchestre Simon Bolivar.
Sur l’œuvre, vous pourrez consulter l’article de Serge Chauzy paru le 23 décembre sous l’intitulé « Gustavo Dudamel dirige l’Orchestre… » et assister aussi à son petit commentaire quelques minutes auparavant. Un autre est à lire en date du 15 décembre, intitulé « Une visite exceptionnelle ». Un autre du 4 décembre parle du bouquin « El Sistema, l’exemple à suivre ».
Vous pourrez aussi vous replonger dans mon propre article en date du 27 février 2014 présentant cette symphonie jouée par l’Orchestre de Bordeaux-Aquitaine dirigé par Paul Daniel, avec Bertrand Chamayou et Cynthia Millar……Un autre de courant novembre 2014 vous attend concernant le concert dirigé par Ivan Fischer. Quelle abondance. Vous ne pouvez arriver ignorant à ce concert. Vous voilà parés.
Cette gigantesque partition fait appel à une partie pour piano très conséquente qui nécessite au clavier une “pointure“ : ce sera la jeune pianiste chinoise Yuja Wang que je vous ai présentée lors de sa venue pour interpréter le Troisième de Rachmaninov. Vous trouverez tout sur elle et sur ses CD dans l’article du 28 février 2015 « Quand talent rime avec jeunesse…… »
Les fameuses ondes Martenot interviennent aussi. Aux commandes, Cynthia Millar que vous avez entendue aussi. Voir l’article du 26 février 2014..……
Donc, pour la première fois à la Halle, c’est l’un des plus grands chefs actuels, Gustavo Dudamel, à la tête de sa phalange, l’Orquesta Sinfonica Simon Bolivar de Venezuela. A leur sujet, Serge Chauzy vous a offert deux articles, un sur le bouquin retraçant la belle histoire du Sistema, (voir plus haut) et l’autre sur tous les ingrédients de la soirée, l’œuvre d’abord, et les artistes ensuite. Aussi, vais-je juste me contenter de quelques points concernant le chef lui-même et sa prodigieuse histoire.
Gustavo Dudamel est bien un pur produit du Sistema, l’enfant prodige de ce réseau d’orchestres juvéniles développé au Venezuela depuis plus de quarante ans. Le formidable envol lui permet de diriger depuis quelques années les plus grandes phalanges de la planète. Il est devenu l’un des plus grands chefs dirigeant dans les salles de concert les plus prestigieuses. Un succès confondant. Ce qui ne l’empêche pas de consacrer du temps aussi pour porter la bonne parole dans les couches les plus défavorisées de la société, s’investissant sans compter dans l’organisation tentaculaire et désormais internationale du Sistema. Son père fut un enfant-musicien du Sistema. Lui-même fut un tout jeune violoniste du Sistema avant d’être très rapidement repéré pour devenir chef.
Contrairement aux idées reçues, la méthode d’enseignement fait bien appel au solfège, à l’écriture, l’harmonie, l’analyse, et non pas uniquement à la pratique d’un instrument. L’avantage, c’est que celle-ci vient très vite et que le contact avec l’instrument est presque immédiat. C’est là le secret, si on peut dire.
Il dirige depuis l’âge de douze ans, et reconnaît l’importance de la lecture dans l’évolution de chaque œuvre interprétée. Une des idées qui le guident est par exemple : « L’enseignement est absurde s’il n’est pas centré sur la beauté. Le droit à la beauté, le droit à l’art doivent être reconnus au même titre que les autres droits de l’homme. »
« Pour beaucoup d’enfants avec lesquels nous travaillons, la musique est pratiquement la seule voie vers une destinée sociale digne. La pauvreté est synonyme de solitude, de tristesse, d’anonymat. Un orchestre signifie joie, motivation, travail d’équipe, aspiration au succès. C’est une grande famille dévouée à l’harmonie, à ces belles choses que seules la musique peut apporter aux êtres humains. » José Antonio Abreu.
Sur Olivier Messiaen et son œuvre monumentale.
Au lendemain de la création à Paris, un poète-musicien “ s’écriait “ : « Cette musique s’étend, coule, rebondit, se rue en rapides ou se précipite en cascades comme les fleuves immenses de là-bas (…). La Turangalîla-Symphonie me prend, me capte, me bouleverse, me soulève. Et pourquoi donc ne le dirais-je pas ? C’est un chef-d’œuvre. » C’est une énorme fresque en dix volets, un inépuisable roman en dix chapitres, constituant un peu le décalogue de son auteur. Les territoires découverts sont immenses et il faudrait un livre de La Pléiade pour en révéler la topographie ! Fourmillante d’idées, de thèmes, de rythmes et de structures, l’œuvre se présente bien comme un résumé de toute la pensée de Messiaen. Mais dans un souci d’authenticité permanente qu’il revendique. Ne dit-il pas : « …l’émotion, la sincérité d’abord, mais transmise à l’auditeur par des moyens sûrs et clairs. », ou encore : « Je crois à l’inspiration (et) ne puis rien écrire que je ne l’aie vécu. »
Effectif orchestral : environ 103 exécutants pour, environ, 75 minutes
Cordes : près de 70 exécutants !
16 premiers violons, 16 seconds violons, 14 altos
12 violoncelles, 10 contrebasses,
Bois
2 flûtes, 1 piccolo, 2 hautbois, 1 cor anglais
2 clarinettes en si bémol, 1 clarinette basse en si bémol
3 bassons
Cuivres
4 cors en fa,
1 trompette en ré (pour donner du brillant à l’orchestration et ajouter un cran de plus au fortissimo),
3 trompettes en ut
1 cornet en si bémol, 3 trombones, 1 tuba
Claviers
1 jeu de timbres, célesta,
Solistes
Piano (partie importante et exigeant une réelle virtuosité, car l’œuvre est presqu’un concerto)
Ondes Martenot dont le rôle est aussi important dans certains passages paroxystiques, ou au contraire dans des passages plus doux)
Percussions – outre les claviers, il faut ici 5 exécutants
triangle, temple-block, wood-block, petite cymbale turque, cymbales, cymbale chinoise, tam-tam, tambour, tambour de basque maracas, tambour provençal, caisse claire, grosse caisse, vibraphone, huit cloches tubulaires.
Titre des dix mouvements
Introduction (modéré, un peu vif)
Chant d’amour I (modéré, lourd)
Turangalîla I (presque lent, rêveur)
Chant d’amour II (bien modéré)
Joie du sang des étoiles (vif, passionné, avec joie)
Jardin du sommeil d’amour (très modéré, très tendre)
Turangalîla II (un peu vif – bien modéré)
Développement de l’amour (bien modéré)
Turangalîla III (bien modéré)
Final (modéré, presque vif, avec une grande joie)
Féru de gammes et de rythmes hindous, attentif également aux manifestations les plus spontanées de toute musique dite exotique, des gamelans balinais aux bols chantants en passant par les oiseaux de l’Extrême-Orient, Olivier Messiaen nous livre la plus monumentale des symphonies françaises, près de quatre-vingt minutes en dix mouvements, la Turangalîla-Symphonie, dans laquelle on retrouve le piano, instrument qui, avec l’orgue, fut toujours au centre de ses préoccupations. Deux ans de travail pour une création à Boston le 2 décembre 1949 par le jeune chef d’orchestre Leonard Bernstein dirigeant l’Orchestre Symphonique de Boston. Les deux solistes sont alors, au piano, Yvonne Loriod, et aux ondes Martenot, Ginette Martenot. Accueil triomphal. Boston, tout simplement car l’œuvre est une commande de Serge Koussevitski, chef de son orchestre de la ville, et ce, en 1945. Compositeur peu connu encore mais pour lequel le chef semblait avoir ressenti beaucoup d’affinités, lui ayant simplement dit : « Faites-moi l’œuvre que vous voulez, dans le style que vous voulez, de la durée que vous voulez, avec la formation instrumentale que vous voulez, et je ne vous impose aucun délai pour me remettre votre travail… » Décédé auparavant, il ne dirigera pas sa commande à la création.
Création en France au Festival d’Aix-en-Provence le 25 juillet 1950. Les avis seront plus partagés, et certains esprits dits éclairés auront une digestion de l’ouvrage plus délicate comme un Francis Poulenc, Pierre Boulez évidemment, ou des critiques comme Jacques Longchamp. Un autre résumera fort bien l’accueil. Il fut chaleureux de la part du public, immédiat, à peu près inversement proportionnel avec celui des connaisseurs, critiques et compositeurs. Jalousie ? vacuité ? suffisance ?
« Tourângheulî-lâ » vous dira Messiaen, (avec accent et prolongation du son sur les deux dernières syllabes) « Turangalîla » est un mot sanscrit voulant dire tout à la fois, chant d’amour, hymne à la joie, temps, mouvement, rythme, vie et mort. Cette œuvre est donc un chant d’amour, un hymne à la joie, une joie surhumaine, débordante, aveuglante, démesurée. L’amour y est présentée sous le même aspect : c’est l’amour fatal, irrésistible, qui transcende tout, tel qu’il est symbolisé par le philtre de Tristan et Yseult.
Vous l’aurez compris, pour de tels paroxysmes, il faut une instrumentation hénaurme !!! mais des plus variées. A la fête donc, les bois, les cuivres et toutes les percussions métalliques possibles. Le plateau se doit d’être gigantesque. Celui de la Halle sera-t-il suffisant ? Heureusement les ondes Martenot sont là, cet instrument de musique électronique présenté en …1928 !! Autant dire datant de la préhistoire de l’électronique. Pourtant, il est capable par le jeu de ses sept octaves de remplacer bon nombre d’entre eux. Aux commandes, Cynthia Millar.
Au total, l’entreprise est colossale, excitante à souhait. Sans parler de la partie piano solo qui est d’une telle importance, son exécution nécessitant une telle virtuosité que l’on va jusqu’à parler de concerto ou presque pour piano et orchestre. Le piano fut toujours au centre des préoccupations du musicien, et aura droit à des apports essentiels servis alors par une interprète exceptionnelle, son élève devenue sa deuxième femme, Yvonne Loriod.
Michel Grialou
▶︎ Curieux d’en apprendre plus sur la Turangalîla-Symphonie de Messiaen ?
Présentez-vous à 19h avec votre billet et suivez une présentation de l’oeuvre avant le concert !
▶︎ Grands Interprètes vous offre le téléchargement de l’Ode à la Joie de Beethoven par Gustavo Dudamel et l’Orchestre Simón Bolívar en suivant ce lien
Orquesta Sinfónica Simón Bolívar de Venezuela
Gustavo Duhamel (direction) – Yuja Wang (piano)
vendredi 08 janvier 2016 – Halle aux Grains